La crise sanitaire s’est accompagnée d’un séisme sur le plan juridique, avec la mise en suspens de nombreuses lois et l’apparition de situations concrètes jusque-là non réglées par le droit du travail, du bail ou de la santé. Assez rapidement, il est pourtant apparu que plusieurs mesures ne respectaient pas le principe de proportionnalité.
Ainsi, le canton d’Argovie a sans conteste perdu les pédales en pratiquant la vidéosurveillance en temps réel, y compris par des caméras privées, pour évaluer les rassemblements de population. Et les autorités fédérales disposaient d’autres moyens que de consulter les données de Swisscom pour mesurer les flux de personnes: de nombreuses patrouilles surveillaient la voie publique, en présentant leurs rapports au jour le jour et en dissipant les éventuels rassemblements.
Au chapitre des sanctions aussi, la démesure a régné: selon l’ordonnance fédérale 2 Covid-19, ouvrir un établissement public à l’époque de l’interdiction pouvait valoir jusqu’à trois ans de prison. Et, dans le canton de Vaud, organiser un rassemblement privé de plus de dix personnes est passible d’une amende jusqu’à 50 000 francs, selon l’arrêté VD-Covid-19. Vraiment le bon moyen pour faire respecter les précautions sanitaires? Sur le terrain, heureusement, les policiers ont préféré faire appel au sens des responsabilités de la population.
A l’Université de Genève aussi, on a tenté de jouer à Big Brother: la Faculté d’économie a prévu de surveiller les examens à distance avec un logiciel prenant en photo le candidat toutes les trois secondes, afin de détecter ses absences devant la caméra ou la présence d’une tierce personne. Mais le Préposé genevois à la protection des données a désaprouvé le système.
Quant à l’application de traçage de contact Covid-19, il est vite apparu qu’elle comportait des risques d’erreurs, comme d’ignorer que deux personnes sont séparées par une paroi en plexiglas. Sans parler du manque de garanties au niveau de la sécurité du système, qui n’exclut pas que les informations soient utilisées à d’autres fins que celles initialement prévues. Une base légale ne suffit pas à remédier à ces défauts.
Face aux nombreux coups de canif donnés à la protection des données pendant la crise sanitaire, certains en ont profité pour promouvoir la relocalisation des données en Suisse, en développant des «clouds» sur le territoire national. Comme dans d’autres domaines, ce serait une manière d’en revenir à des circuits courts et de faire reculer la mondialisation.