Dans toute procédure pénale, l’autorité doit éviter d’agir avec précipitation. En particulier, une enquête et un procès bien menés impliquent une certaine durée. En effet, notamment, «pour éviter l’erreur judiciaire, la manifestation de la vérité exige du temps si l’on veut administrer correctement les preuves tant à charge qu’à décharge» (1).
Si ce facteur peut jouer un rôle manifeste dans l’allongement de la durée des procédures, une certaine lenteur peut aussi et surtout résulter d’une surcharge des autorités.
Dans le canton de Vaud, le Ministère public a constaté une forte augmentation de la délinquance depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, le 1er janvier 2011. Si le nombre de cas renvoyés devant l’autorité de jugement a plus que doublé entre 2011 et 2013, le Ministère public vaudois est néanmoins parvenu, en 2013, à clore plus d’enquêtes qu’il n’en a ouvertes, grâce à plusieurs mesures organisationnelles. Il remarque que «si la durée moyenne de traitement des affaires reste stable, on n’en constate pas moins un certain allongement pour les dossiers complexes»2. Dans le même sens, l’Ordre judiciaire vaudois relève une hausse régulière du nombre d’affaires pénales reçues par ses différents tribunaux. En 2013, il note ainsi une augmentation de 40% du nombre de nouvelles affaires correctionnelles et de 24% du nombre de nouvelles affaires de police, ayant mené à une augmentation de 38% du nombre de dossiers pendants. S’il précise qu’en 2013 «toutes les audiences avec détenus ont (...) été fixées dans l’espace de quatre mois par les tribunaux d’arrondissement», il souligne qu’ «il s’agira d’être très attentifs à cette évolution, afin que les dossiers puissent continuer à être traités aussi rapidement qu’actuellement» (3).
Dans le canton de Genève, dans le même sens, le nombre total de nouvelles affaires dans la filière pénale s’est accru de plus de 7% en 2013, menant à une augmentation de près de 5% des affaires pendantes. Le Ministère public, en particulier, a subi une augmentation de plus de 10% des nouvelles procédures pénales. Le canton compte sur un renforcement des effectifs pour «progressivement permettre de remédier à l’insuffisance notoire des moyens de la filière pénale, confrontée à une hausse régulière du nombre des procédures» (4).
La durée intrinsèque d’une procédure bien menée et la surcharge des autorités ne peuvent justifier qu’une procédure se prolonge de manière excessive. Composante de la garantie du procès équitable, le principe de célérité impose aux autorités de mener la procédure pénale «sans désemparer» (5), afin d’éviter que le prévenu ne demeure trop longtemps dans l’angoisse que suscitent une accusation et l’incertitude sur son sort (6). Il vise aussi d’autres buts, comme préserver la valeur psychologique de la sanction, et s’assurer de la persistance des preuves susceptibles de dépérir avec le temps (7).
Ce principe «cardinal» (8), qui revêt «une importance éminente» dans le cadre de la procédure pénale (9), ne constitue pas une simple circonstance atténuante telle que celle de l’écoulement du temps relativement long de l’art. 48 lit. e CP, mais une véritable «exigence posée à l’égard des autorités pénales» (10), un droit du prévenu dont la violation constitue une «forme atténuée du déni de justice» (11).
Les tribunaux fédéraux constatent régulièrement des violations du principe de célérité. Tel fut encore le cas, il y a quelques semaines, dans un arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral à l’encontre de l’Office fédéral des migrations (12).
Le principe de célérité
Aux termes de l’art. 29 al. 1 Cst., «toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit (...) jugée dans un délai raisonnable». L’art. 6 § 1 CEDH énonce que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable». L’art. 14 § 3 lit. c du Pacte ONU II consacre, quant à lui, le droit qu’a toute personne à être «jugée sans retard excessif».
Le principe de célérité est concrétisé par l’art. 5 al. 1 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP), qui prévoit que «les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié».
Ce principe s’applique uniquement pour les procédures d’application du droit, et non pour les procédures législatives (13). Il prend un sens particulier et entraîne des exigences accrues lorsque le prévenu est détenu durant la procédure (14). Plusieurs disposition insistent en ce sens sur la nécessité de juger rapidement les personnes détenues et de statuer rapidement sur les demandes de libération qu’elles produisent (15).
L’obligation de statuer dans un délai raisonnable s’applique non seulement à toutes les procédures pénales (16), mais également, de manière plus restrictive (17), au domaine de l’exécution des peines (18).
Appréciation du caractère raisonnable d’un délai
Le principe de célérité est violé lorsque l’autorité «ne rend pas la décision qu’il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que la nature de l’affaire ainsi que toutes les autres circonstances font apparaître comme raisonnable» (19).
Il doit être respecté dès le moment où une personne est affectée par les poursuites dirigées contre elle, et jusqu’au moment où elle cesse de l’être (20).
Quelques dispositions légales concrétisent le principe de célérité en prévoyant des délais concrets. Tel est par exemple le cas de l’art. 84 al. 4 CPP, qui fixe, en cas de motivation du jugement par écrit, un délai de notification au prévenu de 60 jours, pouvant exceptionnellement être porté à 90 jours.
D’autres dispositions, sans prévoir de délai précis, sont sous-tendues par le principe. Tel est par exemple le cas de certaines des règles relatives à l’arrestation provisoire (21), ainsi que des règles qui s’appliquent à la désignation d’un défenseur (22) ou à la nécessité pour le tribunal d’éviter toute interruption inutile des débats (23).
Au surplus, toute procédure doit être conduite «dans un délai raisonnable». Cette notion juridique est imprécise, et doit s’apprécier dans chaque cas d’espèce suivant les circonstances de la cause (24).
La durée d’ensemble de la procédure considérée doit être prise en compte. Quelques temps morts sont inévitables et peuvent être compensés par des périodes d’activité intense, l’autorité ne pouvant s’occuper constamment d’une seule et unique affaire, et sont admissibles lorsque leur durée n’est pas choquante (25).
Par exemple, la jurisprudence européenne a considéré comme des carences choquantes une inactivité de treize ou de quatorze mois au stade de l’instruction, un délai de quatre ans pour qu’il soit statué sur un recours contre un acte d’accusation, ou encore un délai de dix ou onze mois pour qu’un dossier soit transmis à l’autorité de recours (26).
La complexité de l’affaire peut jouer un rôle important dans l’appréciation du caractère acceptable de la durée de la procédure, et peut tenir aussi bien aux questions de fait qu’aux points de droit. Elle dépend notamment du volume du dossier, du nombre des accusés, des témoins à entendre et des investigations à mener (27).
Ainsi, dans une affaire mettant en cause les autorités valaisannes, le Tribunal fédéral a considéré comme admissible un délai de trois ans entre l’ouverture de l’instruction et le jugement de première instance, puis d’un an supplémentaire jusqu’au jugement sur appel pour un cas dans lequel le dossier était «relativement volumineux», dans une enquête dirigée contre cinq accusés qui avaient commis des infractions variées et dont les rôles étaient étroitement liés (28).
Dans le même sens, les juges fédéraux ont considéré que, si le délai entre la clôture de la procédure préliminaire et le renvoi devant le juge de fond ne doit, en principe, pas excéder quelques semaines, il peut être porté jusqu’à plus de huit mois dans des causes «particulièrement complexes, aux multiples ramifications, impliquant plusieurs prévenus et nécessitant une préparation minutieuse des débats et des actes d’instruction» (29). En revanche, ils ont jugé excessif un délai de cinq mois et demi dû à des motifs organisationnels (30).
Tout comme la complexité de l’affaire, le peu de gravité des griefs reprochés à l’accusé ou l’absence de détention préventive sont des facteurs qui peuvent rendre acceptable une procédure relativement longue (31).
Le comportement du prévenu constitue un autre critère important. Il n’est pas tenu de coopérer activement avec les autorités, mais, s’il ne le fait pas, son attitude doit être prise en compte dans l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure. Ainsi, s’il dépose des recours pour obtenir sa libération, s’il récuse des magistrats, s’il effectue des manœuvres dilatoires ou des obstructions délibérées, l’allongement de la procédure qui en résulte doit être pris en compte. Il en va de même si son état de santé ralentit la procédure, notamment s’il est hospitalisé (32).
En revanche, la surcharge des autorités ne saurait constituer un motif justificatif. En effet, «sous réserve de circonstances exceptionnelles, il incombe aux Etats d’organiser leur système judiciaire de telle manière qu’il soit en mesure de fonctionner conformément aux exigences d’un procès équitable» (33). Si un engorgement passager est tolérable, s’il est exceptionnel et si l’Etat prend rapidement les mesures propres à y remédier, ce dernier peut par contre être tenu pour responsable d’un encombrement plus durable. Dans un tel cas, le principe de célérité peut être violé même en l’absence de toute faute des autorités pénales (34).
On rappellera enfin que la mise en détention préventive d’une personne entraîne des exigences particulières. Ainsi, notamment, la personne arrêtée provisoirement doit être présentée au Ministère public dans les 24 heures (35), la décision de mise en détention doit être prise dans les 96 heures (36) et la détention provisoire ainsi que la détention pour des motifs de sûreté ne doivent pas durer plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible (37).
Conséquences d’une violation du principe de célérité
Dans les cas de peu de gravité, la simple constatation déclaratoire d’une violation du principe de célérité peut constituer une forme de réparation suffisante (38).
Le plus souvent, toutefois, la violation conduira à une réduction de la peine. Elle est même devenue, de fait, une circonstance atténuante de la peine à part entière (39). Dans des cas particulièrement graves, elle peut même conduire à la renonciation à toute peine, voire, dans des cas extrêmes, à une ordonnance de non-lieu, en tant qu’ultima ratio (40), pour autant que cette solution soit admissible au regard des intérêts des victimes (41).
La violation du principe peut aussi mener à une réparation sous forme de dommages-intérêts (42), et jouer un rôle sur la répartition des frais et dépens (43).
(1) Gérard Piquerez, Alain Macaluso, Procédure pénale suisse, 3e éd., Genève 2011 (ci-après Piquerez/Macaluso), n. 494.
(2) Ministère public du canton de Vaud, Bilan 2013 de la criminalité pour le Ministère public vaudois, mars 2014.
(3) Ordre judiciaire vaudois, Rapport annuel de l’Ordre judiciaire vaudois 2013, avril 2014.
(4) Commission de gestion du pouvoir judiciaire, Compte rendu de l’activité du pouvoir judiciaire en 2013, avril 2014.
(5) ATF 130 IV 54 c. 3.3.1.
(6) Voir ATF 130 IV 54 c. 3.3.1, Andreas Auer, Giorgio Malinverni, Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse – volume II – Les droits fondamentaux, 3e éd., Berne 2013 (ci-après Auer/Malinverni/Hottelier), n. 1280, Yvan Jeanneret, André Kuhn, Précis de procédure pénale, Berne 2013 (ci-après Jeanneret/Kuhn), n. 4076 et réf. citées, Laurent Moreillon, Aude Parein-Reymond, CPP – Code de procédure pénale, Bâle 2013 (ci-après Moreillon/Parein-Reymond), n. 2 ad art. 5.
(7) Voir Moreillon/Parein-Reymond n. 3 ad art. 5, Piquerez/Macaluso
n. 496.
(8) Moreillon/Parein-Reymond n. 2 ad art. 5.
(9) Conseil fédéral, Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1105.
(10) ATF 130 IV 54, 54 s c. 3.3.1.
(11) Conseil fédéral, Message relatif à une nouvelle Constitution fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1, p. 183. Voir aussi Auer/Malinverni/Hottelier n. 1279.
(12) Arrêt du 6 octobre 2014, E-4371/2014.
(13) Voir Auer/Malinverni/Hottelier n. 1281 et réf. citées.
(14) ATF 124 I 139, 141 c. 2.b, Auer/Malinverni/Hottelier n. 1282, Moreillon/Parein-Reymond n. 16 ad art. 5.
(15) Voir notamment les art. 31 al. 3 s. Cst., 5 § 3 s CEDH, 9 § 3 s Pacte ONU II, 5 al. 2 CPP.
(16) Piquerez/Macaluso n. 495 et 498.
(17) ATF 130 I 269, 274 c. 3.3.
(18) ATF 130 I 269, 272 s c. 2.3, Auer/Malinverni/Hottelier n. 1283, Jeanneret/Kuhn n. 4079.
(19) ATF 130 I 312, 332 c. 5.1. Voir aussi Jeanneret/Kuhn n. 4079.
(20) Voir, plus en détail, Auer/Malinverni/Hottelier n. 1293 ss.
(21) Art. 219 CPP.
(22) Art. 131 al. 1 CPP.
(23) Art. 340 al. 1 lit. a CPP.
(24) ATF 135 I 265, 277 c. 4.4, 130 IV 54, 56 c. 3.3.3, Auer/Malinverni/Hottelier n. 1284, Moreillon/Parein-Reymond n. 4 ad art. 5, Piquerez/Macaluso n. 499.
(25) ATF 130 IV 54, 56 c. 3.3.3, Moreillon/Parein-Reymond n. 4 s. ad art. 5 et réf. citées.
(26) Voir ATF 130 IV 54, 56 s c. 3.3.3 et réf. citées.
(27) Auer/Malinverni/Hottelier n. 1287.
(28) ATF 130 IV 54, 57 c. 3.3.3.
(29) Voir Moreillon/Parein-Reymond n. 6 ad art. 5 et réf. citées.
(30) Voir TF, 15 juin 2012, 1B_313/2012, c. 3.2.
(31) Voir Auer/Malinverni/Hottelier n. 1286.
(32) Voir sur ces points Auer/Malinverni/Hottelier n. 1288 ss et réf. citées.
(33) Auer/Malinverni/Hottelier n. 1290. Voir aussi Moreillon/Parein-Reymond n. 9 ad art. 5 et réf. citées, Piquerez/Macaluso n. 503.
(34) Voir Auer/Malinverni/Hottelier n. 1290 et réf. citées.
(35) Art. 219 al. 4 CPP.
(36) Voir ATF 137 IV 92, 96 ss c. 3.2 s
(37) Art. 212 al. 3 CPP.
(38) ATF 130 IV 54, 55 ss c. 3.3.2, Jeanneret/Kuhn n. 4080.
(39) ATF 130 IV 54, 56 c. 3.3.2.
(40) ATF 130 IV 54, 55 c. 3.3.1, Jeanneret/Kuhn n. 4080 et réf. citées.
(41) Voir ATF 117 IV 124, 130 c. 4. e.
(42) ATF 130 IV 54, 56 c. 3.3.2. Voir aussi Auer/Malinverni/Hottelier n. 1297, Jeanneret/Kuhn n. 4080, Piquerez/Macaluso n. 503.
(43) Auer/Malinverni/Hottelier n. 1297, Jeanneret/Kuhn n. 4080.