A l’heure où l’on parle de mettre sur pied d’égalité toutes les formes d’union, il est un domaine où la tradition est bien ancrée, c’est celui du nom de famille. Selon les statistiques fédérales, seules 24% des femmes gardent leur nom de jeune fille au moment du mariage. Leur unique nom, sans qu’il soit suivi de celui de l’époux, tel que le prévoit le droit entré en vigueur en 2013 pour satisfaire aux exigences de l’égalité des sexes. Et cette tendance est déjà tellement bien établie qu’on en oublie que c’est l’exception qui devient la règle: le Code civil indique en effet que «chaque époux conserve son nom» (art.160 al 1.), les fiancés pouvant toutefois déclarer à l’officier de l’état civil vouloir porter un nom de famille commun (art.160 al. 2).
Et si cette réglementation provoquait l’effet inverse au but recherché? C’est ce que pensent certains sociologues et juristes, relayés au Parlement par la conseillère nationale Rebecca Ruiz. Diplômée en sciences sociales, elle observe que la réforme est une avancée en termes d’égalité juridique entre les femmes et les hommes, qui ne se concrétise toutefois pas dans la pratique. Au contraire. Le nouveau droit pousse les femmes à choisir le nom de l’époux, estime la politicienne, alors que, auparavant, elles pouvaient le faire précéder de leur patronyme de célibataire.
Le double nom (sans tiret entre les deux) a permis à quelques générations de femmes de conserver une marque de leur identité, tout en adoptant le nom de la famille. Une manière de concilier deux intérêts, qui n’a pourtant pas survécu à la dernière réforme.
Apparemment, c’est le souci de cohésion familiale qui l’emporte. Et les raisons pratiques ne manquent pas: dans bien des situations en effet, il est plus simple de s’appeler comme ses enfants. Car faut-il le préciser? Quand une femme a décidé de garder son nom de jeune fille, elle n’a guère de chances de l’imposer pour ses enfants. Selon la loi, le couple décide comment se nommeront ses chérubins, mais, là aussi, l’égalité n’est que théorique.
Et qui l’avait imaginé? Quand les conjoints vivent en union libre, la réforme lève de fait un privilège que conservait la mère sur ses enfants: avant 2013, elle leur donnait son nom, sauf demande des parents dûment motivée. Tandis qu’actuellement, en cas d’autorité parentale conjointe, c’est le couple qui décide, et on devine dans quel sens…
Pour Rebecca Ruiz, l’échec du nouveau droit est une raison suffisante pour réintroduire l’option du double nom légal. Une source de confusion pour la population, qui verrait ressurgir des éléments de l’ancien régime? C’est possible. Mais en la matière, bon nombre de pays occidentaux offrent une palette de choix comparable, voire encore plus large. Tout est question d’habitude. Et en Suisse, depuis son introduction en 1988, le double nom avait fini par entrer dans les mœurs.