plaidoyer: Dans la procédure de détention provisoire, le TMC est le garant des droits fondamentaux. Ce rôle a-t-il été relativisé par la jurisprudence du Tribunal fédéral?
Catherine Hohl-Chirazi: Je veux croire que non. Le Tribunal fédéral a rappelé en 2015 (ATF 142 IV 29) que le TMC doit jouer un rôle de contrepoids correctif face au Ministère public. Lorsqu’il contrôle la détention, sa mission est de veiller à la protection des droits fondamentaux du prévenu, en examinant en particulier la légalité et la proportionnalité de la mesure requise. Il est à ce titre un juge constitutionnel au sein de la procédure pénale. Le Tribunal fédéral a aussi précisé que le TMC ne peut pas statuer au-delà des conclusions prises par le Ministère public, ce qui l’empêche de prononcer la détention si elle n’a pas été requise. Il est vrai qu’il a laissé ouverte la question de savoir si le TMC peut prononcer des mesures de substitution plus incisives que celles demandées par le Ministère public. La réponse à cet égard ne saurait cependant être que négative, vu le rôle assigné au TMC.
Vincent Corpataux: Le TF a précisé le rôle joué par le TMC dans son arrêt de 2015, mais sans réduire, pour autant, son importance. Il a dit que, si le Ministère public requiert des mesures de substitution, le TMC ne peut pas ordonner une détention. Mais cela ne signifie pas que le TMC soit systématiquement limité par les conclusions du Ministère public. Car cela créerait des difficultés majeures et empêcherait notamment le TMC d’affiner les mesures de substitution requises par le Ministère public. Par exemple, si ce dernier demande un suivi médical, mais que le médecin concerné réclame, en plus, un suivi probatoire, le juge doit pouvoir apprécier lui-même si la mesure additionnelle est justifiée. Un autre exemple: si une caution de 5000 fr. est réclamée, il faut laisser au juge la possibilité d’adapter cette somme en fonction de la situation financière du prévenu telle qu’elle apparaîtrait lors de l’instruction menée sur ce point par le TMC. Il serait curieux qu’une autorité judiciaire soit totalement liée par les conclusions des parties, d’autant que l’art. 237 al. 5 CPP prévoit expressément que le TMC peut en tout temps révoquer les mesures de substitution ou en ordonner de nouvelles si des faits nouveaux l’exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui sont imposées. Le TMC n’est pas qu’une autorité d’enregistrement de leurs requêtes.
plaidoyer: Le TMC pourrait donc prononcer des mesures plus incisives que celles demandées par le Ministère public?
Vincent Corpataux: Le juge des mesures de contrainte est limité par des règles de droit et de jurisprudence, mais il doit pouvoir en effet ordonner dans certains cas des mesures plus lourdes que celles demandées par le Ministère public. Il faut lui laisser une marge d’appréciation. A quoi sert-il s’il ne fait que valider les mesures sur lesquelles les parties se sont mises d’accord? On risquerait alors d’aboutir à des solutions lacunaires ou incohérentes.
Catherine Hohl-Chirazi: Le juge du TMC n’est pas dépourvu de pouvoir d’appréciation puisqu’il peut, par exemple, prononcer des mesures de substitution au lieu de la détention, ou une mise en liberté au lieu de mesures de substitution. Mais il est un juge constitutionnel, chargé de la protection des droits fondamentaux du prévenu. Il n’a donc pas la compétence de prononcer des mesures plus dures que celles demandées par le Ministère public. Ce n’est pas son rôle. S’il constate, par exemple, que le montant d’une caution est bas par rapport aux moyens financiers d’un prévenu, ce n’est pas à lui de le modifier. C’est au Ministère public, qui est responsable de la conduite de la procédure pénale et de son bon déroulement, d’en faire la demande. A lui, le cas échéant, d’être présent lors de l’audience devant le TMC.
plaidoyer: Le Tribunal fédéral a créé un droit de recours du Ministère public contre les décisions du TMC, alors que le Code de procédure pénale n’en prévoit pas. Est-ce admissible?
Vincent Corpataux: Il est indispensable d’avoir un double degré de juridiction au niveau cantonal. Mais il est vrai que quand le Ministère public recourt contre une demande de mise en liberté, le prévenu reste en détention pendant quelques jours, en attendant la décision de l’autorité de recours. Aucune base légale ne le prévoit, mais c’est inévitable. Sans cela, le prévenu serait libéré avant que les risques de fuite, de collusion ou de récidive ne puissent être examinés par l’autorité de recours. Et le TF a posé des exigences strictes pour raccourcir la durée de cette détention.
Catherine Hohl-Chirazi: Il est probablement logique que le Ministère public dispose d’une voie de recours cantonale, à l’instar du prévenu. Toutefois, en reconnaissant un effet suspensif inhérent à ce recours, le Tribunal fédéral est allé trop loin. Il a «tordu» la lettre claire du CPP et privé le TMC de l’un de ses attributs essentiels, le droit de mettre en liberté de manière effective pour confier ce pouvoir à l’autorité de recours. Cette jurisprudence s’inscrit, selon moi, dans une tendance de plus en plus marquée à ne plus avoir confiance en la capacité des juges d’apprécier les risques. On court à tout prix derrière l’illusion de mieux maîtriser ces risques par l’instauration d’un double contrôle.
Vincent Corpataux: Cela n’a rien à voir avec un manque de confiance dans le TMC. Cela n’aurait simplement pas de sens que l’autorité de recours ordonne la détention, alors que l’un des risques (fuite, collusion ou récidive) a pu se réaliser en raison de la mise en liberté préalable du prévenu. Dans ce contexte, personne ne comprendrait qu’une libération survienne, alors qu’un recours est pendant et qu’il peut être traité en l’espace de quelques jours.
plaidoyer: La tendance sécuritaire qui se développe dans la société depuis quelques années toucherait-elle aussi l’activité du Tribunal des mesures de contrainte?
Vincent Corpataux: La tendance sécuritaire que vous évoquez pourrait jouer un rôle dans l’examen du risque de récidive. Mais, dans la plupart des cas, ce sont les risques de fuite ou de collusion que l’on craint: cela n’a rien à voir avec une perspective sécuritaire.
Catherine Hohl-Chirazi: L’effet suspensif dont nous avons discuté participe, à mon avis, de cette tendance sécuritaire. A vouloir maîtriser totalement les risques, on empêche la mise en liberté immédiate. Cela se passait différemment avant 2011. Ainsi, à Genève, on partait du principe que l’autorité décidant de la libération pondérait les risques de manière correcte. Il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement aujourd’hui avec le TMC. Celui-ci est supposé juger selon le droit et non en fonction de l’opinion publique.
plaidoyer: Le TF a épinglé plusieurs fois des prisons, en particulier Champ-Dollon, pour des conditions de détention illicites. Le juge des mesures de contrainte devrait-il examiner ces conditions quand il se prononce sur une détention?
Catherine Hohl-Chirazi: Le TMC devrait examiner les conditions de la détention non seulement quand il est saisi d’une requête à ce sujet, mais à chaque fois qu’il examine une demande de mise en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté ou de prolongation. Cela découle des recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, selon lequel, face à la croissance immaîtrisée de la population carcérale, il convient de recourir le plus possible à des alternatives à la prison, autrement dit des mesures de substitution.
Vincent Corpataux: Le TMC est compétent pour examiner les conditions de détention, quand il est saisi d’une demande du prévenu portant sur cette question. Mais les mauvaises conditions d’incarcération, comme le manque d’espace, ne constituent pas un motif de libération. Nous ne serions d’ailleurs pas en mesure de les examiner quand nous statuons sur une demande de détention, dans le délai de 48 heures qui nous est imparti.
Catherine Hohl-Chirazi: A son article 36 al. 4, la Constitution fédérale prévoit que l’essence des droits fondamentaux est inviolable. La restriction d’un droit fondamental doit par ailleurs répondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité. Selon ces principes, les conditions de détention doivent être prises en compte dans la pondération des intérêts en présence, lorsqu’il s’agit de décider d’une mise en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté. C’est, à mon sens, évident lorsque l’incarcération doit intervenir dans un établissement où la surpopulation est notoire et où le risque de violation de l’art. 3 CEDH est clair, ce qui a été le cas par exemple à la prison de Champ-Dollon en 2014, en tout cas. Le juge des mesures de contrainte ne peut pas tout simplement l’ignorer lorsqu’il est appelé à autoriser une détention. Dans ces situations en particulier, on attend davantage de créativité de sa part pour trouver des mesures de substitution à la détention qui permettent d’éviter l’incarcération.
Vincent Corpataux: Il est vrai que les conditions sont parfois dramatiques à Champ-Dollon, ou dans les zones carcérales de la police vaudoise. Nous rendons des décisions concernant leur illicéité, quand nous sommes saisis de cette question. Mais, je le répète, selon la jurisprudence, les conditions illicites ne sont pas un motif de libération. Et, s’agissant des mesures de substitution, les statistiques montrent qu’elles ne sont pas oubliées, puisque la tendance de leur prononcé est à la hausse.
Catherine Hohl-Chirazi: Je m’en réjouis.
Catherine Hohl-Chirazi, 45 ans, avocate à Genève, Dr en droit, auteure d’une thèse intitulée «La privation de liberté en procédure pénale suisse: buts et limites» (Ed. Schulthess, 2016).
Vincent Corpataux, premier président du Tribunal des mesures de contrainte et d’application des peines du canton de Vaud, Dr en droit et titulaire du brevet d’avocat.
Les compétences du Tribunal des mesures de contrainte
Le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) a été institué en 2011 pour faire contrepoids au Ministère public qui, dans la phase d’instruction, dispose de pouvoirs très étendus. Le TMC est compétent principalement pour ordonner la détention provisoire lors de l’instruction pénale, en cas de risque de fuite, de collusion ou de récidive. Il est aussi compétent pour statuer sur les demandes de mise en liberté ou autoriser d’autres mesures portant atteinte aux droits fondamentaux des prévenus, comme, par exemple, la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication ainsi que des relations bancaires, le cautionnement préventif, le prélèvement d’échantillons d’ADN lors d’enquêtes de grande envergure ou la mission d’un agent infiltré.
Il peut aussi décider de l’hospitalisation du prévenu à des fins d’expertise et d’une limitation temporaire des relations avec le défenseur, en cas de risque d’abus. C’est aussi le TMC qui ordonne, ou non, la levée des scellés si celui qui fait l’objet d’un séquestre s’oppose à l’exploitation des pièces saisies. Les mesures de contrainte font l’objet des articles 196 à 298 du Code de procédure pénale.