Aujourd’hui déjà, les assureurs bénéficient d’un droit unilatéral de modification des primes. Prévues dans la plupart des contrats, ces clauses d’adaptation des primes font l’objet de nombreuses décisions de la part du Tribunal fédéral, qui en a fixé les limites et les conditions.
Malgré cela, le Conseil fédéral se montre prêt à creuser l’écart entre les droits et devoirs des assurances et ceux des consommateurs. Appelé à élaborer une révision partielle de la loi sur le contrat d’assurance (LCA), il a proposé en juin dernier d’inscrire un nouvel article 35. Son objectif: permettre aux assureurs de revoir, ultérieurement et unilatéralement, les conditions générales. Seule exigence, le client doit en être informé «suffisamment à l’avance» et disposer du droit de résilier.
Des modalités choquantes, selon Stephan Fuhrer, professeur titulaire en droit des assurances privées à l’Université de Fribourg: «Cette disposition est des plus problématiques.» Le spécialiste craint que les assurés, en particulier dans les assurances de personnes, ne se retrouvent constamment obligés d’accepter les modifications annoncées. Il cite pour exemple les clients d’un certain âge, pour lesquels il s’avère souvent impossible de changer d’assureur. «Disposer du droit de résilier ne leur sert alors tout simplement à rien.»
Le projet de loi se révèle tout aussi délicat d’un point de vue conceptuel. Professeur de droit privé à l’Université de Fribourg, Thomas Probst rappelle en effet que l’accord d’un droit de modification ultérieure et unilatérale des prestations contractuelles va à l’encontre des principes généraux du droit des obligations (N 321 ss du Handkommentar sur la loi fédérale contre la concurrence déloyale, avec références à l’arrêt BGE 135 III 1.) Et cela d’autant plus lorsque les droits et les devoirs des partis ne sont pas identifiables. Les clauses dites de «carte blanche» s’avèrent ainsi toujours nulles. Et elles ne sont pas les seules.
L’art. 8 LCD Même des conditions générales d’assurance suffisamment claires peuvent se révéler invalides, car déloyales. L’article 8 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) interdit aux entreprises d’appliquer des conditions générales contraires aux règles de la bonne foi et qui lèsent le consommateur de manière notable et injustifiée. Les assureurs pourraient, en l’occurrence, envisager de compenser le désavantage imposé. Telle n’est cependant pas la vocation d’un droit de résiliation, qui entraîne plutôt un inconvénient supplémentaire du fait que le client court le risque de ne pas retrouver d’assurance adéquate.
Conflit programmé
Il est clair qu’un conflit avec l’art. 8 LCD est programmé, si l’article 35 LCA permet de modifier les conditions générales d’assurance à la suite d’une simple information donnée au client et avec un droit de résiliation. «Si le projet de loi entre en vigueur, le Tribunal fédéral n’aura pas d’autre choix que de régler cette incompatibilité», selon Thomas Probst.
S’il permettait des clauses d’adaptation déloyales au sens de la LCD pour les assurances privées, l’article 35 LCA ne détiendrait qu’une portée normative. Sinon il serait vide de sens et devrait tout simplement être supprimé. Et le professeur d’ajouter: «En Suisse, le secteur des assurances revendique depuis toujours des règles particulières. Avec l’article 35 LCA, le Conseil fédéral semble vouloir faire perpétuer cette tradition, que ce soit consciemment ou inconsciemment.»
Révision fastidieuse
La réforme de la LCA a débuté il y a plus de dix ans. En 2006, une première révision partielle a permis de régler les besoins les plus urgents en matière de protection des consommateurs. Puis une révision totale a été prévue, afin de renforcer davantage les droits des assurés. Mais sous la pression du lobby des assureurs privés, le Parlement a estimé que les propositions du Conseil fédéral allaient trop loin. En 2013, il a alors demandé à ce dernier d’élaborer une nouvelle révision partielle de la LCA.
Le projet, mis en consultation en 2016, interdisait encore strictement toute modification unilatérale des conditions générales d’assurance. Invoquant le principe de la liberté contractuelle, les assureurs, et en particulier l’Association suisse d’assurances, se sont élevés contre cette limitation. Le Conseil fédéral leur a manifestement donné raison. Seul espoir pour les assurés, que le Parlement retire ce nouvel article 35 LCA.
Le texte du projet de loi
Voici ce que prévoit le nouvel article 35 du projet de révision de la loi sur le contrat d’assurance, proposé par le Conseil fédéral.
Alinéa 1
Lorsque les assurances ne portent pas sur des risques professionnels ou commerciaux, une clause contractuelle autorisant l’entreprise d’assurance à modifier unilatéralement les conditions d’assurance n’est valable que si les conditions suivantes sont réunies:
a.elle prévoit que la modification est notifiée suffisamment à l’avance au preneur d’assurance;
b. elle accorde au preneur d’assurance un droit de résiliation au moment de la modification.
Alinéa 2
Le droit contractuel de l’entreprise d’assurance de modifier la prime est réservé.