Encore sous le coup de l’échec de l’initiative de mise en œuvre le 28 février 2016, on en avait presque oublié que l’alternative concoctée par le Parlement durcit passablement la pratique en matière de renvoi des étrangers criminels. Le Code pénal révisé entre en vigueur le 1er octobre 2016.
Avant l’été, les ordres judiciaires de quelques cantons ont tiré la sonnette d’alarme: certes, une clause de rigueur permettra de renoncer à l’expulsion dans certains cas, mais globalement, le travail des tribunaux va augmenter, car c’est un juge qui doit se prononcer sur l’expulsion. Dans le canton de Vaud, on estime que, environ, 500 cas supplémentaires par année devront être traités par un juge.
A Genève, ce sont environ 400 procédures qui devraient être renvoyées devant le Tribunal de police, alors qu’elles étaient auparavant de la compétence du Ministère public. Un regain d’activités qui se répercutera aussi sur le Tribunal des mesures de contrainte et sur l’instance d’appel, sans parler de l’augmentation des coûts supplémentaires d’assistance judiciaire, estimée, pour Genève, à 2 millions de francs par an.
Pragmatisme
Mais si les procureurs n’ont pas la compétence de prononcer une expulsion, peuvent-ils liquider les cas dans lesquels ils estiment qu’une expulsion n’est pas justifiée? Il règne un certain flou sur cette question, mais les principaux intéressés ont tendance à répondre par l’affirmative. «Dans leur très grande majorité, les procureurs suisses considèrent que la renonciation à l’expulsion dans les cas prévus par la loi sera de leur compétence», pour autant, bien sûr, que la sanction se situe dans les limites de l’ordonnance pénale, communique Eric Cottier, procureur général du canton de Vaud et vice-président de la Conférence des procureurs de Suisse (CPS). Mais, dans les affaires où ils estiment qu’une expulsion est justifiée, malgré la peine inférieure à six mois, ils procéderont à une mise en accusation. «Il s’ensuit bel et bien que les tribunaux devront juger des affaires qui, jusqu’alors, pouvaient être tranchées par des procureurs», observe encore Eric Cottier.
Le pragmatisme devrait, par exemple, être de mise à Neuchâtel. Le procureur général Pierre Aubert entend proposer à ses collègues de considérer que l’expulsion d’un étranger titulaire d’un permis B ou C est présumée le mettre dans une situation personnelle grave, quand la peine ne dépasse pas 180 jours-amende ou de peine privative de liberté (la présomption étant cependant moins forte à mesure qu’on s’approche de cette limite ou s’il y a des antécédents). Dans ce cas, c’est le Ministère public qui statuera par voie d’ordonnance pénale.
Sectarisme dénoncé
Chargé de cours en droit des sanctions aux Universités de Lausanne et de Fribourg, Loïc Parein voit d’un bon œil la solution préconisée par les procureurs pour limiter la surcharge des tribunaux. Mais c’est avec sévérité qu’il accueille la révision du Code pénal en matière de renvoi. «Contrairement à tous les pays limitrophes, la Suisse fait de l’expulsion une sanction pénale, déplore-t-il. Cela revient malheureusement à associer un danger de récidive à une nationalité, soit à créer une nouvelle catégorie de personnes à éliminer, comme on l’a déjà fait avec les incurables, les pédophiles et les chauffards.» Le spécialiste souligne que, si l’on appliquait les mêmes critères de mise à l’écart aux Suisses ayant commis des infractions, environ 2000 d’entre eux seraient concernés chaque année: «Pour eux, le pendant de l’expulsion serait la déchéance de nationalité impliquant un renvoi automatique. En arriverons-nous là?»
L’an dernier, l’Office fédéral de la statistique avait en effet calculé le nombre d’étrangers qui devraient être expulsés selon le projet de loi du Parlement (en application de l’initiative sur le renvoi) et, en comparaison, le nombre de Suisses condamnés pour les mêmes infractions. Pour 2014, les étrangers concernés auraient été 3863 et les Suisses 1999.
Sur un plan plus pratique, Loïc Parein trouve problématique que le juge pénal chargé d’un cas d’expulsion doive appliquer des notions qui ne relèvent pas de son domaine, comme le principe de non-refoulement et le regroupement familial. Selon lui, les autorités administratives sont plus habilitées à exercer cette tâche.
En 2007, l’expulsion judiciaire avait été abandonnée, notamment parce qu’elle posait des problèmes de coordination avec le droit administratif. Mais elle laissait bien plus de marge de manœuvre au juge que la loi sur le renvoi des étrangers criminels prochainement en vigueur. A noter que l’expulsion judiciaire fera également son retour dans le droit des sanctions révisé, qui entrera en vigueur en 2018. Ce ne sera pas une peine mais une mesure, qui pourra être ordonnée dans un jugement au fond.