L’art. 8a al. 3 lit. d de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) prévoit que les offices ne portent pas à la connaissance de tiers les poursuites pour lesquelles le débiteur a déposé une demande de non-divulgation, à moins que le créancier, réel ou supposé, ne prouve dans un délai de 20 jours qu’il a engagé une procédure de levée de l’opposition. Introduite en 2019, cette réforme vise à faire radier plus rapidement et à moindre coût les poursuites injustifiées. Un objectif honorable qui semble toutefois difficile à atteindre, compte tenu de la sévérité de la pratique judiciaire.
Le Tribunal fédéral a montré la voie, en limitant sensiblement le champ d’application de l’art. 8a al. 3 let. d LP dans trois arrêts très remarqués. Il a tout d’abord retenu que l’introduction d’une requête de mainlevée s’opposait à la radiation de l’inscription de la poursuite concernée, même si le débiteur avait obtenu gain de cause dans cette procédure.
Dans un deuxième cas, le TF a également statué en défaveur du débiteur. Il a ainsi estimé que l’inaction du créancier pendant plus d’un an, de sorte que son droit de continuer la poursuite est périmé (art. 88 al. 2 LP), ne permet pas au poursuivi d’exiger la non-divulgation de la poursuite. Le poursuivi doit donc déposer sa demande au plus tard 20 jours avant l’expiration du délai d’un an prévu à l’art. 88 al. 2 LP.
Enfin, dans un troisième arrêt, le TF a précisé qu’une personne poursuivie ne pouvait pas se fonder sur l’art. 8a al. 3 let. d LP si elle avait payé la créance en question après l’introduction de la poursuite.
La troisième décision a été approuvée par la doctrine, mais pas les deux premières. En cause, le fait que de telles restrictions n’aient jamais été abordées dans les débats parlementaires, mais aussi qu’elles soient contraires à l’objectif de la réforme. En réponse à ces deux arrêts, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a déposé, en janvier 2022, deux initiatives parlementaires (22.400 et 22.401, «Possibilité de ne pas communiquer les inscriptions dans le registre des poursuites»). La Commission des affaires juridiques du Conseil des États a approuvé ces initiatives et la Commission des affaires juridiques du Conseil national est en train d’élaborer un projet.
Principales décisions des tribunaux cantonaux
Ces quatre dernières années, les tribunaux cantonaux se sont également penchés sur plusieurs questions de fond en rapport avec l’art. 8a al. 3 lit. d LP. Voici une sélection des décisions les plus importantes.
• Absence d’opposition ou d’opposition partielle: Si la personne poursuivie ne fait pas opposition, l’art. 8a al. 3 let. d LP ne s’applique pas. En agissant ainsi, le poursuivi laisse en effet entendre que la poursuite est justifiée. Il en va de même lorsqu’il n’a fait opposition que pour une partie de la créance – typiquement pour des frais de recouvrement inclus.
• Pas de requête de mainlevée de l’opposition: En principe, outre la mainlevée (articles 80 et 82 LP), l’action en reconnaissance de dette (article 79 LP) est également considérée comme une «procédure d’annulation de l’opposition» au sens de l’art. 8a al. 3 let. d LP. Il n’y a cependant action en reconnaissance de dette que si une demande de levée de l’opposition est déposée en plus de la demande en paiement.
Une demande de mainlevée de l’opposition ne sert exceptionnellement pas de preuve au sens de l’art. 8a LP lorsque le créancier ne peut pas déposer une telle requête pour des raisons de procédure – par exemple lorsqu’il doit réclamer la créance mise en poursuite devant un tribunal étranger ou un tribunal arbitral. De même, il n’est pas possible d’exiger du créancier qu’il dépose une requête de mainlevée de l’opposition s’il a introduit une demande avant le dépôt de la poursuite ou de l’opposition et qu’une modification de la demande n’est plus admissible.
• Pas de dépôt de plainte dans les trois mois: La seule action procédurale consistant à déposer une requête de conciliation a pour effet que la voie de la non-divulgation de la poursuite prévue par l’art. 8a al. 3 let. d LP n’est plus ouverte au débiteur, et ce même si le poursuivant n’a pas déposé l’action au fond dans le délai de trois mois à compter de la délivrance de l’autorisation de procéder.
• Pas de participation à l’audience de conciliation: Il en va autrement lorsque le créancier ne se présente pas à l’audience de conciliation. Dans ce cas, la requête de conciliation est considérée comme retirée, ce qui supprime «l’ouverture» de la procédure de mainlevée correspondante. Le délai de trois mois prévu à l’art. 8a al. 3 let. d LP recommence à courir à partir du classement de la procédure de conciliation. Le créancier est alors libre de déposer une deuxième requête de conciliation – pour autant qu’il ait retiré la première en émettant des réserves (art. 208 al. 2 CPC). La seconde demande de conciliation ouvre une nouvelle procédure de mainlevée de l’opposition.
• Agir pour un montant partiel suffit: Une requête de non-divulgation au sens de l’art. 8a al. 3 let. d LP ne peut être acceptée que si le créancier est resté complètement inactif. En d’autres termes, la requête de non-divulgation peut être refusée même lorsque le créancier n’engage une procédure de mainlevée de l’opposition que pour un montant partiel de la créance mise en poursuite.
• Paiement d’une partie de la dette après l’introduction de la poursuite: Si la personne poursuivie ne paie pas la totalité, mais une partie prépondérante de la créance mise en poursuite, elle ne peut pas déposer une demande de non-divulgation à des tiers au sens de l’art. 8a al. 3 let. d LP.
Il en va autrement lorsque la personne poursuivie a déjà payé la créance avant l’ouverture de la poursuite. Dans ce cas, la poursuite est sans aucun doute injustifiée. La notification du commandement de payer est considérée comme une ouverture de la poursuite.
• Légitimation: Si l’office des poursuites accepte une demande de non-divulgation, le créancier concerné n’est pas autorisé à contester cette décision. Ce dernier n’est en effet pas partie à la procédure de non-divulgation de la poursuite, puisqu’il n’a aucun droit à exiger que sa poursuite soit mentionnée dans le registre des poursuites ❙
1 ATF 147 III 41, c. 3.
2 ATF 147 III 544.
3 ATF 147 III 486, c. 3.
4 Tribunal de district de Zurich, arrêt CB190069 du 16.5.2019, c. 3.
5 Tribunal de district de Lucerne, arrêt 3E1 19 3 du 15.3.2019, c. 7.3.5.
6 Cour suprême du canton de Soleure, arrêt SCBES.2020.70 du 28.9.2020, c. 2.1 f.; Tribunal cantonal de Fribourg, arrêt 105 2019 138 du 3.12.2019, c. 2.2; Cour suprême du canton d’Argovie, arrêt KBE.2021.21 du 26.8.2021, c. 4.3.
7 Cour suprême du canton d’Argovie, arrêt KBE.2021.21 du 26.8.2021, c. 4.3.
8 Tribunal cantonal de Fribourg, arrêt 105 2021 13 du 22.3.2021, c. 2.1.2.
9 Tribunal cantonal de Saint-Gall, arrêt AB.2021.28 du 5.10.2021, c. II. 4.a.
10 Cour suprême du canton de Zurich, arrêt PS210234 du 28.3.2022, c. 3.2.
11 Cour suprême du canton de Schaffhouse, arrêt 93/2020/23du 19.10.2021, c. 2.2.
12 Tribunal de district de Zurich, arrêt CB190077 du 27.8.2019, c. 3.2.
13 Cour suprême du canton de Zoug, arrêt BA 2019 5 du 3.4.2019, c. 1.3.2.