Penser que l’article 28 du Code civil est une base suffisante pour protéger la personnalité à l’ère des nouvelles technologies, c’est comme si l’on se contentait d’un seul article de loi pour régir les risques de la circulation routière. L’image est du spécialiste du droit de la communication Bertil Cottier, qui estime qu’il faut légiférer, entre autres, sur
la responsabilité des intermédiaires techniques et l’usurpation d’identité. Il l’a redit à l’occasion d’une Journée sur les droits et les dangers liés aux nouvelles technologies, organisée au début de juin par les Juristes progressistes vaudois. Le préposé à la protection des données du Jura et de Neuchâtel, Christian Flückiger, lui a fait écho, en relatant les dérives de certaines administrations dans l’usage d’internet, comme le stockage des données concernant les citoyens sur le «Cloud» ou l’usage de smartphones privés à des fins professionnelles: des comportements qui exposent leurs auteurs à des risques de violation du secret de fonction. Et les services étatiques cèdent de plus en plus souvent à la tentation de s’échanger les données de leurs administrés, histoire de faire des économies, mais sans trop s’inquiéter des problèmes de protection de la personnalité.
Des préoccupations d’«ayatatollahs» de la protection des données, à une époque où les nouvelles technologies révolutionnent le quotidien et abattent les frontières? Ces spécialistes se voient souvent rétorquer que, de toute manière, ce ne sont que les gens malhonnêtes, ceux qui ont quelque chose à cacher, qui ont à craindre de voir leurs données personnelles figurer sur le net. Lors de la récente Journée sur le droit et les nouvelles technologies, le procureur vaudois, Jean Treccani, a apporté un sérieux démenti à ce genre d’assertions, en racontant comment des citoyens ordinaires, pas forcément naïfs, se font berner à cause d’une usurpation d’identité, d’images trop intimes ou de paroles imprudentes lâchées sur internet, d’une vente aux enchères inexistante. Au total, 200 à 300 plaintes par année dans le domaine de la cybercriminalité sont déposées dans le canton de Vaud. Et le pourcentage de résolution est faible, en raison du manque d’effectifs au sein des autorités de poursuite.
Sans tomber dans la criminalité, de plus en plus de sociétés se spécialisent dans le traitement des données personnelles mises gracieusement à disposition sur le net. Mais il semble qu’elles ne se contentent plus de faire du marketing basique, de cibler les moins de 15 ans faisant du sport ou les plus de 50 ans adeptes de la pêche. Le croisement des informations se fait à grande échelle et permettra, à long terme, de prédire des comportements: c’est le «big data». Il sera sans doute utilisé à bon escient dans certains cas, par exemple pour suivre l’évolution d’une épidémie, mais aussi, parfois, avec des objectifs moins louables. On pourra créer des catégories de personnes à fort risque de frauder les assurances, de se comporter en mauvais locataires ou encore de divorcer. Un marché juteux qui croît à une allure bien plus rapide que le développement de la législation sur la protection des données.