Bon nombre de cantons, surtout alémaniques, conditionnaient le recouvrement d’honoraires d’avocat à une demande de levée du secret professionnel de celui-ci. D’autres, en grande partie en Suisse romande, ne considéraient en revanche pas cette démarche comme indispensable*. Dans un arrêt de 2016 (ATF 142 II 307), le Tribunal fédéral a fait pencher la balance du côté de la vision la plus formaliste, rendant délicates les pratiques cantonales contraires. Des Ordres cantonaux d’avocats ont, par conséquent, adapté leurs recommandations. Toutefois, des différences d’interprétation subsistent.
A Genève, l’Ordre des avocats a communiqué à ses membres un courrier de la Commission du barreau (autorité de surveillance), selon lequel, en matière de recouvrement d’honoraires, «un avocat est désormais tenu de demander la levée de son secret professionnel» auprès de ladite Commission. Son président, Jean-Louis Collart, précise que, à la lumière de la jurisprudence récente, cette demande doit se faire dès la simple réquisition de poursuite, car celle-ci révèle déjà l’existence d’un mandat. Mais cette demande ne se fera qu’à titre subsidiaire: l’avocat doit, en premier lieu, s’adresser au client lui-même.
Ces recommandations rejoignent celles du Conseil de l’Ordre des avocats vaudois, qui a pris position à ce sujet l’automne dernier dans son bulletin Info-Minute. Il a précisé qu’il convient «de limiter la communication d’informations au minimum nécessaire au recouvrement des créances ou à la démonstration de la bonne exécution du mandat».
Mandat révélé ou non
Dans les cantons de Fribourg, du Jura, du Valais et de Berne, l’Ordre des avocats recommande également d’adresser à l’autorité de surveillance une demande de levée du secret à titre subsidiaire, mais seulement, en principe, avant l’engagement d’une procédure judiciaire de recouvrement. Car, au stade de la réquisition de poursuite, seul le montant de la facture est communiqué aux autorités, ce qui ne suffit pas à révéler l’existence d’un mandat.
Selon Marc Wollmann, vice-président de l’Association des avocats bernois, il faut toutefois veiller à ce que «le libellé du commandement de payer, et notamment du motif de la créance, ne donne pas d’information sur la nature du mandat. On indique «facture du (date)» ou «décompte du (date). Pour d’autres démarches, la libération du secret s’impose».
La pratique des cantons romands dépend donc d’une différence d’interprétation: les uns estiment que la réquisition de poursuite révèle l’existence d’un mandat, les autres que ce n’est en principe pas le cas.
Procuration controversée
Une autre notion divise également nos interlocuteurs. C’est la question de savoir si un client peut libérer, à l’avance, l’avocat du secret professionnel pour le recouvrement d’honoraires. A Genève et à Neuchâtel, le modèle de procuration contient une telle clause. Le bâtonnier neuchâtelois, Basile Schwab, précise néanmoins qu’il convient, en plus, «d’obtenir par précaution la levée du secret lorsque se matérialise un litige à ce sujet, en se fondant notamment sur l’acceptation de principe contenue par la procuration signée». Dans les autres cantons romands, nos interlocuteurs au sein des Ordres des avocats estiment qu’une clause de recueil anticipé du consentement n’est pas valable (Vaud, Fribourg), problématique (Berne) ou même illégale (Jura).
Avocat et professeur à l’Université de Neuchâtel, François Bohnet s’interroge aussi sur la validité d’une telle clause, «alors que les contours d’une éventuelle procédure de recouvrement à venir ne sont pas encore connus. Cela dépend des circonstances. Cela dit, pour l’avocat, être libéré du secret ne veut pas dire qu’il va révéler les détails du mandat. Il ne livrera que les informations nécessaires au recouvrement.»
La provision
Un avocat a généralement un intérêt digne de protection à être délié du secret professionnel en vue du recouvrement d’une créance d’honoraires, rappelait l’ATF susmentionné. Mais il doit démontrer pourquoi il n’était pas possible de constituer une provision, poursuivait l’arrêt. D’où un tollé chez les avocats, qui rappellent que la provision n’est pas obligatoire, même si elle est recommandée dans une certaine mesure. D’aucuns se voient mal la réclamer à des clients de longue date. Un arrêt du 6 janvier 2017 (2C_746/2016) est venu relativiser l’importance de la provision, en ne la considérant plus que comme l’un des éléments à prendre en compte dans l’examen d’une demande de levée du secret (plaidoyer 3/17).
Sur le plan pratique, l’OAV a ainsi communiqué à ses membres que «de façon à simplifier la pesée des intérêts, il est conseillé d’exposer brièvement les éléments justifiant qu’une provision n’ait pas été demandée, respectivement que la provision demandée se soit finalement avérée insuffisante». A Berne, la provision est perçue de manière similaire, «n’étant, en soi, pas une obligation déontologique de l’avocat», relève Marc Wollmann. Même attitude à Genève: «On sait qu’il n’est pas simple de demander des avances suffisantes, commente Jean-Louis Collart. L’avocat doit parfois accomplir certains actes rapidement. Cela pourrait même être contraire à la déontologie de rester inactif lorsque la provision fait défaut.»
Le professeur François Bohnet ne déduit pas non plus des arrêts récents du TF une obligation pour l’avocat de réclamer constamment des avances: «Il faut plutôt éviter d’envoyer une grosse facture à un client sans lui avoir jamais demandé de provision.» Le spécialiste du droit de l’avocat s’étonne par ailleurs qu’on mêle ainsi la réflexion sur les provisions et celle sur le secret professionnel: «Il serait étrange que cela puisse donner au client le droit de ne pas libérer son mandataire du secret pour le recouvrement d’une créance d’honoraires.»
*Sur la diversité des pratiques, lire Le droit de la profession d’avocat, par François Bohnet et Vincent Martenet, Stämpfli, 2009, pp. 787-791.