Les liens étroits qui existent entre liberté de circulation et d’installation et aide sociale sont très anciens. À titre d’exemple, Caroline Regamey relevait qu’en 1681, «la Diète fédérale adopte le principe de l’expulsion des pauvres non originaires d’une des communes d’un canton […] Lors de la naissance de l’État fédéral, en 1848, la Constitution du nouvel État fédéral garantit à tout·e citoyen·ne suisse (de confession chrétienne) le droit de s’établir librement dans toute l’étendue du territoire helvétique (art. 41 Cst. féd.), mais ajoute le devoir, si besoin, de prouver être en état de s’entretenir, ainsi que sa famille, par ses propres moyens.»
Nous souhaitons dans cette contribution nous attarder sur un outil spécifique au point d’intersection entre politique migratoire et politiques sociales: les attestations de prise en charge. Ce type d’engagement existe dans tous les cantons, avec des dénominations qui peuvent varier: garantie de prise en charge, attestation de prise en charge ou encore déclaration de prise en charge.
Dans tous les cas, il s’agit de l’engagement d’une personne installée en Suisse à subvenir à tous les frais d’entretien d’une personne migrante (logement, entretien courant, assurance-maladie et frais de renvoi). Cette garantie, dont la nature juridique reste imprécise, est présentée comme nécessaire pour que la personne qui en bénéficie puisse obtenir certaines autorisations de séjour.
Nous constatons que des attestations de prise en charge sont signées sur demande des contrôles des habitant·e·s des communes, dans des situations où cela n’est pas juridiquement requis. En effet, certaines autorisations de séjour, en particulier des autorisations de séjour pour rejoindre un parent ou un·e conjoint·e ayant la citoyenneté européenne avec la qualité de travailleur, reposent sur un véritable droit, sans conditions de ressources financières. Dans ces situations, une garantie de prise en charge ne devrait pas être attendue par les autorités. Ce thème a fait l’objet d’une interpellation parlementaire dans le canton de Vaud en 2012 déjà.
Malgré les assurances données par le Conseil d’État dans sa réponse, force est de constater que de nombreuses erreurs sont encore observées dans la pratique.
En sus d’être parfois infondées, le but même de ces attestations de prise en charge entre en contradiction avec des principes de politique publique. On retiendra d’abord, pour le canton de Vaud, le caractère non remboursable des subsides et de l’aide sociale (art. 60 Cst-VD). Du coup, via cette garantie, des prestations légalement non remboursables le deviennent par le garant, si elles sont perçues.
On soulignera ensuite la préoccupation des autorités (notamment vaudoises) et des chercheur·euse·s par rapport au non-recours aux prestations sociales. Les facteurs de non-recours sont multiples (stigmatisation sociale, complexité administrative, méconnaissance des droits, barrières linguistiques et culturelles, mais aussi peur de perdre son autorisation de séjour); pourtant, l’un d’eux est directement induit par l’existence de ces garanties de prise en charge.
À titre d’exemple, différentes procédures sont en cours au CSP Vaud concernant des refus, à notre sens infondés, de subsides, faisant référence à ces garanties de prise en charge. En effet, la réduction des primes a été mise en place dans le cadre du financement de la LAMal pour corriger les effets de la prime par tête. Sur le plan systématique, elle est intégralement liée à cette loi et appartient ainsi à la sécurité sociale.
Entraver l’accès à un subside, c’est également, pour les ressortissant·e·s UE, violer le principe de non-discrimination (art. 2 ALCP). Plus généralement, c’est mettre en danger l’application de la couverture médicale universelle, les personnes risquant de ne plus avoir les moyens de contracter une assurance pourtant obligatoire.
L’exigence de la signature de ces attestations, utilisées comme outil de régulation migratoire, va clairement à l’encontre de la lutte contre le non-recours, décourageant les personnes de demander une aide à laquelle elles ont droit, par crainte soit de se la voir refuser sur la base de la garantie signée, soit de péjorer la situation financière du garant. Elle conforte aussi un soutien social à deux vitesses en fonction de la nationalité, avec le risque de précarisation d’une partie de la population résidente malgré les efforts affichés pour permettre à toustes de bénéficier du soutien social nécessaire. ❙
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