Lorsque la communauté internationale a adopté la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (ci-après la convention ou CDE), de nombreux Etats n'ont pas examiné le titre du traité. Pour le plus grand nombre, il s'agissait de ratifier un texte destiné à assurer une meilleure protection des enfants contre divers périls et formes d'exploitation (l'enfant vulnérable) et de fortifier la position de l'enfant par rapport aux débiteurs de prestations: alimentation, hébergement, éducation, santé (l'enfant dépendant). La composante «droits», pourtant largement exposée par le législateur, n'a pas été perçue, alors qu'elle représente la modification significative de la CDE, consacrant un regard nouveau sur l'enfant, doté de compétences certes en développement, mais qui justifie une position sensiblement différente dans les relations que la société entretient avec lui.
La convention promulgue des dispositions que l'on nomme «principes généraux», qui formalisent le nouveau statut de l'enfant, détenteur de droits.
• Art. 2: principe de la non-discrimination ou droit de chaque enfant à ne pas être discriminé.
• Art. 3: droit de l'enfant à ce que toute décision à son égard soit examinée sous l'angle de son intérêt supérieur.
• Art. 6: droit à la vie, survie et au développement, base évidemment du respect de la dignité de l'enfant et de sa personnalité en développement, ou droit de l'enfant d'être considéré comme une personne digne de droits.
• Art. 12: droit de l'enfant d'être entendu dans toutes les décisions qui le concernent, considéré très souvent comme le fondement du droit de l'enfant «à participer».
En établissant ces règles de base, la convention a reconnu l'enfant comme une personne à part entière avec qui les parents, les adultes en général et l'Etat doivent compter et pour laquelle ils doivent (ré)aménager leurs rapports juridiques: donc un changement complet qu'inaugure la CDE dans les relations enfants - adultes.
L'art. 12 CDE
Parmi toutes les dispositions qui fondent l'expression «enfant, sujet de droits», il y en a une qui focalise l'attention: c'est l'article 12 ou l'idée que l'enfant détient assez de compétences pour influencer le cours de son existence et exprimer son opinion, notamment lorsque des décisions sont prises qui ont un impact direct ou indirect sur sa vie.
Souvent, cette disposition est traduite par «participation». Même si la convention n'utilise pas le mot participation ni à l'art. 12 ni dans les articles qui lui sont liés (art. 3, 5, 13, 17), il exprime surtout l'idée nouvelle de l'enfant qui peut prendre une part active à la vie de la société. Il y a bien sûr différents niveaux, domaines, formes de participation, selon que l'enfant est impliqué, à titre individuel, dans une décision à prendre à son égard, ou qu'il se trouve concerné dans un processus plus large de consultation, comme appartenant à un groupe collectif d'enfants.
Analyse littérale
1. L'art. 12, pararagraphe 1 établit que les Etats garantissent que l'enfant capable de discernement puisse exercer son droit d'être entendu. «Garantir» est un terme juridique fort qui exprime une obligation: l'Etat doit prendre toutes les mesures pour permettre la réalisation complète de ce droit. Cette obligation revêt deux aspects:
• mettre en place les mécanismes pour recueillir la parole de l'enfant, notamment dans les procédures;
• prendre les dispositions nécessaires pour accorder à l'opinion de l'enfant un poids particulier, c'est-à-dire se donner les moyens d'apprécier sa capacité d'exprimer valablement son opinion en relation avec son âge et son degré de maturité.
2. «...l'enfant qui est capable de discernement...»: les Etats doivent garantir le droit à exprimer son opinion à tout enfant qui est capable de discernement.
Les législateurs de la convention n'ont pas fixé d'âge minimal pour entendre un enfant, ne voulant pas restreindre la portée de l'obligation, et ont pensé qu'il était possible d'entendre même les très jeunes. L'idée est que les enfants sont supposés capables de former leur propre opinion (présomption de capacité) et que ce n'est pas à eux de démontrer qu'ils sont effectivement aptes à s'exprimer. Le fardeau de la preuve est sur les épaules du décideur. Changement clair de l'image de l'enfant, vu pendant des millénaires comme incapable, muet et non compétent!
Une question de «discernement»?
La définition classique du discernement exige deux éléments:
• la faculté intellectuelle d'apprécier raisonnablement la portée d'une action et
• la faculté de se déterminer librement par rapport à cette action.
Ici, on ne peut soutenir que le droit de l'enfant d'exprimer son opinion serait complètement dépendant de cette double condition. En effet, le fait de détenir complètement la faculté intellectuelle de comprendre la portée de l'action «exprimer son opinion»
et de se déterminer librement d'après cette compréhension serait en contradiction avec l'absence de limite d'âge et aboutirait à exclure une grande partie des moins de
18 ans de ce droit.
Dès lors, la traduction de la version anglaise: «...the child who is capable of forming his or her views...» par discernement, ne doit pas être comprise comme une définition stricte du terme «discernement», mais plutôt comme la recherche par le décideur de la capacité de l'enfant de se former sa propre opinion sur la cause à juger, ce qui est très différent.
3. «...d'exprimer librement son opinion...»: l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion: librement signifie que l'enfant ne doit pas être «manipulé», donc soumis à influence. Librement est aussi en relation avec l'opinion propre de l'enfant et non celle d'un autre, qu'il ferait sous dictée, sous pression, sous influence ou de manière telle que son avis aurait été détourné de l'avis originel.
Audition directe par le juge?
A mon expérience, l'audition directe de l'enfant par le juge devrait être privilégiée par l'autorité chaque fois que cela est possible. Pour prendre un exemple, le Tribunal fédéral a tranché que le juge doit dans la règle procéder à l'audition de l'enfant lui-même et ne doit pas déléguer de manière systématique cette audition à des tiers2, sauf si la spécialisation est nécessaire3. La grande difficulté ici est la formation des magistrats ou des personnes appelées à décider; dans la plupart des pays, les magistrats ne sont pas préparés spécialement à cette tâche, voire la redoutent.
Il est évident que les Etats doivent offrir un cadre qui prenne en compte la situation individuelle de chaque enfant et qui propose un certain climat de bienveillance pour lui permettre de se sentir en sécurité.
La CEDH, dans un arrêt de 2003, a estimé qu'il serait excessif d'imposer systématiquement une audition de l'enfant en audience, laissant l'opportunité de la décision au juge; mais elle conclut néanmoins que tout enfant impliqué dans une procédure engagée par l'un de ses parents doit être entendu dans un cadre adapté4.
Combien de fois l'enfant peut-il être interrogé? On sait que son audition est un exercice très difficile: les risques de victimisation secondaire des enfants victimes ont été largement mis en évidence. La CDE ne répond pas non plus à cette question et laisse le soin aux dispositions nationales de la régler. Pour la situation de la Suisse, on relèvera le cadre très explicite de la révision de la LAVI5.
L'information de l'enfant
Le droit d'exprimer librement son opinion suppose que l'enfant a été informé de la question l'intéressant et des conditions dans lesquelles il va pouvoir faire connaître son point de vue. Ce droit à l'information paraît essentiel parce qu'il détermine le degré de liberté ou d'autonomie de l'enfant.
4. «...son opinion sur toute question l'intéressant...»
Les Etats doivent assurer le droit à être entendu sur toute question intéressant l'enfant. L'exercice de recueillir la parole de l'enfant est lié à la condition que la question débattue ait une relation d'intérêt avec celui-ci.
L'intérêt direct veut dire que la décision affecte (expression anglaise utilisée dans l'art 12) l'enfant dans son mode de vie, dans ses relations avec sa famille ou dans l'exercice de ses droits, tels que reconnus par la CDE et par les différentes législations nationales.
5. «...les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.»
Il n'est pas suffisant de recueillir la parole de l'enfant, encore le décideur doit-il accorder une considération particulière à celui-ci. Les critères importants:
• l'âge n'est pas le seul élément à prendre en compte, mais constitue un élément objectif;
• la maturité est liée plus à la faculté de comprendre qu'à l'âge; elle requiert de l'Etat un examen individualisé; le degré de formation, l'expérience, les relations sociales de l'enfant, le soutien qu'il a de ses parents ou de ses pairs, sa culture, son émancipation, sont des éléments à prendre en compte. On peut dire que la maturité de l'enfant, c'est sa capacité de s'exprimer de manière raisonnable, sincère et objective sur des situations difficiles et délicates;
• le lien direct qui existe entre l'impact potentiel de la décision sur l'enfant et la décision elle-même importera; si les conséquences sont très immédiates et indiscutables, le poids donné à son opinion sera plus important.
Valeur de la parole de l'enfant
Quelle est la valeur intrinsèque de la parole de l'enfant? Il est impossible de répondre de manière absolue et abstraite à une telle question. Chaque enfant est un cas particulier.
Le juge n'est pas lié par cette parole, il peut lui accorder ou non de l'importance, en relation avec l'ensemble des éléments de la cause qu'il est en train d'instruire. La parole de l'enfant est donc un des éléments de l'affaire, mais pas l'élément de preuve déterminant.
Les étapes du droit d'être entendu
Après cette analyse littérale, voilà les cinq étapes qui doivent être respectées pour garantir le droit de l'enfant d'être entendu.
1. Le droit de l'enfant d'être informé de sa situation: le décideur doit le préparer de manière appropriée à l'exercice du recueil de son opinion, en lui expliquant comment cela va se passer, dans quel lieu et quel aménagement, par qui et selon quelles règles procédurales; l'enfant doit être au courant de l'identité et de la qualité des participants.
2. Le recueil de l'opinion de l'enfant (partie technique): l'exercice du droit de l'enfant d'exprimer son opinion se concrétise par la possibilité pratique qui lui est donnée de s'exprimer sur la question débattue. L'environnement dans lequel se déroule cette audition doit être particulièrement adapté aux conditions personnelles (âge, vulnérabilité, handicap...) et doit, dans la règle, se faire à huis clos.
3. La détermination de la capacité de l'enfant d'exprimer sa propre opinion: le décideur, doit procéder à un examen individuel de la capacité de l'enfant d'exprimer son opinion et de déterminer, eu égard à l'âge et au degré de maturité de celui-ci, quel poids particulier il va accorder à cette opinion dans sa démarche de prise de décision.
4. La décision: la décision est
de la compétence exclusive de l'adulte. Il faut absolument éviter de faire croire à l'enfant que c'est lui qui tranche ou de le mettre dans une position où il ne peut pas s'exprimer librement.
5. Information sur la considération accordée à l'opinion de l'enfant: une fois que la décision a été rendue, le décideur doit informer l'enfant du résultat de la procédure, notamment des différentes démarches accomplies, des intérêts en présence et du poids qu'il a accordé à l'opinion de l'enfant intéressé. C'est une composante intégrale du droit d'être entendu. C'est aussi une garantie que l'opinion de l'enfant n'est pas seulement un prétexte, mais bien une opération sérieuse qui a des conséquences.
Art. 12 et art. 3 CDE
Il est utile d'évoquer le lien entre le droit d'être entendu et l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3 paragraphe 1 CDE). La relation de l'art. 3 avec l'art. 12 CDE est simple: comment un décideur peut-il établir l'intérêt supérieur de l'enfant, sans prendre connaissance son opinion?
L'article 3 établit un idéal à atteindre: le bien-être de l'enfant; l'art. 12 fixe une méthode simple pour le déterminer: permettre à l'enfant d'exprimer son opinion sur cette visée.
Il ne faut pas voir un antagonisme entre ces deux articles: l'art 12 CDE vient en appui de l'article 3 CDE en l'aidant à remplir sa fonction et l'article 3 CDE, en offrant la possibilité à l'enfant d'influencer l'établissement de son intérêt supérieur, grâce au poids accordé à son opinion, donne à l'article 12 toute sa justification et lui évite de n'être qu'un droit rhétorique.
Conclusion
La convention ouvre la possibilité d'intégrer, au fur et à mesure de leur développement, les moins de 18 ans dans la vie de leurs familles, des communautés, de la Cité. Ce processus de reconnaissance de droits attachés à leur personne et l'exercice de ceux-ci pour le bien commun sont révolutionnaires dans le domaine des droits humains. D'autres angles de vues ont démontré depuis longtemps que l'enfant disposait de facultés exceptionnelles et pouvait être un acteur de son propre développement. Mais le fait que le droit, grâce à la convention, fasse passer l'enfant de la position d'objet de notre sollicitude à celle de détenteur de droits personnels, signifie très clairement le démarrage d'une nouvelle dynamique démocratique.
Cette position vient d'être confirmée, au niveau européen, par les «Lignes directrices du Conseil de l'Europe pour une justice adaptée aux enfants», adoptées le 17 novembre 20106. Ces directives mettent très clairement en avant (art. 41 à 49) le droit de l'enfant d'être entendu et l'obligation pour les Etats de rendre cette audition non seulement possible, mais de la considérer comme une étape indispensable dans toutes procédures (civiles, pénales, administratives), menées à l'égard des enfants.
Ecouter l'enfant pour déterminer quelle est la meilleure solution pour lui dans les situations de la vie tant judicaire et administrative que législative de la cité est bien lui manifester l'intérêt que nous lui portons. C'est évidement reconnaître ses besoins de protection et de prestations, mais c'est surtout reconnaître son statut de personne et non seulement d'adulte en devenir.
Jean Zermatten, directeur de l'Institut international des droits de l'enfant1
1Et vice-président du comité des droits de l'enfant
2ATF133III553.
3ATF 227 III 295.
4ACEDH S c. /Allemagne, 08.08.2003
5LAVI ou Loi fédérale du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes d'infractions (Loi sur l'aide aux victimes, LAVI), modifiée le 23.3.2007, entrée en vigueur le 1.10.2009, (RS 312.5).