1. Introduction
Le présent article vise d’une part à examiner plusieurs éléments du cadre légal régissant les droits des personnes touchées par un décès (2), d’autre part à mettre en exergue des pistes de réflexion à l’attention de tout employeur dans la gestion de ce type de situation sur le plan humain (4). Cette conclusion sera précédée d’un excursus portant sur deux situations particulières, connexes avec le sujet de cette contribution: le suicide assisté d’un·e proche d’un·e employé·e et le droit à un congé des chômeurs et chômeuses en cas de décès dans leur entourage (3).
2. Cadre légal
Qu’il s’agisse du décès d’un collaborateur ou d’une collaboratrice, ou de celui d’un·e proche de la personne salariée, il convient d’examiner, souvent conjointement,
‒ les droits découlant du contrat de travail 2, au sens du droit privé 3 ou du droit public 4 d’une part;
‒ les droits découlant d’assurances sociales d’autre part.
Ainsi, les situations suivantes peuvent se présenter:
‒ décès d’un collaborateur ou d’une collaboratrice suite à
- une maladie non professionnelle;
- un accident professionnel ou non professionnel, ou à une maladie professionnelle;
‒ décès touchant un collaborateur ou une collaboratrice qui perd:
- un·e proche;
- un enfant, à naître ou né (deuil périnatal).
2.1 Décès d’un·e collaborateur·trice suite à une maladie non professionnelle
2.1.1 Droit du travail
En vertu de l’art. 338 al. 1 CO, le contrat prend fin au jour du décès de l’employé·e; l’alinéa 2 prévoyant en outre que l’employeur doit verser, lorsque des obligations d’entretien de la personne défunte existaient à l’égard d’un·e conjoint·e ou d’enfants mineurs, un ou deux salaires posthumes si le contrat a duré plus de 5 ans.
Ce montant ne sera pas soumis aux déductions légales prévues par les assurances sociales puisqu’il ne s’agit pas d’un salaire déterminant au sens de la LAVS 7. À signaler que ce montant «ne tombe pas dans la masse successorale» et que «l’art. 338 CO institue un droit propre des survivants 8».
En outre, il s’agira de déterminer, non exhaustivement, si la personne décédée
‒ avait effectué des heures supplémentaires, lesquelles devront être rémunérées et soumises aux cotisations légales;
‒ avait un droit à des vacances, l’octroi en nature étant impossible pour des raisons évidentes; les vacances prises «en trop» ne peuvent pas faire l’objet d’une retenue sur les montants dus 9;
‒ avait un droit à d’autres éléments de salaire: ainsi, la participation au résultat de l’exploitation au sens de l’art. 322a CO ne pourra dans de nombreux cas pas être déterminée au moment même du décès, mais uniquement lors du bouclement de l’exercice comptable 10;
‒ percevait un salaire grevé d’une retenue au sens de la LP 11, l’employeur devant dans ce cas informer l’office des poursuites du décès de l’administré·e, les dettes résiduelles entrant dans la masse successorale.
Les héritiers et héritières de la personne défunte ne seront pas en droit d’obtenir un certificat de travail au sens de l’art. 330a CO puisqu’il s’agit d’un droit strictement personnel intransmissible et inaliénable 12 nonobstant la valeur patrimoniale reconnue au certificat de travail 13.
Tant la maladie du collaborateur ou de la collaboratrice que son décès sont susceptibles d’entraîner une surcharge de travail au sein du service concerné: si des heures supplémentaires sont exigibles en vertu de l’art. 321c CO, il s’agira pour l’employeur de faire un usage parcimonieux de cette possibilité, les collègues pouvant être extrêmement affecté·e·s par ce décès. En effet, la demande d’heures supplémentaires doit respecter le principe de la bonne foi et ne pas constituer une violation de l’art. 328 CO, imposant à l’employeur de veiller à la santé physique et psychique de ses employé·e·s.
Ces éléments relevant du droit du travail stricto sensu concernent également les situations de décès suite à un accident, professionnel ou non professionnel, ainsi que suite à une maladie professionnelle. Ils ne seront dès lors pas repris ci-après.
Le droit des collègues de la personne défunte à assister aux funérailles est traité au point 2.4 (décès d’un·e proche).
2.1.2 Assurances sociales
2.1.2.1 Enfants de moins de 25 ans (1er et 2e piliers)
Les enfants de la personne défunte, encore en formation et âgés de moins de 25 ans, pourront, sur demande et non d’office 14, obtenir une rente d’orphelin au sens de l’art. 25 LAVS, ou des art. 20 et 22 LPP si un compte de prévoyance professionnelle existait 15.
2.1.2.2 Veuf – veuve – partenaire enregistré 16 (1er et 2e piliers)
«Dans l’assurance-vieillesse et survivants […], les veuves bénéficient encore actuellement de privilèges par rapport aux veufs en relation avec la reconnaissance d’un droit à une rente de conjoint survivant […]17»: cette inégalité, ancrée aux art. 23 ss. LAVS, a été jugée discriminatoire par la CourEDH18, entraînant une réglementation transitoire de l’OFAS «afin que les veufs avec enfants soient traités de la même manière que les veuves avec enfants, de sorte que le droit à la rente de veuf ne s’éteigne plus lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans»19. Cette modification ne concerne que les rentes allouées après le jugement de la CourEDH, à savoir après le 11 octobre 2022. Une modification de la LAVS est à prévoir, la question encore ouverte étant celle de savoir si les conditions d’octroi des rentes pour les hommes seront adaptées à celles des femmes ou si le Parlement fera le choix inverse, à savoir soumettre les veuves aux mêmes conditions que celles des hommes.
Le droit à une rente de survivant·e du 2e pilier, ici aussi dépendante de l’existence d’un avoir LPP de la personne défunte, est réglé respectivement par les art. 19 (conjoint survivant) et 19a (partenaire enregistré) LPP: une rente n’est allouée que si la personne survivante a au moins un enfant à charge ou a atteint l’âge de 45 ans et que le mariage a duré 5 ans au moins.
2.1.2.3 Concubin·e, personne divorcée (1er et 2e piliers)
Au sens de la LAVS, le droit à une rente est dépendant de l’existence préalable d’un mariage ou d’un partenariat enregistré: le concubinage ne lui est pas assimilé. En revanche, le concubin ou la concubine peut, le cas échéant, obtenir une rente sur la base de l’art. 20a al. 1 LPP: cela est le cas si la communauté de vie a duré au moins 5 ans de façon ininterrompue ou si un enfant commun est encore à charge.
La dissolution du mariage ou du partenariat enregistré ne prive pas l’ex-conjoint·e de droits puisqu’une rente peut lui être accordée, respectivement, aux conditions de l’art. 24a LAVS (1er pilier) et de l’art. 20 OPP2 (2e pilier). Ainsi, en LAVS, les critères d’octroi reposent sur la présence d’enfant(s) commun(s), la durée du mariage, l’âge de la personne survivante et le moment du divorce; en LPP, le droit à la rente malgré le divorce ou la dissolution du partenariat enregistré repose sur la durée antérieure de l’union et le versement de contributions d’entretien au sens des art. 124e ou 126 CC (couple hétérosexuel), voire de l’art. 34 de la loi sur le partenariat enregistré (couple homosexuel).
La question de droits découlant d’un éventuel 3e pilier 20 au sens de la LCA n’est pas examinée puisque relevant de la seule sphère privée du collaborateur ou de la collaboratrice.
2.1.2.4 Rôle de l’employeur
Si l’employeur n’est pas directement concerné par les prestations assurantielles, les survivant·e·s pouvant renoncer à en faire la demande 21, il est légalement tenu aux paiements des cotisations y afférentes et pourrait être pénalement poursuivi en cas d’irrégularités en particulier en vertu des art. 87 ss. LAVS, 75 ss. LPP, 112 LAA et 148a CP 22.
Finalement, il peut être un interlocuteur privilégié pour les personnes survivantes si elles ne disposent pas de connaissances particulières dans ce domaine, même si son aide restera circonscrite au droit suisse: en effet, les proches peuvent devoir solliciter également des prestations de la part de systèmes étrangers de sécurité sociale si la personne défunte y avait cotisé.
2.2 Décès d’un collaborateur ou d’une collaboratrice suite à un accident
2.2.1 Accident professionnel et non professionnel: prestations légales
Dans la mesure où la personne décédée, assurée obligatoirement en vertu de l’art. 1a LAA, travaillait au moins 8 h/semaine en moyenne auprès du même employeur, les prestations sont les suivantes:
‒ prise en charge forfaitaire des frais funéraires en vertu de l’art. 14 LAA (maximum 2842 francs selon l’art. 22 OLAA 23);
‒ rentes de survivants selon les art. 28 ss. LAA (veuvage 24, orphelin), y compris au profit de l’ex-conjoint·e (art. 29 al. 4 LAA) si la personne défunte était tenue à des «aliments» 25. Le concubinage n’ouvre pas de droit propre à une rente.
À noter que si le collaborateur ou la collaboratrice décède pendant une période de service, les prestations au sens de la loi sur l’assurance militaire prévoient des montants sensiblement plus élevés:
‒ la rente pour perte de soutien est basée sur un gain maximum assuré non plus de 148 200 francs/année mais de 156 560 francs/année 26;
‒ les frais d’ensevelissement sont payés jusqu’à concurrence de 15 656 francs, à savoir «un dixième du gain annuel maximum assuré […]» 27;
‒ une réparation morale, inconnue en LAA, peut s’ajouter au profit des survivant·e·s en vertu de l’art. 59 de la loi sur l’assurance militaire (LAM).
Les rentes pour perte de soutien LAA sont complémentaires à celles versées au titre de la LAVS: l’art. 66 al. 1 LPGA prévoit en effet que «sous réserve de surindemnisation, les rentes et les indemnités en capital des différentes assurances sociales sont cumulées» et qu’elles sont versées selon l’ordre établi par l’alinéa 2: la caisse de pension à laquelle est affilié l’employeur est ainsi la dernière à calculer le droit aux rentes. En d’autres termes, ces trois prestations font l’objet d’une coordination: «il y a matière à coordination intersystémique des prestations des assureurs sociaux lorsque deux d’entre eux au moins interviennent» 28, l’art. 34a LPP 29 renvoyant spécifiquement à l’art. 66 al. 2 LPGA.
Finalement, il est à relever que la maladie professionnelle 30, même si elle entraîne rarement le décès, ouvre un droit aux mêmes prestations légales qu’en cas d’accident.
La question de la responsabilité d’un tiers dans l’accident mortel n’est pas examinée ici et il n’est mentionné que pour mémoire que «le recours des institutions de sécurité sociale contre le tiers responsable est réglé aux art. 72 à 75 LPGA, qui prévoient la subrogation au profit de l’assureur social à concurrence des prestations sociales et des privilèges de recours au profit des proches de l’assuré, de l’employeur et des travailleurs de celui-ci 31».
2.2.2 Accident professionnel – maladie professionnelle: prestations contractuelles
Aux prestations légales citées ci-dessus peuvent s’ajouter des éléments pécuniaires contractuels: on citera l’art. 138 CCT CFF, lequel octroie:
‒ un montant de 2500 francs pour les frais funéraires;
‒ 50 000 francs au conjoint survivant, au concubin (5 ans de vie commune) ou au partenaire enregistré;
‒ 10 000 francs à chaque enfant survivant […].
Ces montants, octroyés uniquement en cas d’accidents mortels dans le cadre de l’exercice de la profession, ne feront pas l’objet d’une coordination puisqu’ils sont extrasystémiques 32.
2.3 Décès périnatal
Si une salariée peut prétendre à un congé de maternité rémunéré 33 dès l’instant où la grossesse a duré au moins 23 semaines 34, il n’en va pas de même du père: il ne dispose d’aucun droit à un congé de paternité si l’enfant est mort-né et il perd son droit aux jours restants 35 si l’enfant meurt après la naissance.
Il n’existe à ce jour pas de transfert de droits d’un parent à l’autre si l’un d’eux venait à mourir dans la première phase de vie de l’enfant; une telle solution est toutefois en discussion, visant à «accorder au père, si la mère décède dans les 14 semaines qui suivent la naissance de l’enfant, un congé de 14 semaines qui devrait être pris immédiatement après le décès et de manière ininterrompue» 36.
Aujourd’hui, en cas d’impossibilité de reprise du travail à l’extinction du congé de paternité ou à la fin du congé de maternité, seule entre en considération une absence pour cause de maladie, devant être attestée par certificat médical 37, le parent endeuillé ayant un droit au salaire reposant sur l’art. 324a CO, allant de l’échelle bernoise selon l’alinéa 2 à des indemnités journalières 38 selon l’alinéa 4.
Le temps des funérailles, en cas de décès périnatal, est traité ci-après.
Aujourd’hui, le décès périnatal englobe toutefois aussi les fausses couches précoces (jusqu’à 12 semaines) et tardives (entre 13 et 22 semaines), les grossesses extra-utérines, les échecs de procréation médicalement assistée (PMA), les interruptions volontaires de grossesse (IVG), les interruptions médicales de grossesse (IMG) 39. Ces situations ne sont pas prises en considération en tant que telles dans le domaine des assurances sociales et du droit du travail: une absence pour ces motifs sera traitée comme une maladie au niveau du droit au salaire.
2.4 Décès d’un·e proche d’un collaborateur ou d’une collaboratrice
Le droit à obtenir un «congé» découle, pour les contrats de droit privé, de l’art. 329 al. 3 CO, lequel prévoit qu’«Il (l’employeur) accorde […] au travailleur les heures et jours de congé usuels […]». Et la question de la rémunération afférente à cette absence relève de l’art. 322 CO: «le salaire n’est dû qu’en vertu d’un accord ou de l’usage 40».
Si les absences pour cause de maladie 41 ou d’accident 42 relèvent de contrats d’assurance, l’absence résultant d’une participation à des funérailles ne peut être prise en charge que par l’employeur: «[…] il est […] fréquent que le contrat individuel de travail ou le règlement du personnel énumère les motifs justifiant l’octroi d’un congé» 43, ces clauses prévoyant également si ce congé est ou non rémunéré.
Les principales CCT 44 de Suisse 45
‒ règlent toutes le droit à un congé rémunéré en cas de décès d’un·e membre de la famille (parentèle ou alliance);
‒ sont muettes au sujet de l’ensevelissement d’une personne significative pour le ou la salarié·e, la proximité (de fait) reposant sur l’intensité du lien unissant deux personnes et non plus sur une approche (juridique) par parentèle et alliance.
Ainsi, la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse 46 octroie un congé payé de 3 jours en cas de décès du conjoint ou de la conjointe, des enfants, frères et sœurs, parents et beaux-parents.
La CCT des CFF 47 prévoit des droits allant de 1 à 3 jours selon le lien de parenté ou d’alliance.
La CCT de la Migros 48 accorde entre 1 et 5 jours selon la proximité légale du collaborateur ou de la collaboratrice avec la personne défunte.
La CCT des industries horlogère et microtechnique suisses 49 octroie un droit à une absence rémunérée sur la base d’un lien de parenté ou d’alliance.
On retiendra, pour l’anecdote, que ces CCT prévoient en revanche spécifiquement du temps rémunéré pour les déménagements 50 et la remise du matériel militaire 51, remise pourtant prévue à l’art. 324a CO (accomplissement d’une obligation légale).
Lorsque le sort du temps nécessaire à la participation à des funérailles n’est pas réglé dans le contrat de travail, l’employé·e peut être contraint·e de compenser son absence par des heures supplémentaires préexistantes, demander une demi-journée de vacances, voire un congé non payé, ce qui crée une inégalité de traitement entre les salarié·e·s selon qui était (juridiquement) la personne défunte 52.
À saluer en revanche la réglementation de l’État de Fribourg qui prévoit «pour les funérailles d’un autre membre de parenté, d’un ou une collègue de travail ou d’une autre personne avec laquelle l’enseignant ou l’enseignante a eu d’étroites relations, suivant l’éloignement, ½ à un jour 53», la réglementation la plus inclusive provenant de la Haute École de travail social et de la santé Lausannee (HETSL), laquelle accorde jusqu’à 5 jours rémunérés en cas de décès d’un·e proche, ce règlement renonçant volontairement à définir la notion de proche.
3. Situations particulières
3.1 Suicide assisté
À l’avenir, la question d’un suicide assisté devrait faire l’objet de réflexions du côté des employeurs. En effet, dans un tel cas, un travailleur ou une travailleuse pourrait avoir besoin d’obtenir un «congé» (rémunéré) pour faire ses adieux à la personne ayant annoncé son intention de mettre fin à ses jours, donc à un moment où il ou elle n’est pas encore à proprement parler endeuillé·e mais le devient le jour même de la réalisation du suicide: actuellement, une absence dans ce but ne peut être rémunérée que sur la base d’heures supplémentaires ou de vacances, alternative peu satisfaisante puisque le but des vacances est le repos et le délassement, comme cela sera précisé ci-après. En effet, si l’art. 329 al. 3 CO prévoit l’octroi de «congés usuels», la problématique d’une fin de vie annoncée n’est discutée publiquement que depuis peu et il n’existe pas encore de règle pour cette situation particulière dans les différents textes, contractuels ou légaux.
3.2 Droit des chômeurs et chômeuses
Une personne percevant des indemnités de chômage au sens de la LACI est soumise à différentes obligations, dont celles d’être atteignable dans un délai très bref, de suivre des formations, de postuler et de se rendre à des entretiens avec l’office régional de placement (ORP) 54.
En cas de décès dans son entourage, excepté en cas d’accouchement d’un enfant mort-né après une grossesse d’au moins 23 semaines pour la mère, le chômeur et la chômeuse ne bénéficient pas de protection particulière; en effet, les seules périodes «non contrôlées» prévues par la LACI sont le droit aux vacances 55 et les indemnités perçues pour cause de maladie, limitées au sens du droit fédéral à 30 consécutives sur un total de 44 sur la période d’indemnisation 56.
Considérer des funérailles comme un temps de «vacances» – outre que ces vacances ne sont octroyées que si la période de chômage a déjà duré 60 jours 57 – est incompatible avec la notion même de «repos» 58. Ainsi, si le chômeur ou la chômeuse devait suivre une formation par exemple au moment du décès d’une personne proche, la seule possibilité s’offrant à lui ou à elle est d’obtenir un certificat médical pour maladie, ce qui est également peu satisfaisant comme solution.
De lege ferenda, on pourrait proposer une modification de la LACI par l’introduction de la notion de «congés spéciaux rémunérés par des indemnités particulières» afin que le deuil puisse être reconnu comme tel également pour les personnes au chômage.
4. Pistes de réflexion
La perte d’êtres chers ne relevant pas d’un phénomène rare dans le monde du travail, les entreprises devraient donc définir, en amont des situations qui se présentent, une véritable politique de gestion et d’accompagnement du deuil. Trop souvent inscrite dans une culture de l’oralité et du «cas par cas», la gestion des endeuillé·e·s peut alors être soumise au risque d’inégalité de traitement ou de maladresse provenant de la part des employeurs. Une gestion inadéquate du deuil peut alors entraver la capacité des endeuillé·e·s à reprendre le travail et fragiliser les relations professionnelles.
Ainsi, plusieurs recommandations 59 générales peuvent être mises en discussion au sein des entreprises:
‒ tout d’abord considérer le deuil au-delà des liens familiaux et juridiques, en questionnant la définition de «proche»;
‒ se détacher ensuite de la représentation selon laquelle il existerait une durée «normale» ou «standard» pour vivre un deuil, ce qui conduirait à une interprétation trop homogène des expériences de la perte à la suite d’un décès. Il serait par exemple possible de spécifier dans les documents contractuels qu’un congé pour décès peut être réparti librement, y compris sur une durée «longue», ce qui permettrait d’avoir encore droit à un jour payé pour une commémoration une année après le décès de la personne proche;
‒ s’enquérir enfin auprès de la personne en deuil de ses besoins et attentes, dans la durée, en lui offrant des espaces d’écoute réguliers (formels ou informels), une attention particulière devant être accordée au moment de la reprise de l’activité professionnelle, mais également par la suite, lors de dates spécifiques par exemple: il s’agit ici d’une question non pas juridique, mais de gestion des ressources humaines.
Lors du décès d’un·e salarié·e, il est important de veiller à la communication de l’annonce à l’ensemble du personnel, sans distinction de statut entre employé·e·s et avec l’autorisation des proches de la personne défunte. En outre, lorsqu’un·e employé·e informe l’employeur d’un décès pour lequel elle ou il souhaite faire valoir son droit à un congé spécial au sens du règlement d’entreprise ou d’une CCT, il est bienvenu pour les ressources humaines, cadres ou directions de l’informer de ses droits et d’organiser son remplacement si nécessaire.
Ces quelques «bonnes pratiques» devraient être précisées en tenant compte de la réalité et de la singularité de chaque type d’entreprise: chacune, selon sa taille, son management, la nature de son activité, dispose d’une certaine marge de manœuvre pour gérer et accompagner les situations de deuil. Dans tous les cas, il est recommandé de formaliser une politique interne en amont des moments de crise; propice à l’établissement d’un cadre humain dans la gestion de ces situations. ❙
Katja Haunreiter, Professeure associée HES à la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL | HES-SO)
Marc-Antoine Berthod, Co-doyen responsable du Laboratoire de recherche santé-social (LaReSS) à la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL | HES-SO)
Melissa Ischer, Assistante HES à la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL | HES-SO)
Aurélie Masciulli Jung, Collaboratrice scientifique HES à la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL | HES-SO)
1 Marc-Antoine Berthod, António Magalhães de Almeida. Vivre un deuil au travail. La mort dans les relations professionnelles. Éditions EESP, Lausanne, 2011.
2 Les spécificités du contrat régi par la loi sur le service de l’emploi et la location de services (LSE; RS 823.11) ne sont pas examinées ici.
3 Art. 319 ss. CO.
4 Art. 29 ss. de la loi sur le personnel de la Confédération (LPers). Pour le volet cantonal, voir par ex. les art. 31 et 54 de la loi sur le personnel
de l’État de Vaud (LPers-VD; RSV 172.31).
5 Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS; RS 831.10), loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA; RS 832.20), loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP; RS 5831.40), loi fédérale sur l’assurance militaire (LAM; RS 833.1).
6 LAVS, LAI, LAPG, LPP, LAA, LACI.
7 Art. 6 RAVS, le montant n’étant plus le résultat «d’une activité lucrative».
8 Rémy Wyler, Boris Heinzer, Droit du travail, Stämpfli (4e éd.), Berne, 2019, p. 776.
9 Si Eric Cerottini envisage le cas de vacances prises en trop au moment de la fin des relations contractuelles, partant que «le travailleur est censé avoir admis tacitement le remboursement de l’excédent», seule la résiliation a été envisagée mais non le décès (Eric Cerottini, Le droit aux vacances, IRAL, Lausanne, 2001, p. 323).
10 Thomas Geiser, Roland Müller et alii, Arbeitsrecht in der Schweiz, Stämpfli (4e éd.), 2019, p. 249 ss.
11 Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (RS 281.1).
12 Philippe Meier, Droit des personnes, Schulthess (2e éd.), Genève, 2021, p. 313, et Olivier Guillod, Droit des personnes, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2015, p. 111.
13 Rémy Wyler, Boris Heinzer, op. cit., p. 530.
14 Art. 29 LPGA.
15 Le salaire n’est soumis à cotisations qu’à la double condition d’atteindre au moins 25 095 francs/année et maximum 86 040 francs/année (art. 8 LPP) et que l’engagement dure plus de trois mois (art. 1j al. 1 let. b ordonnance sur la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité [OPP2; RS 831.441.1]).
16 Pour le partenaire enregistré, le féminin n’est pas employé à dessein puisque l’art. 13a al. 2 LPGA prévoit que «Le partenaire enregistré survivant est assimilé à un veuf»; le mariage «pour tous», possible depuis le 1er juillet 2022 (voir art. 94 CC), rendra cette question exceptionnelle.
17 Stéphanie Perrenoud, Familles et sécurité sociale en Suisse: l’état civil, un critère pertinent?, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2022, p. 435.
18 Arrêt CourEDH 78630/12 Beeler c. Suisse du 20 octobre 2020.
19 bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/donnees-de-base-et-legislation/witwerrente.html (5.12.22, 10 h 54).
20 Art. 111 Cst.
21 Art. 23 LPGA.
22 «Sur le plan systématique, la nouvelle disposition apparaît être une clause générale de l’art. 146 CP» (Michel Dupuis, Laurent Moreillon et alii, Code pénal, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2017, p. 987.
23 Ordonnance sur l’assurance-accidents.
24 Le terme englobe ici le ou la partenaire enregistré·e survivant·e.
25 Art. 39 OLAA.
26 Art. 15 al. 1 OAM.
27 Art. 60 al. 1 LAM.
28 Ghislaine Frésard-Fellay, Jean-Maurice Frésard, Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2018, p. 785.
29 Voir art. 24 OPP2.
30 Art. 9 LAA, annexe 1 OLAA.
31 Bettina Kahil-Wolff, Soziale Sicherheit - Sécurité sociale, Helbing Lichtenhahn (3e éd.), Bâle, 2016, p. 238; la LPP prévoit également ce mécanisme (art. 34b LPP).
32 Voir Ghislaine Frésard-Fellay, Jean-Maurice Frésard, op. cit., p. 785.
33 98 jours, art. 16b ss. de la loi sur les allocations pour perte de gain (LAPG).
34 Art. 23 du règlement sur les allocations pour perte de gain (RAPG).
35 Il bénéficie au maximum de 14 jours calendaires dans un délai de six mois après la naissance (art. 16j LAPG).
36 Initiative parlementaire «octroyer le congé de maternité au père en cas de décès de la mère», rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 19 août 2022, disponible sur fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/2515/fr (5.12.22, 11 h 00).
37 Le moment de la remise du certificat médical est déterminé par le contrat de travail, l’absence rémunérée sans certificat (art. 8 CC) allant de 1 à 5 jours.
38 Ces indemnités journalières sont versées sur base d’un contrat soumis ou à la LAMal ou à la LCA.
39 Pierre Rousseau, Le deuil périnatal et son accompagnement, in: Interventions psychologiques en périnatalité, Paris, 2001, p. 133 ss.
40 Rémy Wyler, Boris Heinzer, op. cit., p. 483.
41 Art. 324a al. 4 CO.
42 LAA.
43 Rémy Wyler, Boris Heinzer, op. cit., p. 483.
44 Convention collective de travail au sens des art. 356 ss. CO.
45 Secteurs de la construction, de la grande distribution, des transports ferroviaires, des industries horlogère et microtechnique.
46 fve.ch/app/uploads/2019/10/CN_2019-2022.pdf (5.12.22, 11 h 30).
47 sev-online.ch/fr/downloads/cct-sev/cct-cff-2019.pdf (5.12.22, 11 h 45), annexe 6.
48 secsuisse.ch/fileadmin/national/doc/Sozialpartnerschaft-GAV/20190101_CCT_Migros_2019_2022.pdf (5.12.22, 12 h 00).
49 cpih.ch/wp-content/uploads/CCT_Horlogerie-Syna-2017-2021.pdf (5.12.22, 12 h 30).
50 Art. 36.1 let. f CCT Migros.
51 Art. 25.2 CCT industrie horlogère.
52 Voir également Marc-Antoine Berthod, António Magalhães de Almeida, op. cit. hetsl.ch/fileadmin/user_upload/rad/editions/49_Vivre_un_deuil_au_travail.pdf (11.12.22, 11 h 45).
53 Art. 67 al. 1 let. g RPers (RSF 122.70.11).
54 Voir en particulier les art. 15 et 17 LACI.
55 Art. 27 OACI.
56 Art. 28 LACI.
57 Art. 27 OACI.
58 Eric Cerottini, 2001, p. 46.
59 Aurélie Masciulli Jung, Melissa Ischer et alii, Deuil dans le monde du travail. Guide pour les entreprises, HETSL, Lausanne, 2022.