Pour terminer les cinq années de formation juridique, les étudiants en master doivent rendre un travail de recherche. Loin d’endosser le prestige d’une thèse de doctorat, le mémoire de master peut-il toutefois être considéré comme une carte de visite ou uniquement comme un travail universitaire? Est-il mis en avant par les juristes en herbe? Même si les avis divergent sur la question, ces travaux intéressent les études d’avocats.
Formules différentes
Bien que le nombre d’années nécessaires pour obtenir son master et le nombre de crédits obligatoires (90 ECTS) soient identiques dans toutes les Universités romandes, les conditions du travail de fin d’étude, en revanche, varient d’un canton à l’autre.
Neuchâtel et Lausanne ont conservé le modèle classique, c’est-à-dire un écrit d’une certaine longueur, accompagné d’une défense orale. Le domaine de recherche ainsi que le sujet sont libres, pour autant que le professeur les accepte. Ces deux Universités rétribuent toutefois de manière très différente le nombre de pages fournies. En effet, pour obtenir 18 crédits, l’étudiant neuchâtelois devra fournir une septantaine de pages, alors que le lausannois n’en aura qu’une trentaine. Parallèlement à ce schéma classique, d’autres formules peuvent être choisies par les juristes en herbe (voir tableau p. 36). Par exemple, celui qui aura décidé de se lancer dans un master bilingue devra rendre deux écrits d’environ 25 pages, pour ajouter huit crédits chacun.
Fribourg et Genève prévoient en revanche, un travail différent. Pour espérer obtenir cinq crédits, les étudiants fribourgeois n’auront que deux semaines pour présenter un dossier de 25 pages environ. S’ils peuvent choisir le domaine de droit qu’ils désirent approfondir, ils ne peuvent toutefois pas décider du thème à développer. La Faculté de droit propose un double cursus avec l’Université Panthéon-Assas de Paris II. Dans ce cadre-là, une cinquantaine de pages sur le droit comparé français-suisse doivent être rendues pour obtenir un master de Fribourg ainsi que le master de Paris II. Quant aux Genevois, ils peuvent choisir un séminaire en fonction de leur domaine de prédilection. A la fin de celui-ci, les étudiants seront amenés à rédiger un mémoire sur un sujet lié au thème du séminaire pour obtenir 18 crédits. Pour les étudiants qui ne peuvent pas suivre de séminaires, il est possible de rendre un travail à part, mais il ne vaudra que 12 crédits.
Mention dans le CV?
Nous avons rencontré trois anciens étudiants romands qui ont terminé leur master en droit: Jérémy Huart, diplômé de l’Université de Fribourg en 2011 et désormais employé au sein d’une étude à Delémont; Sofia Villaverde, qui a terminé sa formation à Lausanne en 2014 et travaillant aujourd’hui à Nestlé; Federica Steffanini, qui a obtenu un prix pour son mémoire en 2015 et devenue assistante doctorante pour le professeur Pascal Mahon, à l’Université de Neuchâtel. Parmi ces trois jeunes juristes, Sofia Villaverde a mentionné son mémoire sur son CV et Federica Steffanini dans sa lettre de motivation. Etant donné la spécificité du sujet et leurs connaissances approfondies en la matière, elles se distinguaient des autres candidats. C’est après avoir été embauché que Jérémy Huart l’a signalé sur le site internet de l’étude: «Mon collègue l’avait mentionné dans sa page de description alors j’ai fait pareil. Sinon, je ne l’aurais pas spécifiquement mis en avant» Mais aucun des trois ex-étudiants en droit n’a signalé son travail écrit sur son profil LinkedIn.
Indiquer ou non le travail de master dans le CV «est un choix stratégique», selon Sandra Jaunin, conseillère en orientation à Uni-emploi à l’Université de Genève. «Cela dépend du thème du mémoire et du destinataire», explique-t-elle. En effet, il serait judicieux d’en parler surtout lorsqu’il correspond aux activités du potentiel employeur. Mais, selon elle, «il peut, dans tous les cas, être un levier pour l’étudiant pour parler de ses capacités et de ses compétences.»
Pour se démarquer
Quelle que soit la formule du mémoire, les étudiants gardent toujours le choix du domaine de recherche. De ce fait, ils peuvent utiliser ce travail afin de montrer leur intérêt et leur spécialisation aux futurs employeurs. Mais d’après bon nombre d’anciens étudiants, à moins d’avoir obtenu un prix, il apparaît peu probable qu’il soit déterminant dans le choix du meilleur postulant. Pourtant, c’est notament grâce à lui que Sofia Villaverde a été engagée. En effet, lors de son stage à Nestlé, elle a réalisé un mémoire de stage sur les différentes implications d’une nouvelle loi pour l’entreprise. Etant donné la particularité du thème et ses connaissances sur le sujet, elle a été embauchée immédiatement après son master. Federica Steffanini, quant à elle, ne nie pas que son mémoire a certainement joué un rôle dans l’obtention de son poste de doctorante auprès du professeur qui a supervisé son travail de master. Peu après son embauche, elle a d’ailleurs gagné un prix pour ce travail.
Nous avons demandé à quelques employeurs à la recherche de stagiaires, en ce moment, si le mémoire avait une influence sur le choix du candidat. D’après Véronique Fontana, avocate dans le canton de Vaud, «ce n’est pas un critère décisif. Indiquer la discipline peut être un plus, mais le candidat ne sera en aucun cas défavorisé pour l’avoir précisé.» A l’étude SLB de Neuchâtel, les quatre avocats associés vont plus loin que la simple lecture du titre, puisqu’ils s’intéressent aux raisons qui ont poussé l’étudiant à choisir sa discipline, les conclusions de son travail et ce qu’il lui a apporté. Même si le mémoire n’est pas décisif dans la sélection du stagiaire, «à candidat égal, on choisirait l’étudiant qui a fait le mémoire qui est le plus pratique: il a plus de valeur à nos yeux, puisqu’il est réutilisable pour aider l’avocat dans sa pratique», précise Magalie Wyssen, avocate associée à SLB. Pour Boris Wijkstroem, directeur du Centre suisse pour la défense des droits des migrants: «On est attentif au mémoire si le travail est proche de nos activités, parce qu’il peut être un indicateur de connaissances approfondies. Mais, en principe, on ne pose pas de questions s’il n’est pas mis en avant par l’étudiant.» Avis partagé par Dominique Bugnon, chef de l’information au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (Detec). Il précise également qu’une «bonne note peut aussi impressionner». Le mémoire reste, selon lui, un élément parmi tant d’autres à prendre en compte.
«Une carte de visite»
Si les étudiants indiquent leur mémoire dans leur dossier de candidature, ils se limitent souvent au thème ou au titre du travail. Mais un mémoire ne se résume pas à cela. Evelyne Clerc, doyenne de la Faculté de droit de Neuchâtel, rappelle que la grande partie du travail d’un juriste, d’un avocat, d’un notaire et même d’un juge relève de l’écrit. C’est pourquoi, un mémoire permet notamment à l’étudiant d’exercer ses capacités de recherches, de structuration, de concision et de précision.
«Je suis tellement convaincue de l’importance du mémoire que je dis à mes étudiants qu’il constitue une véritable carte de visite. Il montre ce qu’un candidat a dans le ventre et donc, c’est quelque chose à prendre avec soi pour les entretiens», explique Christine Chappuis, doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Genève. Pourtant, aucun des employeurs interrogés ne demandent à voir le mémoire intégral. Seul Jérémy Huart nous a confié avoir dû transmettre son mémoire à l’issue d’un entretien dans une étude bernoise. Sandra Jaunin recommande aux étudiants de les ajouter sur leur profil LinkedIn pour permettre aux avocats curieux de prendre connaissances de leurs compétences.
Même si les avis divergent quant à l’importance du mémoire lors des candidatures, il reste un challenge pour l’étudiant et l’accomplissement ultime de sa formation.