«Il est en principe logique que l’autorité fédérale de poursuite pénale soit responsable des affaires importantes. Le Ministère public de la Confédération n’a cependant toujours pas démontré qu’il le faisait mieux que les instances cantonales.» C’est en ces termes que le professeur de droit pénal et conseiller aux Etats, Daniel Jositsch (PS/ZH), nous fait part de son agacement vis-à-vis du Ministère public de la Confédération (MPC). Agacement qu’il a d’ailleurs exprimé lors d’un postulat, dans lequel il demande au Conseil fédéral d’examiner si la structure, l’organisation, la compétence ainsi que la surveillance du MPC sont appropriées et suffisantes. Déposée en juin 2019, sa demande a été transmise en septembre 2019 à la commission compétente pour examen préalable.
Loin d’être une surprise, cette intervention trouve son fondement dans les nombreuses critiques que subit le MPC. Cela fait en effet des années que cette instance est remise en cause par des voix s’élevant de différents partis. Les changements de personnel n’y ont rien fait. Reste donc à savoir s’il ne s’agit pas plutôt d’un problème structurel.
Une histoire d’échecs
Daniel Jositsch rappelle qu’en matière de poursuites pénales, la priorité revient presque systématiquement aux cantons. «Le MPC n’a pas toujours les bonnes compétences. En d’autres termes, il se révèle souvent inapte dans des cas où une compétence fédérale aurait pourtant tout son sens et où il serait bon d’avoir une autorité supérieure disposant du savoir-faire approprié.» Un constat critique que l’histoire ne peut que confirmer.
Le parcours du MPC est en effet marqué par les échecs. Les exemples sont nombreux. Nous en citerons trois. D’abord, l’affaire contre les Hells Angels. Le MPC a enquêté pendant huit ans. A la fin de 2011, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a suspendu le procès en raison de l’état «chaotique» des preuves figurant au dossier du MPC. Ces dernières étaient, selon le TPF, incomplètes et présentées de manière incompréhensible. La procédure a finalement abouti en septembre 2012. Au départ, le MPC soupçonnait les Hells Angels de constituer une organisation criminelle. Il n’a jamais pu étayer cette accusation.
Prenons ensuite l’exemple de l’affaire Holenweger. Ancien banquier, Oskar Holenweger a notamment été accusé de blanchiment d’argent et de corruption. Il a attendu près de huit ans avant d’obtenir un verdict. Tombé en avril 2011, celui-ci s’est révélé quelque peu surprenant: acquittement intégral. Le TPF a en effet estimé que la procédure d’enquête à l’encontre d’Oskar Holenweger était «illégale» depuis le début.
Enfin, rappelons le cas des Tigres Tamouls. Le MPC avait en l’occurrence aussi enquêté durant des années. De nouveau, presque en vain. En juin 2018, seuls cinq des treize accusés ont été reconnus coupables d’escroquerie et condamnés à des peines avec sursis. Ils ont en revanche tous été acquittés de l’accusation de participation ou de soutien à une organisation criminelle. Acquittements en partie dus au fait que le Tribunal fédéral a estimé que les interrogatoires menés au Sri Lanka, dans des circonstances douteuses, ne pouvaient pas être utilisés.
Doublement des coûts en dix ans
Les décisions du TPF ne sont pas les seules à ne suivre que rarement les positions du MPC. Il n’est pas rare non plus que le TPF renvoie des actes d’accusations qu’il estime insuffisants. On décompte ainsi cinq rejets en 2015, six en 2013 et en 2017. Rédiger des actes d’accusation qui tiennent la route devant les tribunaux devrait pourtant faire partie de l’ADN du MPC.
L’une des raisons les plus fréquentes de ces renvois réside dans la violation de la maxime d’accusation. Le TF a en effet souvent estimé que l’acte d’accusation n’était pas formulé de manière suffisamment claire. Or, il est crucial que le prévenu comprenne exactement ce qu’on lui reproche.
Depuis 2008, le nombre annuel de mises en accusation devant le TPF fluctue entre 12 et 49. En 2018, le MPC en a déposé 24. Si ces chiffres restent relativement constants, tel n’est par contre pas le cas du côté du personnel du MPC. En 2008, on y comptait 118 postes à temps plein. Dix ans plus tard, ce nombre est passé à 229, soit presque le double. Dans la même période, les frais annuels des procureurs fédéraux ont aussi doublé, passant de 29,5 à 60,4 millions de francs.
D’aucuns estiment qu’un tel bilan ne peut qu’appeler à une réforme du système. Professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg, Marcel Alexander Niggli rappelle que le MPC a été créé pour soulager les petits cantons qui étaient surchargés avec des cas complexes de criminalité économique. Il cite l’exemple du Ministère public du canton de Schwytz, qui était resté aux prises avec l’affaire de l’European Kings Club pendant deux ans. La complexité était telle que l’autorité «ne pouvait plus faire face aux affaires courantes».
Contrairement à certains Ministères publics, les petits cantons n’ont pas de procureur spécialisé qui peut poursuivre des affaires plus importantes sur plusieurs années. De ce fait, «les trois quarts des cantons dépendent du MPC». Le professeur fribourgeois en est donc convaincu: l’existence du MPC est indispensable. «On peut cependant discuter du type d’infractions qu’il devrait poursuivre, à l’exception des cas de criminalité économique, dont il devrait d’office se charger.»
Niklaus Ruckstuhl partage cet avis. Professeur de droit pénal à l’Université de Bâle, ce dernier reconnaît qu’il est important qu’une autorité fédérale puisse représenter la Suisse sur un plan international. Il estime néanmoins qu’il est «plus difficile de justifier l’utilité d’une telle autorité dans les cas où la procédure ne concerne qu’un ou plusieurs cantons». Selon lui, il serait dès lors logique de réduire la taille du MPC.
Surestimation du travail
Les critiques fusent aussi du côté des avocats. Figure controversée du milieu juridique, Valentin Landmann est aussi l’une des stars du barreau zurichois. C’est à ce titre qu’il confirme que «le MPC a engagé un certain nombres de procédures contre de prétendues organisations criminelles sans jamais obtenir de résultats tangibles». Valentin Landmann va plus loin et reproche à l’instance fédérale d’amplifier sa charge de travail et de se mettre en spectacle. Il ne s’étonne absolument pas du fait que le TPF doive rejeter certains actes d’accusation. Selon lui, «le travail de tous les procureurs fédéraux réunis équivaut au même résultat que celui d’un procureur général d’un seul canton». Le MPC dans sa forme actuelle n’aurait ainsi aucun sens. Autant d’arguments à l’appui desquels l’avocat zurichois prône «le retour à une plus petite autorité, qui s’occuperait des atteintes à la sécurité de l’Etat, de la contrefaçon des billets de banque ou encore des cas d’assistance juridique qui ne peuvent être attribués aux cantons».
Critiques rejetées
Collaborateur au sein du MPC, Daniel Venetz rejette toutes les critiques. Il souligne que les responsabilités du MPC le poussent à traiter un grand nombre de procédures, dans des domaines variés et parfois très complexes. Pour ce qui est de l’augmentation du personnel depuis 2008, elle découlerait du changement de statut du MPC. Rappelons en effet que, depuis 2011, ce dernier a quitté les structures du Département fédéral de justice et police et de l’Administration fédérale. «Cette auto-administration prescrite par la loi a nécessité la création de postes et de services internes, notamment au sein du Secrétariat général.» Daniel Venetz précise également que le mandat du MPC ne cesse de s’élargir, suivant le développement des bases juridiques et de la pratique.
Ministère public de la Confédération
Le Ministère public de la Confédération (MPC) existe, sous sa forme actuelle, depuis 2002. C’est à ce moment-là qu’il est passé de petite instance à autorité centrale, censée s’occuper, entre autres, des organisations criminelles. Le MPC enquête et dépose des actes d’accusation en cas d’infractions soumises à la juridiction fédérale, telles qu’énumérées aux articles 23 et 24 du Code de procédure pénale suisse. Il peut s’agir d’infractions classiques portant atteinte à la sécurité de l’Etat ou d’affaires intercantonales ou internationales de criminalité organisée, blanchiment d’argent ou corruption.