Les différends relevant du droit des sociétés ont une importance économique significative et impliquent souvent des parties de différents pays. De nombreux actionnaires souhaitent soumettre ces différends à l’arbitrage en intégrant une clause d’arbitrage dans les statuts de leur société. Si certaines législations offrent cette possibilité, des difficultés surviennent dans les juridictions requérant une convention d’arbitrage contractuelle entre les parties à un arbitrage.
Par exemple, tandis qu’un tiers des procédures arbitrales en Allemagne se rapportent à des différends relevant du droit des sociétés, peu de ces différends sont aujourd’hui soumis à l’arbitrage en Suisse1. La validité et le champ d’application des clauses d’arbitrage stipulées dans les statuts d’une SA ou d’une Sàrl sont, en effet, controversés en droit suisse actuel2. Un accord écrit de nature contractuelle entre les actionnaires ou les associés, ainsi que les autres personnes concernées, comme les membres du conseil d’administration, peut être nécessaire3.
Cette situation est sur le point de changer. Le nouvel art. 697n du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO), qui devrait entrer en vigueur en 2023 ou ultérieurement4, doit mettre fin aux controverses relatives aux clauses d’arbitrage statutaires des SA et des Sàrl suisses5. Cet article, concrétisant l’autonomie corporative, dispose en son alinéa premier que «[l]es statuts peuvent prévoir que les différends relevant du droit des sociétés sont tranchés par un tribunal arbitral sis en Suisse»6.
Le législateur suisse a aussi récemment introduit l’art. 358 al. 2 du Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC) et l’art. 178 al. 4 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP), lesquels sont déjà entrés en vigueur. En vertu de ces nouveaux articles, les dispositions de la troisième partie du CPC et du chapitre 12 LDIP s’appliquent par analogie aux clauses d’arbitrage prévues dans les statuts des sociétés. Ces articles prévoient ainsi que la compétence d’un tribunal arbitral ayant son siège en Suisse peut être fondée sur une clause d’arbitrage figurant dans les statuts d’une société suisse ou étrangère. L’application des dispositions mentionnées du CPC et de la LDIP ne devant être faite que par analogie, cela signifie que certaines d’entre elles peuvent ne pas trouver application dans la mesure requise pour refléter la nature spécifique des clauses d’arbitrage statutaires, qui ne reposent pas sur un accord contractuel7.
La faculté de soumettre les différends relevant du droit des sociétés à l’arbitrage, en vertu de la loi, permettra à l’avenir aux intéressés de bénéficier de ses nombreux avantages, sans devoir renoncer à une certaine sécurité juridique. Parmi ces avantages, mentionnons la possibilité pour les parties de nommer des arbitres neutres et spécialisés, la confidentialité et la flexibilité de la procédure, notamment s’agissant de la langue de procédure, du mode d’administration des preuves et du libre choix par les parties de leurs représentants juridiques8.
Un autre avantage majeur de l’arbitrage est typiquement la reconnaissance et l’exécution facilitées des sentences arbitrales à l’étranger, assurées par la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, conclue à New York le 10 juin 1958 (CNY). Toutefois, la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale fondée sur une clause d’arbitrage statutaire sont sujettes à un certain risque, en particulier dans les pays qui requièrent la conclusion d’une convention d’arbitrage contractuelle. Elles peuvent, en effet, être refusées en raison de l’invalidité matérielle ou formelle de la convention d’arbitrage sur laquelle se fonde la sentence9.
1. Les différends et les personnes concernés par les clauses d’arbitrage statutaires
Le nouvel art. 697n CO permettra aux SA et aux Sàrl suisses d’introduire une clause statutaire, en vertu de laquelle les différends futurs10 relevant du droit des sociétés seront tranchés par un tribunal arbitral sis en Suisse.
L’expression «différends relevant du droit des sociétés» fait référence à l’expression notamment utilisée aux art. 151 al. 1 LDIP11 et 6 al. 4 let. b CPC. Cette expression vise «toutes les questions qui touchent à l’existence de la société»12 et toutes les actions trouvant leur fondement dans le droit des sociétés13, comme notamment pour les SA14:
• l’action en responsabilité dans l’administration, la gestion ou la liquidation (art. 754 CO), dans la révision (art. 755 CO) ou pour le dommage subi par la société hors faillite (art. 756 CO);
• l’action en répétition des prestations perçues indûment par les actionnaires, les membres du conseil d’administration, les personnes qui s’occupent de la gestion et les membres du conseil consultatif, ainsi que les personnes qui leur sont proches (nouvel art. 678 CO);
• l’action en renseignements ou en consultation des actionnaires (nouvel art. 697b CO);
• l’action en annulation d’une décision de l’assemblée générale (art. 706 CO);
• l’action en constatation de la nullité d’une décision de l’assemblée générale (art. 706b CO) ou d’une décision du conseil d’administration (art. 714 CO);
• l’action en dissolution de la société (nouvel art. 736 al. 1 ch. 4 CO).
En revanche, les litiges relatifs aux contrats conclus par la société15 ne sont pas des différends relevant du droit des sociétés. Sont aussi exclues du champ d’application du nouvel art. 697n CO les affaires relevant de la juridiction gracieuse16, comme l’action en cas de carences dans l’organisation de la société (art. 731b CO)17, ainsi que les affaires concernant le registre du commerce18, comme l’action en réinscription au registre du commerce d’une entité juridique radiée (art. 935 CO).
Les litiges portant sur les contrats conclus entre les actionnaires ne sont pas non plus visés19. Ils peuvent cependant être soumis à l’arbitrage par la simple stipulation d’une clause d’arbitrage dans ces contrats. Lorsque les statuts d’une société contiennent une clause d’arbitrage, les actionnaires devraient se demander s’ils veulent avoir la possibilité de résoudre dans un même arbitrage les litiges relevant à la fois du droit des sociétés et de la convention d’actionnaires. S’ils le souhaitent, il conviendra de veiller à la compatibilité des deux clauses d’arbitrage20.
S’agissant des personnes concernées, le nouvel art. 697n al. 1 2e phr. CO dispose que sont liés par la clause d’arbitrage la société, ses organes, les membres des organes ainsi que les actionnaires ou associés21. L’arbitrage fondé sur une telle clause obligera même les actionnaires ou les associés minoritaires qui se seraient opposés à son introduction22. Les fondateurs et les organes de fait, susceptibles d’être actionnés en responsabilité sur la base des art. 753 ss CO, devront également être liés23. Une clause d’arbitrage statutaire ne liera toutefois pas les tiers, comme les créanciers de la société ou le registre du commerce24.
Les différends et les personnes concernés par une clause d’arbitrage pourront être statutairement restreints25. En revanche, l’extension de la clause à d’autres différends ou à d’autres personnes supposera une convention d’arbitrage contractuelle qui respecte les conditions matérielles de validité du droit suisse ou, en cas d’arbitrage international, d’un des droits visés par l’art. 178 al. 2 LDIP, ainsi que les conditions formelles de l’art. 358 al. 1 CPC ou, le cas échéant, de l’art. 178 al. 1 LDIP26.
Le nouvel art. 697n CO ne s’applique pas aux sociétés étrangères. Comme nous le soutiendrons ci-après27, une clause d’arbitrage statutaire figurant dans les statuts d’une société de droit étranger – qui ne constitue pas une convention d’arbitrage contractuelle valide – devra répondre aux conditions du droit de l’Etat en vertu duquel cette société est organisée et sa portée dépendra de ce droit.
2. La lex arbitri
De nombreuses SA et Sàrl suisses comptent des actionnaires ou des administrateurs étrangers, ce qui peut donner lieu à un arbitrage international impliquant des parties étrangères. Le chapitre 12 de la LDIP est normalement applicable si, au moment de l’introduction de la clause d’arbitrage, au moins l’une des parties n’avait ni son domicile, ni sa résidence habituelle, ni son siège en Suisse28. Cependant, malgré la présence d’un des éléments d’extranéité mentionnés, ce chapitre ne trouvera pas application s’agissant d’un arbitrage fondé sur la clause d’arbitrage statutaire d’une SA ou d’une Sàrl suisse29. Le nouvel art. 697n al. 2 CO dispose, en effet, que la procédure arbitrale est régie par la troisième partie du CPC et que le chapitre 12 de la LDIP n’est pas applicable. Un opting out du CPC en faveur du chapitre 12 de la LDIP au sens de l’art. 353 al. 2 CPC ne sera pas possible30.
Le chapitre 12 de la LDIP doit toutefois régir l’arbitrage international, dont le siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse, découlant d’une clause d’arbitrage figurant dans les statuts d’une société de droit étranger, sous réserve d’un opting out de la LDIP en faveur de la troisième partie du CPC.
L’arbitrage convenu dans une convention d’actionnaires sera réglé par le chapitre 12 de la LDIP si les conditions relatives à son champ d’application sont remplies31, tandis que l’arbitrage prévu par la clause statutaire d’une SA ou d’une Sàrl suisse sera régi par la troisième partie du CPC. L’application de deux leges arbitri différentes peut empêcher que soient entendus dans un même arbitrage les différends relatifs à la convention d’actionnaires et ceux relevant du droit des sociétés32. Pour éviter que des prétentions connexes ne puissent être jointes dans un même arbitrage pour cette raison, les parties à la convention d’actionnaires devraient déclarer exclure l’application du chapitre 12 de la LDIP et convenir de l’application de la troisième partie du CPC, conformément à l’art. 176 al. 2 LDIP. Les actionnaires devraient également s’assurer que les deux clauses d’arbitrage sont autrement compatibles, en particulier en choisissant un même siège de l’arbitrage, un même nombre d’arbitres, un même mode de nomination des arbitres et un même règlement d’arbitrage. Ils devraient également opter pour un règlement d’arbitrage contenant des dispositions libérales s’agissant des arbitrages multipartites et relatifs à plusieurs contrats, de la jonction de différentes procédures d’arbitrage et de la participation de parties additionnelles, comme le Règlement suisse d’arbitrage international du Swiss Arbitration Centre.
3. Les conditions de validité des clauses d’arbitrage statutaires
La validité matérielle d’une clause d’arbitrage statutaire d’une SA ou d’une Sàrl suisse sera soumise aux conditions restrictives du nouvel art. 697n CO. Le principe de la favor validitatis, consacré à l’art. 178 al. 2 LDIP, ne trouvera en effet pas application, puisque la procédure arbitrale sera régie par la troisième partie du CPC33.
Selon le nouvel art. 697n al. 1 CO, le siège de l’arbitrage devra être en Suisse. La question de la validité d’une clause d’arbitrage statutaire d’une SA ou d’une Sàrl suisse prévoyant un siège à l’étranger dépendra de la lex arbitri étrangère applicable. Indépendamment de l’admission de la validité d’une telle clause par le droit étranger, les autorités suisses pourraient refuser la reconnaissance et l’exécution de la sentence fondée sur cette clause en raison de sa contrariété au droit suisse34. De plus, il est possible que, en présence d’une telle clause, un tribunal suisse saisi ne décline pas sa compétence au motif qu’elle n’est manifestement pas valable au sens de l’art. 61 let. b CPC ou de l’art. 7 let. b LDIP.
Il serait toutefois opportun que soit maintenue autant que possible la clause d’arbitrage statutaire, en remplaçant le siège étranger par un siège en Suisse, par exemple au lieu du siège de la société, sauf si cette clause n’aurait pas été introduite avec un siège de l’arbitrage en Suisse. Le maintien de la clause d’arbitrage avec un siège suisse devrait, en effet, correspondre à la volonté des parties de soumettre à l’arbitrage les différends relevant du droit des sociétés et devrait encore mener à un forum suffisamment neutre du point de vue d’une partie étrangère. En particulier, malgré un siège suisse, un tribunal arbitral choisi par les parties et composé d’arbitres en partie étrangers apparaîtra dans de nombreux cas plus neutre pour une partie étrangère qu’un tribunal étatique suisse. Le tribunal arbitral suisse appliquera, par ailleurs, une procédure qui sera dans la plupart des cas identique ou très similaire à celle qui aurait été suivie si le siège avait été à l’étranger.
Les statuts doivent veiller, suivant le nouvel art. 697n al. 3 CO, à ce que les personnes qui peuvent être directement concernées par les effets juridiques de la sentence arbitrale soient informées de l’introduction et de la conclusion de la procédure et qu’elles puissent participer à la constitution du tribunal arbitral, ainsi qu’à la procédure en tant qu’intervenants. L’inscription au registre du commerce d’une clause d’arbitrage ne respectant pas ces points risque d’être refusée35.
L’introduction d’une clause d’arbitrage dans les statuts d’une SA ou d’une Sàrl suisse, en vertu du nouvel art. 697n CO, nécessitera une décision de l’assemblée générale ou des associés prise à la double majorité qualifiée36. Une plus forte majorité peut être prévue37.
Sauf disposition contraire des statuts, la société, ses organes, les membres des organes et les actionnaires ou associés seront liés par la clause d’arbitrage38. Il ne sera ni nécessaire que les actionnaires ou les associés en conviennent à l’unanimité – sous réserve d’une clause d’arbitrage statutaire adoptée au moment de la fondation de la société39 ou d’une disposition statutaire prévoyant l’unanimité –, ni qu’un consentement supplémentaire soit donné40. Les actionnaires ou les associés minoritaires, de même que les organes et leurs membres, pourront ainsi se voir en quelque sorte imposer un arbitrage41, parce qu’ils ont accepté d’être actionnaires ou associés ou membres d’un organe.
L’art. 6 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950, en vertu duquel la renonciation à un tribunal étatique en faveur d’un arbitrage doit être «libre, licite et sans équivoque»42, serait potentiellement susceptible de tempérer cela43. Une renonciation valide devrait toutefois être admise lorsqu’une clause d’arbitrage figure dans les statuts avant que les actionnaires ou les associés n’acquièrent des actions ou des parts sociales ou que les membres du conseil d’administration, les gérants ou l’organe de révision acceptent leurs mandats respectifs44. Malgré l’absence d’une telle clause d’arbitrage au moment de l’entrée des premiers dans la société ou des seconds en fonction, il conviendrait aussi de reconnaître une renonciation valide dans le fait que les personnes concernées décident volontairement de se soumettre à certaines décisions futures de l’assemblée générale ou de l’assemblée des associés en acquérant des actions ou des parts sociales ou en acceptant leurs mandats45.
Sur le plan formel, quoique l’art. 358 al. 1 CPC exige seulement que la clause d’arbitrage ait été passée en la forme écrite ou par tout autre moyen permettant d’en établir la preuve par un texte, il convient d’ajouter les conditions formelles exigées par le droit suisse des sociétés. L’art. 358 al. 1 CPC ne s’applique, en effet, que par analogie. En conséquence, puisqu’elle nécessite une modification des statuts d’une SA ou d’une Sàrl suisse, la décision d’inscription d’une clause d’arbitrage statutaire devra faire l’objet d’un acte authentique46 et être inscrite au registre du commerce47. Pour sa part, le règlement d’arbitrage auquel les statuts renvoient ne devra pas revêtir la forme authentique48.
En ce qui concerne la clause d’arbitrage statutaire d’une société de droit étranger, sa validité matérielle doit être soumise aux conditions du droit de l’Etat en vertu duquel elle est organisée49. Le chapitre 12 de la LDIP ne s’appliquant que par analogie, le principe de la favor validitatis, consacré à l’art. 178 al. 2 LDIP ne doit pas trouver application. Il n’y a, en effet, pas lieu de l’appliquer afin de refléter la nature spécifique des clauses d’arbitrage statutaires, qui ne sont pas de nature contractuelle. L’application de la seule lex incorporationis et des conditions qu’elle prévoit assurent la prévisibilité et la légitimité de ces clauses. La majorité des actionnaires ne doit pas pouvoir imposer l’arbitrage aux autres actionnaires, à la société, à ses organes et à leurs membres aux conditions plus souples d’un autre droit. La clause d’arbitrage statutaire devra aussi répondre aux conditions formelles requises par cette loi50 pour les mêmes raisons, et non uniquement être passée en la forme écrite ou par tout autre moyen permettant d’en établir la preuve par un texte, comme le requerrait l’art. 178 al. 1 LDIP. La possibilité, les conditions, les limites et les formalités pour qu’une société étrangère puisse soumettre à l’arbitrage les différends relevant du droit des sociétés au moyen d’une clause d’arbitrage statutaire doivent donc être déterminées suivant le droit de l’Etat en vertu duquel cette société est organisée.
4. Les modalités de l’arbitrage et le droit applicable
Les statuts d’une SA ou d’une Sàrl suisse pourront régler les modalités de l’arbitrage directement ou par référence à un règlement d’arbitrage51. Il sera ainsi possible de prévoir un arbitrage ad hoc ou institutionnel – ce dernier étant généralement préférable – et de régler, dans le respect des garanties procédurales minimales52, entre autres, la langue de la procédure, la confidentialité, le mode d’administration des preuves, l’applicabilité ou non d’une procédure accélérée prévue par le règlement d’arbitrage institutionnel choisi ainsi que d’autres aspects procéduraux ou logistiques53. Si la procédure n’est pas réglée dans les statuts ou que les parties à un arbitrage fondé sur la clause d’arbitrage statutaire ne la déterminent pas, elle sera fixée par le tribunal arbitral54.
Le tribunal arbitral devra être sis en Suisse55 et les statuts devront prévoir que les personnes pouvant être directement concernées par les effets juridiques de la sentence arbitrale soient informées de l’introduction et de la conclusion de la procédure et qu’elles puissent participer à la constitution du tribunal arbitral, ainsi qu’à la procédure en tant qu’intervenants56, sans que le tribunal arbitral n’ait à donner son assentiment au sens de l’art. 376 al. 3 CPC57. Il est recommandé aux sociétés souhaitant inclure une clause d’arbitrage dans leurs statuts de choisir un règlement d’arbitrage permettant de satisfaire aisément à ces modalités. Si les intéressés ont choisi un arbitrage ad hoc et qu’ils ne parviennent pas à s’entendre sur la nomination des arbitres, le juge d’appui pourra nommer tous les arbitres ou élaborer une autre solution adaptée au cas d’espèce58, comme la nomination de l’arbitre d’une partie59.
La possibilité d’élire un droit étranger comme droit applicable au fond d’un différend relevant du droit d’une SA ou d’une Sàrl suisse doit être écartée. La systématique légale suppose, en effet, l’application du droit suisse et il y a un intérêt à ce que la société soit régie par un seul droit60. Cela permet, en outre, d’assurer la prévisibilité et la légitimité d’une sentence rendue sur la base d’une clause d’arbitrage statutaire. L’art. 381 al. 1 let. a CPC ne s’appliquant que par analogie, il convient d’y déroger pour ces motifs. La possibilité pour les parties d’autoriser le tribunal arbitral à statuer en équité au sens de l’art. 381 al. 1 let. b CPC pourrait être admise dans la mesure où aucune disposition impérative du droit suisse n’est transgressée ou contournée de cette manière.
Les actionnaires d’une société de droit étranger peuvent aussi régler la procédure arbitrale, directement ou par référence à un règlement d’arbitrage61. L’élection d’un droit applicable au fond différent du droit en vertu duquel la société est organisée doit être écartée comme pour les sociétés suisses.
5. Conclusion
Renforçant la sécurité juridique, le nouvel art. 697n CO, autorisant expressément l’introduction à certaines conditions d’une clause d’arbitrage dans les statuts d’une SA ou, par analogie, d’une Sàrl suisse, est bienvenu. Cette disposition permettra de recourir plus aisément à l’arbitrage des différends relevant du droit des sociétés et donnera l’occasion à la pratique de se développer plus encore.
Avant d’adopter une clause d’arbitrage statutaire, les actionnaires ou les associés d’une SA ou d’une Sàrl suisse devraient examiner dans quels Etats les sentences arbitrales fondées sur cette clause devront être exécutées et s’interroger sur le risque que leur exécution soit refusée au motif que les clauses statutaires ne sont pas considérées dans ces Etats comme des conventions (écrites) au sens de la CNY.
Si l’introduction d’une clause d’arbitrage statutaire apparaît opportune, un siège de l’arbitrage en Suisse doit être choisi. Il est, en outre, recommandé d’opter pour un règlement d’arbitrage permettant notamment d’assurer facilement les droits d’information et de participation garantis par la nouvelle disposition, ainsi que de prévoir que le droit suisse est applicable au fond.
Les clauses d’arbitrage statutaires ne portant en particulier pas sur les litiges relatifs aux contrats conclus entre les actionnaires, ceux-ci devront conclure parallèlement une convention d’arbitrage, s’ils désirent soumettre ces litiges à ce mode de résolution des conflits. Pour que les prétentions connexes relatives à la convention d’actionnaires et relevant du droit des sociétés puissent faire l’objet d’un même arbitrage, il conviendra de s’assurer de la compatibilité de la convention d’arbitrage contractuelle et de la clause d’arbitrage statutaire. A cet effet, les intéressés devraient choisir un même siège de l’arbitrage, exclure – le cas échéant – le chapitre 12 LDIP comme lex arbitri au profit de la troisième partie du CPC et choisir un même nombre d’arbitres, un même mode de nomination des arbitres, ainsi qu’un même règlement d’arbitrage contenant des dispositions libérales s’agissant des arbitrages multipartites et relatifs à plusieurs contrats, de la jonction de différentes procédures d’arbitrage et de la participation de parties additionnelles.
La possibilité pour une société étrangère d’introduire une clause d’arbitrage dans ses statuts et sa portée doivent être déterminées à la lumière du droit de l’Etat en vertu duquel cette société est organisée. ❙
1 Message concernant la modification du Code des obligations (Droit de la société anonyme), FF 2017 353, p. 494; Christian Duve, Philip Wimalasena, Part IV: Selected Areas and Issues of Arbitration in Germany, Arbitration of Corporate Law Disputes in Germany, p. 929, in: Patricia Nacimiento, Stefan Michael Kröll et alii (édit.), Arbitration in Germany: The Model Law in Practice, 2e éd., Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2015.
2 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., pp. 494 et 553; Richard G. Allemann, Setting the Ground for Corporate Arbitration in Switzerland: Swiss Parliament Approves New Rules for Arbitration of Corporate Law Disputes, in: Kluwer Arbitration Blog 17 août 2020 (arbitrationblog.kluwerarbitration.com); Hans-Ueli Vogt, Patrick Schmidt, Schiedsklauseln in Vereinsstatuten, Bemerkungen zum Bundesgerichtsurteil 5A_1027/2018 vom 22. Juli 2019 und zur Revision des 12. Kapitels des IPRG und des Aktienrechts (Teil II), in: ASA Bulletin, vol. 38, no 1 et 2, pp. 75 ss et 315 ss, p. 85. Cf. pour un aperçu de la question l’ATF 142 III 220, c. 3.4.3; Marc André Mauerhofer, Gültigkeit statutarischer Schieds- und Gerichtsstandsklauseln, in: GesKR 2011/1, pp. 20 ss.
3 Idem.
4 Code des obligations (Droit de la société anonyme): Modification du 19 juin 2020 (RO 2020 4005), pp. 4032 et 4063, dont le délai référendaire a expiré le 8 octobre 2020 sans avoir été utilisé. La date d’entrée en vigueur du nouvel art. 697n CO n’est pas encore connue au moment de la rédaction du présent article. Une entrée en vigueur avant 2023 est peu probable. Cf. Office fédéral de la justice, Modification de l’ordonnance sur le registre du commerce, Rapport explicatif, Berne, 2020, p. 3.
5 Message concernant la modification du Code des obligations, pp. 494 et 553; Vogt, Schmidt, op. cit., pp. 85 ss.
6 Le nouvel art. 697n CO sera applicable par analogie aux Sàrl, en vertu du nouvel art. 797a CO, et trouvera également application s’agissant des sociétés en commandite par actions, conformément à l’art. 764 al. 2 CO.
7 Allemann, Corporate Arbitration.
8 Gabrielle Kaufmann-Kohler, Antonio Rigozzi, International Arbitration, Law and Practice in Switzerland, OUP, Oxford, 2015, n. 1.38 ss.
9 Allemann, Corporate Arbitration. Cf. l’art. V par. 1 let. a NYC s’agissant de ces motifs; Kaufmann-Kohler, Rigozzi, op. cit., n. 8.254 s. et 8.258 s.
10 Richard G. Allemann, Statutarische Schiedsklauseln in der Aktienrechtsrevision, in GesKR 2018/3, pp. 339 ss, pp. 347 s. Cf. aussi Valentina Meier, Schiedsklauseln in Statuten schweizerischer Aktiengesellschaften, Dike, Zurich, 2017, n. 515.
11 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., pp. 494 s.
12 Message concernant une loi fédérale sur le droit international privé (loi de DIP) du 10 novembre 1982 (FF 1983 I 255), p. 426.
13 Florence Guillaume, Art. 151 LDIP n. 3, in: Andreas Bucher (édit.), Commentaire Romand, Loi sur le droit international privé, Convention de Lugano, Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2011; Isabelle Chabloz, Art. 6 CPC n. 22, in Isabelle Chabloz, Patricia Dietschy-Martenet et alii (édit.), Petit commentaire, Code de procédure civile, Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2020.
14 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., p. 495; Allemann, Corporate Arbitration; CR LDIP-Guillaume, Art. 151 LDIP n. 3.
15 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, p. 347; Andreas Bucher, Andrea Bonomi, Droit international privé, 3e éd. Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2013, n. 1260. Cf. aussi CR LDIP-Guillaume, Art. 151 LDIP n. 4.
16 Cf. Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, pp. 343 et 347; Alexander Brunner, Art. 6 ZPO n. 47, in: Alexander Brunner, Dominik Gasser et al. (édit.), ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung Kommentar, 2e éd., Dike, Zurich, 2016; Jacques Haldy, Art. 6 CPC n. 6, in: François Bohnet, Jacques Haldy et al. (édit.), Commentaire romand, Code de procédure civile, Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2018.
17 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, p. 343; Henry Peter, Francesca Cavadini, Art. 731b CO n. 6e, in: Pierre Tercier, Marc Amstutz et al. (édit.), Commentaire romand, Code des obligations II, 2e éd., Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2017.
18 Allemann, Corporate Arbitration; DK ZPO-Brunner, Art. 6 ZPO n. 47.
19 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., p. 495; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, p. 347; Bucher, Bonomi, Droit international privé, n. 1260; CR LDIP-Guillaume, Art. 151 LDIP n. 4.
20 Cf. infra 2.
21 Cf. supra n. 6.
22 Cf. infra 3.
23 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 349.
24 Idem. Cf. aussi Dieter Gränicher, Art. 178 IPRG n. 121, in: Pascal Grolimund, Leander D. Loacker et al. (édit.), Basler Kommentar, Internationales Privatrecht (IPRG), 4e éd., Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2020.
25 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., p. 495; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, p. 347.
26 Cf. en particulier, s’agissant des conditions d’un arbitrage interne, PC CPC-Göksu, Art. 354 CPC n. 1 ss et n. 13, Art. 357 CPC n. 1 ss et notamment n. 16, ainsi que Art. 358 CPC n. 1 ss; et, s’agissant des conditions d’un arbitrage international, BAKO IPRG-Gränicher, Art. 178 IPRG n. 1 ss et nommément n. 113 ss; Kaufmann-Kohler, Rigozzi, op. cit., n. 3.01 ss; BAKO IPRG-Mabillard, Briner, Art. 177 n. 1 ss et n. 13; CR LDIP-Tschanz, Art. 177 LDIP n. 1 ss et art. 178 LDIP n. 1 ss.
27 Cf. infra 3.
28 Art. 176 al. 1 LDIP; Vogt, Schmidt, op. cit., pp. 82 s.
29 Allemann, Corporate Arbitration, op. cit.
30 Message concernant la modification du Code des obligations, p. 495; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 342.
31 Cf. l’art. 176 al. 1 LDIP.
32 Cf. PC CPC-Göksu, Art. 376 CPC n. 11; Philipp Habegger, Art. 376 ZPO n. 9 et 20, in: Karl Spühler, Luca Tenchio et al. (édit.), Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 2017.
33 Cf. supra 2. Cf. aussi Vogt, Schmidt, op. cit., p.85.
34 Cf. l’art. V par. 1 let. a CNY.
35 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 352.
36 Cf. les nouveaux art. 704 al. 1 ch. 14 et 808b al. 1 ch. 10bis CO.
37 CR CO II-Peter, Cavadini, Art. 704 CO n. 2; CR CO II-Iynedjian, Art. 808b CO n. 2.
38 Cf. supra 1.
39 Allemann, Corporate Arbitration, op. cit..
40 Message concernant la modification du Code des obligations, op. cit., p. 494; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., pp. 345 s.
41 Allemann, Corporate Arbitration, op. cit..
42 CrEDH, arrêt de la 5e Section N° 1643/06 «Suda c. République tchèque» du 28.10.2010, par. 48.
43 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., pp. 349 s.; Johannes Landbrecht, Zwischen vertraglichem Konsens und grundrechtlichem Zwang – Die unfreiwillige Schiedsgerichtsbarkeit, in: Wolfgang Portmann, Helmut Heiss et al. (édit.), Gedenkschrift für Claire Huguenin, Zürich (Dike) 2020, pp. 123 ss, IV, 3.
44 Idem.
45 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., pp. 350 s. Cf. aussi Landbrecht, Zwischen vertraglichem Konsens und grundrechtlichem Zwang, 3; BAKO IPRG-Gränicher, Art. 178 IPRG n. 123.
46 Les modalités de la forme authentique sont réglées par la législation cantonale. Cf. l’art. 55 al. 1 du titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907.
47 Cf. les nouveaux art. 647 et 780 CO; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 345.
48 Cf. le nouvel art. 697n al. 3 CO; Allemann, Corporate Arbitration, op. cit..
49 Allemann, Corporate Arbitration, op.cit..
50 Idem.
51 Cf. le nouvel art. 697n al. 3 1re phr. CO.
52 Cf. PC CPC-Göksu, Art. 373 CPC n. 9 ss; Vogt, Schmidt, op. cit., p. 328.
53 Cf. PC CPC-Göksu, Art. 373 CPC n. 4; CR CPC-Schweizer, Art. 373 CPC n. 2.
54 Cf. l’art. 373 al. 2 CPC, applicable par analogie en vertu de l’art. 358 al. 2 CPC.
55 Cf. le nouvel art. 697n al. 1 1re phr. CO; supra 3.
56 Cf. l’art. 697n al. 3 2e phr. CO; Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, pp. 352 s, op. cit..
57 Cf. Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 353.
58 Cf. l’art. 362 al. 2 CPC, applicable par analogie en vertu de l’art. 358 al. 2 CPC; PC CPC-Göksu, Art. 362 CPC n. 17; BAKO ZPO-Habegger, Art. 362 ZPO n. 27 ss.
59 Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 353.
60 Cf. Allemann, Statutarische Schiedsklauseln, op. cit., p. 346.
61 Cf. l’art. 182 al. 1 LDIP, applicable par analogie en vertu de l’art. 178 al. 4 LDIP.