Le féminisme est humaniste
Aujourd’hui, une vision dualiste met à l’épreuve les fondements mêmes des premières luttes féministes. Or, le mouvement humaniste a servi de terreau à ce même féminisme. On pourra ici se référer à la «Querelle des femmes», une polémique initiée en France au début du XVe siècle portant sur le statut des femmes dans la société et l’égalité entre hommes et femmes. Christine de Pizan, première femme écrivaine, plaidait déjà pour la cause des femmes en traitant de ce sujet avec une modernité déconcertante. Dans un célèbre ouvrage (La Cité des dames de 1405), elle fait écho au débat actuel sur l’intégration du consentement dans la révision des infractions contre l’intégration sexuelle: «navrée et outrée d’entendre que les femmes veulent être violées et qu’il ne leur déplaît point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut».
Diversité et égalité
Il est dès lors quelque peu étrange d’opposer les sexes dans l’actuel débat sur les infractions sexuelles alors que les impulsions humanistes portent les fruits de l’égalité entre êtres humains. Tel que le relève justement Thich Nhat Hanh: «En étudiant en profondeur la nature d’une particule élémentaire, les scientifiques ont découvert qu’elle se manifestait parfois comme une onde, et parfois comme une particule. Une onde et une particule sont deux choses très différentes. Et pourtant, l’onde et la particule sont une seule et même chose. C’est pourquoi les scientifiques ont décidé de nommer la particule élémentaire «ondicule» (Thich Nhat Hanh , La Colère, Transformer son énergie en sagesse , p. 18). Certes, chaque être humain est différent, par son genre, sa culture, son orientation sexuelle, son origine ethnique. Il n’en demeure pas moins que nous restons avant tout humains.
Subsomption
Nous connaissons tous ce terme qui appartient au quotidien du juriste. Qu’est-ce que le droit si ce n’est la prise en compte des faits pour en déduire des conséquences juridiques? Les juges pénaux doivent ainsi considérer les faits et les contextualiser. Tel est le cas lors de violences sexuelles structurelles où il appartient au juge d’appréhender si la pression extérieure privait la victime de toute possibilité de lutter. Ce procédé laisse de nombreuses victimes d’infractions sexuelles déçues d’une procédure, puisque le point délicat, en cas de viol, est justement la difficulté à prouver les faits. Or, la preuve reste essentielle au bon fonctionnement de notre État de droit. «On peut regretter que la preuve soit si difficile à apporter dans les affaires de violences sexuelles, je l’ai moi-même déploré. Bien souvent, ces affaires finissent en deux paroles qui s’opposent, des consentements invoqués par les uns et réfutés par les autres, des interprétations qui nous racontent deux histoires différentes pour un même moment.» (Tristane
Banon, La paix des sexes, p. 74).
Le droit ne règle pas tout
Nous pourrions ici citer les dommages dits irréparables en droit civil. Par exemple, le dommage de frustration, soit les dépenses engagées dans l’optique de la réalisation de la prestation promise. Exemple: «J’ai acheté un billet pour un match de foot. Malheureusement, l’événement a été annulé. J’ai réservé des nuitées à l’hôtel dans cette optique. Pourquoi l’organisateur de la manifestation sportive ne rembourse-t-il pas les frais d’annulation de l’hôtel?»
Il en va de même des limites temporelles, soit la prescription d’un crime ou d’un délit. Les raisons peuvent être objectivement explicitées, les autorités en charge de l’instruction étant souvent face à un mur en raison de l’écoulement du temps. Et ce malgré l’amélioration des moyens de preuves grâce au progrès technologiques (phénotypage, par exemple). «La solution aux violences sexuelles ne viendra pas de l’imprescriptibilité, elle viendra de nous tous, de notre éducation collective d’abord, de la dénonciation sur-le-champ des crimes et des délits ensuite, et du traitement efficace des plaintes enfin» (Tristane Banon, La paix des sexes, p. 64).
Le classement d’une affaire ne signifie pas pour autant que la souffrance et le dommage en découlant doivent être niés. Et le chemin à parcourir par la victime reste long. Fort heureusement, des pistes existent pour panser ses plaies. Toutefois, s’engager dans une procédure, qu’elle quelle soit, demeure un choix délicat. Tous les juristes sont habitués à faire preuve d’humilité en informant le justiciable des inexorables limites d’une action judiciaire. «Il faut expliquer qu’une affaire classée sans suite n’est pas une affaire qui n’a pas existé, marteler que la loi seule ne peut pas réparer toutes les victimes, et, même, que la loi seule ne saura jamais éviter tous les crimes» (Tristane Banon, La paix des sexes, p. 75).
1 Selon le Trésor de la langue française informatisé du CNRS: «Mouvement intellectuel se développant en Europe à la Renaissance et qui, renouant avec la civilisation gréco-latine, manifeste un vif appétit critique de savoir, visant l’épanouissement de l’humain rendu ainsi plus humain par la culture» ou «Attitude philosophique qui tient l’humain pour la valeur suprême et revendique pour chaque humain la possibilité d’épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines.»
2 Explication en physique quantique par la métaphore (dualité onde-particule): technoscience.net/definition/8014.html
3 Opération consistant à ranger les éléments individuels et concrets d’un état de fait sous les termes généraux et abstraits d’une norme.
4 ATF 131 IV 107.