Les expériences faites dans la défense des intérêts d’assurés nous ont conduit à nous demander si l’accent ne devrait pas être mis sur un problème préoccupant: celui de la durée des procédures en matière d’assurances sociales et des limites mises à l’examen par le Tribunal fédéral (TF) des décisions rendues en la matière par les autorités de première instance.
A cela s’ajoutent la question du caractère onéreux des procédures cantonales en matière d’assurance-invalidité et en cas de recours au TF ainsi que celle des coûts engendrés par l’assistance (souvent indispensable) demandée à des hommes de loi pour être conseillé et, le cas échéant, afin d’agir en justice, dès lors qu’il y a longtemps déjà que le simple citoyen n’est plus en mesure de juger des chances de succès d’un procès qu’il ne sera, de toute façon, pas en mesure de mener seul.
Un contrôle sérieux des décisions des assureurs sociaux est particulièrement nécessaire, au regard des conséquences qu’elles peuvent avoir pour chaque justiciable.
D’autres problèmes au niveau de la procédure administrative mériteraient aussi qu’on leur porte attention.
Constat
Dans le domaine des assurances sociales, les enjeux sont souvent très importants pour les assurés, qui se trouvent en état d’infériorité face à des administrations qui disposent de collaborateurs parfaitement au courant des règles légales à appliquer et de la jurisprudence. Les assurés en sont réduits à croire ce qu’on leur dit ou écrit ou sont obligés de consulter – à leurs frais – des personnes compétentes (un avocat, par exemple) lorsqu’ils n’ont pas le privilège de pouvoir s’adresser à un ami ou à un proche, voire à un syndicat ou encore à une autre association en mesure de leur venir en aide. Ce qui est particulièrement choquant, c’est de voir des frais importants tomber à la charge d’assurés qui avaient des raisons suffisantes pour demander au juge, de première ou de seconde instance, de se prononcer sur leurs droits. Et cela sans parler du transfert de plus en plus fréquent des charges d’un assureur à l’autre, voire, finalement, du recours obligé à l’aide sociale.
La même remarque peut être faite à propos des fournisseurs de soins qui, lorsqu’ils sont en litige avec un assureur, peuvent craindre que la longueur des procédures (notamment des procédures arbitrales, dont le coût peut être très important) ne leur posent de sérieux problèmes et/ou préjudices professionnels et financiers susceptibles de causer du tort à leurs patients également.
Si l’on estime que notre sécurité sociale est trop généreuse et va trop loin, il faudrait que le législateur fixe clairement de nouvelles limites. Mais serait-il prêt à le faire?
Durée des procédures
On ne peut s’empêcher de penser que, souvent, les assureurs spéculent sur l’ignorance qu’ont les assurés de leurs droits et le fait qu’ils n’interjetteront pas recours, faute d’être renseignés, ou alors qu’ils seront retenus par les frais engendrés par la consultation d’un homme de loi et par le coût d’une procédure, même gagnée.
Si l’on peut comprendre qu’il faille protéger les assureurs contre le risque de ne pas pouvoir réclamer à des assurés la restitution de prestations qui leur auraient été versées à tort, on a peine à admettre que ces mêmes assurés doivent attendre des mois, des années parfois, pour qu’un tribunal leur donne raison, ce qui peut les placer dans une situation économique difficile pouvant aller jusqu’à les faire dépendre de l’aide sociale, risque que les administrations de nos assurances sociales ne prennent guère en considération en se retranchant derrière la loi. S’ajoute à la durée des procédures judiciaires proprement dites celle des procédures administratives (en particulier de celles d’opposition) qui, elles aussi, peuvent prendre beaucoup de temps sans qu’on puisse pourtant parler de déni de justice selon une jurisprudence à notre avis trop restrictive.
Pour ne prendre que deux exemples dont nous avons connaissance, on a peine à comprendre qu’un assuré âgé de 100 ans mais jouissant de toutes ses facultés mentales, qui agissait seul en justice, n’ait pas pu accéder à la décision du tribunal qu’il avait saisi, parce qu’il était décédé plusieurs années plus tard, mais avant que cette décision ne soit rendue malgré les demandes adressées au juge de tenir compte de l’âge avancé du recourant. Ou encore que plus de dix ans de procédure aient été nécessaires (au prix de trois recours de première instance et de deux recours au TF) pour qu’un assuré obtienne finalement rétroactivement l’allocation de prestations complémentaires servies en lieu et place d’une rente extraordinaire d’invalidité.
Le remède consisterait notamment à doter les tribunaux de moyens suffisants – même coûteux – pour qu’ils soient à même d’accomplir leur tâche rapidement au regard des enjeux économiques importants pour les assurés, à diminuer ou supprimer la charge matérielle que représente le recours à des hommes de loi pour décider s’il y a lieu de s’opposer à une décision administrative et, ensuite, pour faire valoir des droits en justice, l’octroi de dépens ne suffisant généralement pas à rémunérer convenablement les mandataires en cas de gain du procès. L’assistance judiciaire gratuite aux assurés touchés par des décisions discutables devrait être accordée plus facilement.
Enfin, les autorités de surveillance (OFAS, OFSP, par exemple) devraient pouvoir intervenir utilement, d’office ou sur dénonciation, auprès des assureurs qui n’accomplissent pas correctement leur travail.
Procédure administrative
Sur le plan de la procédure administrative, il y aurait certainement lieu de prendre des mesures destinées à inciter les assureurs à liquider les sinistres rapidement, en ne tardant pas à rendre leurs décisions et en rendant celles sur opposition dans le même délai que celui qui est donné à l’assuré pour demander une décision susceptible d’opposition. Sur ce dernier point, il serait sans doute souhaitable que ces décisions émanent d’une autorité indépendante de la personne ou des personnes qui ont pris la décision à laquelle l’assuré s’est opposé. L’opposition constitue en effet un moyen de droit permettant au destinataire d’une décision d’en obtenir le réexamen par l’autorité, avant qu’un juge ne soit éventuellement saisi. Elle assure la participation de l’assuré au processus de décision et poursuit notamment un but d’économie de procédure et de décharge des tribunaux, dans les domaines du droit administratif où des décisions particulièrement nombreuses sont rendues. La procédure d’opposition ne revêt cependant de véritable intérêt que si l’opposant peut exposer les motifs de son désaccord avec la décision le concernant à un service relativement neutre.
Mais d’autres questions examinées par la jurisprudence mériteraient d’être réglées plus équitablement.
Ainsi, il serait certainement justifié de revoir la portée à conférer aux premières déclarations des assurés à un moment où aucun litige n’était noué avec l’assureur concerné. L’importance qui leur est donnée est parfois excessive, en particulier lorsque celui qui recueille ces premières déclarations est bien renseigné sur les conséquences que pourront avoir les renseignements ainsi fournis et qu’il peut influer sur le sens des réponses en posant des questions ciblées, même sans intention malicieuse. D’un côté, on a un employé de l’assurance connaissant bien les dispositions légales réputé impartial, mais qui peut et sait formuler ses questions d’une façon qui appellera la réponse attendue pour que, par exemple, l’existence d’un accident puisse être juridiquement niée. En face de ce spécialiste se trouve l’assuré, qui ignore la loi et ne réalise pas les conséquences que peuvent avoir ses réponses à des questions orientées. Mais, si l’assuré fait valoir ses droits par l’entremise d’un avocat, celui-ci sera, par définition, réputé manquer d’impartialité.
La même remarque peut être faite à propos des avis des médecins-conseils qui se prononcent souvent sur un cas sans avoir examiné ni même rencontré les assurés, mais dont on reconnaît en général une impartialité qu’on dénie aux médecins traitants qui, pourtant, sont en contact régulier avec leurs patients.
Notons à cet égard que, selon la jurisprudence, les expertises administratives ont une valeur probante et ne sont nullement assimilables à des expertises de parties, l’administration n’agissant alors pas en tant que partie, mais en tant qu’organe administratif chargé d’appliquer la loi: les règles de procédure régissant la mise en œuvre d’expertises sur des circonstances de la cause qui exigent des connaissances spéciales – en particulier les règles sur la récusation – ne sont pas applicables aux rapports et aux expertises des médecins liés à l’assureur. Cette pratique a été critiquée, à notre avis à juste titre, dès lors que l’avis du médecin traitant est parfois écarté pour le motif que ce praticien est trop proche de l’intéressé pour que son opinion puisse être retenue. Dans le cadre de la libre appréciation des preuves, l’administration et le juge peuvent statuer uniquement sur la base des données ressortant du dossier de l’institution d’assurance. Des exigences sévères doivent toutefois être posées quant à l’impartialité et à la fiabilité de telles données. Le fait qu’un médecin, praticien indépendant, a été chargé à plusieurs reprises par un assureur d’établir des expertises ne constitue pas, à lui seul – à notre avis à tort –, un motif suffisant pour conclure à un manque d’objectivité et à la partialité de l’expert1.
Décisions judiciaires de première instance
Loin de nous l’idée de contester la compétence des magistrats de première instance. Nous ne pouvons pourtant pas nous empêcher de penser que l’importance des enjeux, pour les assurés, est telle que le contrôle de l’activité des fonctionnaires d’assurances sociales par une autorité judiciaire qui peut ne compter qu’un seul magistrat (juge unique) n’est pas satisfaisant au regard de l’ampleur et de la complexité des règles légales à appliquer.
Le même raisonnement vaut sans aucun doute pour le contrôle de l’activité des autorités de première instance par le TF. On ne devrait pas traiter de la même manière, par exemple, l’assuré qui se bat sur le plan civil pour obtenir la réparation d’un dommage selon les règles du droit privé et celui qui lutte pour obtenir des prestations d’une assurance sociale.
A cela s’ajoutent la difficulté de plus en plus grande de saisir le TF, à grands frais, et la complexité des règles légales à appliquer, dans un domaine où les intérêts en jeu pour les justiciables devraient justifier un accès plus facile à la Haute Cour.
Mais cela demanderait évidemment un aménagement des règles actuelles et une dotation en juges et en personnel plus importante. Les politiciens ne semblent malheureusement pas prêts à faire le pas nécessaire...
Procédures arbitrales
Un mot pour terminer des procédures devant les tribunaux arbitraux. Il arrive très souvent que les fournisseurs de soins doivent agir contre un assureur social soit au contraire se défendre contre lui devant un tribunal arbitral.
Force est de constater que ces procès, s’ils visent théoriquement à obtenir une application correcte des règles légales, ont des conséquences non négligeables sur la pratique desdits fournisseurs, conséquences qui peuvent avoir des répercussions sur la qualité de leurs prestations, voire sur les droits des assurés, qui ne devraient pas faire les frais de tels litiges.
Dans ce domaine aussi, les obstacles de procédure et les frais que les fournisseurs de soins peuvent être amenés à supporter sont tels que les intéressés préfèrent se soumettre aux désirs des assureurs plutôt que de porter le débat devant un tribunal arbitral. Or, le régime du tiers garant que connaît la LAMal peut conduire les assureurs à poser des exigences discutables (par exemple, en contrepartie du régime du tiers payant – souvent essentiel pour les fournisseurs de soins). Ou encore les assureurs sont-ils tentés de retenir le paiement de leurs prestations pour des motifs discutables qui mériteraient d’être soumis au juge, mais ne le seront pas en raison des conséquences d’une telle démarche, serait-elle justifiée.
Complexité des règles légales
Enfin, et ce n’est certainement pas notre remarque la moins importante, il serait souhaitable qu’on revienne dans tous les domaines du droit à des réglementations plus simples qui soient compréhensibles pour le justiciable non initié et qu’on renonce à promulguer des lois, des ordonnances et des règlements qui sont trop souvent modifiés ou complétés. Ce n’est un secret pour personne, plus une réglementation est détaillée, plus les chances qu’elle présente des lacunes et autres imperfections sont grandes..