Le jeune délinquant zurichois connu sous le nom fictif de «Carlos» aura fait parler de lui. En août 2013, d’abord, lorsque les médias alémaniques ont dévoilé que le programme de réinsertion ouvert dont il bénéficiait coûtait quelque 20 000 fr. par mois. Puis, en janvier 2017, quand son avocat, Marcel Bossonet, a reproché à la justice zurichoise de l’avoir incarcéré dans des conditions contraires aux droits de l’homme.
Carlos a été enfermé dans la prison de Pfäffikon (ZH). Une vingtaine de jours qui ont suscité une pluie de reproches de la part de son défenseur. Selon lui, Carlos aurait dormi dans une cellule non chauffée et dépourvue de matelas. Il n’aurait même pas eu droit à une couverture. «Il n’avait qu’une chemise et ne portait même pas de sous-vêtements. Il est arrivé qu’il ne reçoive que de l’eau et un peu de pain», s’indigne Marcel Bossonet. Et la liste continue. Carlos aurait constamment dû porter des menottes. Il n’aurait pas été autorisé à communiquer avec le monde extérieur. De même qu’il n’aurait pas eu le droit de se doucher. «Il n’a, par ailleurs, eu ni livre, ni radio, ni télévision, ni même de quoi écrire», reprend son avocat. Enfin, ses parents auraient eu l’interdiction de venir le voir et la direction de la prison aurait rejeté deux demandes de visite de son mandataire.
Une cellule plutôt que des menottes
Chargé d’enquêter sur la situation, l’ancien procureur Ulrich Weder confirme: les conditions de détention auxquelles Carlos a été soumis entre le 6 et le 26 janvier 2017 sont objectivement comparables à un traitement dégradant et discriminant, notamment au vu de leur longue durée. Ainsi, le magistrat reconnaît que, durant tous ces jours en cellule, Carlos est resté menotté, ne s’est pas douché et n’a pu ni sortir ni communiquer avec le monde extérieur. Il n’a effectivement porté qu’une chemise et dormi à même le sol. Il aurait en revanche reçu «des repas suffisants et équilibrés». A une exception près, il aurait toujours eu accès à de l’eau potable. Enfin, à deux reprises, son avocat aurait été autorisé à lui rendre visite, à condition que la conversation se fasse «à travers la porte de sa cellule».
Malgré tout cela, Ulrich Weder conclut «qu’il n’y a pas eu de traitement inhumain ou dégradant dans le sens des articles 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et 10 alinéa 3 de la Constitution suisse». Il s’appuie, d’une part, sur les témoignages du personnel. Les employés chargés de s’occuper de Carlos l’auraient traité sans aucune discrimination ni humiliation. Au contraire, ils auraient espéré que celui-ci change de comportement, afin que ses conditions de détention puissent être assouplies. Le procureur estime, d’autre part, que ces dernières étaient justifiées pour garantir la sécurité du personnel pénitentiaire, victime du caractère rebelle, des insultes et des menaces du détenu.
Le comportement récalcitrant de Carlos a forcément joué un rôle lorsqu’il a fallu juger de ses conditions de détention. «Son attitude ne justifie peut-être pas le traitement imposé, mais elle permet en tout cas de l’expliquer.»
De son côté, Marcel Bossonet estime que le résultat de l’enquête légitime ses prétentions: «Les points controversés sont si peu nombreux qu’il me semble évident que l’on reconnaisse que mon mandant a subi un traitement inhumain dans le sens de l’article 3 CEDH.»
«Des restrictions proportionnelles»
Jonas Weber, professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Berne, critique lui aussi le verdict du rapport: «Le comportement de Carlos, tel qu’il est décrit, ne justifie pas le traitement qu’il a subi. Il est vrai que son attitude rend plus compréhensible celle de certains employés pénitentiaires, mais cela ne justifie pas tout.»
Sandra Imhof, directrice de la Commission nationale de prévention de la torture, se montre plus intransigeante: «Les conditions de détention telles que présentées dans le rapport du procureur sont clairement inappropriées et, du point de vue de notre commission, entièrement injustifiables.» Un avis tranché que partage Lukas Gschwend. Professeur d’histoire du droit, de sociologie juridique et de droit pénal à l’Université de Saint-Gall, celui-ci considère aussi ces mesures comme étant disproportionnées et inadmissibles, en particulier au vu de leur longue durée. «L’absence de douche, de promenades, de vêtements et, pendant presque deux semaines, de matelas, viole les principes applicables aux incarcérations, notamment celui du respect de la dignité humaine.»
Le professeur estime que toutes restrictions de liberté, même celles infligées dans le cadre d’une incarcération, doivent rester proportionnelles. Selon lui, ce cas démontre que «les prisons de district ne sont pas à même de prendre en charge les détenus particulièrement difficiles». Se pose alors la question de savoir pourquoi un transfert dans une institution plus adéquate n’a pas été ordonné plus rapidement.
Au terme de son rapport, Ulrich Weder donne quelques recommandations pour les cas qui s’avéreraient identiques ou similaires. Il préconise d’avoir suffisamment de personnel et de réaliser des transformations, afin de garantir des promenades ainsi qu’une hygiène corporelle, sans que cela nécessite de contact entre le détenu et les employés.