La Poste suisse offre depuis quelques années une prestation «Courrier A Plus» (ci-après: courrier A+), visant à assurer, dans un bref délai, un acheminement sûr de communications importantes. Concrètement, ce service permet à l’expéditeur de suivre le processus d’expédition, du dépôt à l’office postal jusqu’à la distribution, en consultant le statut de son envoi sur internet par le service en ligne «suivi des envois». Ce mode de distribution est plus avantageux que le traditionnel pli recommandé: il ne coûte que 3 fr. 40 contre 6 fr. 30 pour ce dernier. Il présente en outre cet autre intérêt que les plis sont délivrés à leur destinataire le lendemain de l’expédition, y compris le samedi, sans que celui-ci soit invité à retirer l’envoi auprès d’un office postal, puisqu’il lui est remis directement dans sa boîte aux lettres ou sa case postale.
Le courrier A+ comporte toutefois des pièges pour l’expéditeur et le destinataire d’une communication qui déclenche le cours d’un délai1. En effet, au contraire du recommandé, la notification par courrier A+ ne permet pas de prouver irréfutablement que l’envoi est effectivement parvenu dans la sphère de possession du destinataire. Le TF considère ainsi, dans des cas traitant de notifications postales par des autorités, que le «suivi des envois» permet uniquement de rapporter la preuve que La Poste a inscrit dans ce système que tel a été le cas, ce qui n’est qu’un indice permettant de conclure que le pli est parvenu dans la boîte aux lettres ou la case postale visée; faute d’accusé de réception du destinataire, le système ne permet de prouver ni qu’il y a eu un retrait effectif ni par qui2. Cela étant, si un défaut de notification par La Poste n’est pas chose invraisemblable, il ne saurait être présumé; il appartient au destinataire du pli qui l’allègue de le rendre plausible de manière convaincante, étant souligné qu’il est présumé être de bonne foi3.
En droit privé, singulièrement en matière de bail, cela peut poser de délicats problèmes4. Principalement, lorsque l’envoi adressé par le bailleur au locataire déclenche un délai dans lequel ce dernier doit poser un certain acte de préservation, si bien qu’il est souhaitable qu’il bénéficie de tout le délai pour agir. Le TF estime à ce titre que la réception d’une résiliation s’analyse au regard de la théorie absolue de la réception5 – qui postule que le congé est reçu (ce qui déclenche le délai de contestation) dès que le destinataire est en mesure d’en prendre connaissance. Pour d’autres communications (notamment une hausse de loyer ou une mise en demeure de s’acquitter d’un loyer en retard à peine de congé anticipé), on examine la réception selon la théorie relative – l’acte est reçu, lorsque le destinataire en prend effectivement possession, et donc connaissance6.
Résiliation du bail
Concernant la résiliation du bail, à laquelle s’applique la théorie absolue de la réception, le principal danger d’une notification en courrier A+ apparaît être lié à la preuve que le congé a bien été remis dans la sphère de possession du destinataire, en cas de contestation sur ce point. Vu les principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus, on ne saurait trop recommander aux parties, par prudence, d’adresser pareil courrier en recommandé. Lorsque le destinataire ne conteste pas la réception de l’envoi, l’utilisation de la formule A+ ne pose aucun problème particulier7: le congé est réputé reçu le jour de la remise du pli dans la boîte aux lettres ou la case postale (inscrit dans le système de suivi des envois de La Poste) et le délai de contestation de 30 jours (art. 273 al. 1 CO) commence à s’écouler le lendemain.
Hausse de loyer et mise en demeure
S’agissant d’une hausse de loyer (ou une autre modification unilatérale du bail au détriment du locataire; cf. art. 269d CO) ou d’une mise en demeure de payer le loyer à peine de résiliation anticipée (art. 257d al. 1 CO), la question est plus épineuse. D’abord, l’expéditeur court le risque que, en cas de contestation de la réception par le destinataire, celle-ci ne soit simplement niée8. Par ailleurs, indépendamment d’une contestation de la réception, il est pour le moins discutable d’appliquer par analogie, à de tels cas de figure, la «fiction de connaissance» à l’échéance d’un délai de sept jours9: l’attention de chacun est en effet attirée sur l’importance d’une communication par le caractère recommandé, ce qui justifie de réserver la fiction à ce seul mode d’envoi; le courrier A+ peut en outre être relevé par quiconque dispose de la clé de la boîte aux lettres, notamment un enfant un peu distrait et désordonné, qui égarerait le pli.
Autre cas de figure problématique, quoique plus marginal, celui des clauses de certains (vieux) baux, qui exigent que le congé soit adressé par chacune des parties en recommandé.
La partie qui expédierait son congé en courrier A+ s’expose au reproche que le congé est nul, faute de respect de la forme réservée par les parties (art. 16 al. 1 CO).
Conclusion: mieux vaut que bailleurs et locataires en restent au bon vieux recommandé!
1 Le TF a déjà eu à se pencher sur cette question, notamment dans deux arrêts publiés au Recueil officiel: ATF 144 IV 57 et 142 III 599.
2 ATF 142 III 599 c. 2.2 et ATF 144 IV 57 c. 2.3.1.
3 ATF 142 III 599 c. 2.4.1.
4 Pour un cas vaudois: Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud HC/2012/199 du 20 mars 2012. Cf. ég.: Boris Grell, Zur Fristwahrung im Umgang mit A-Post plus Sendungen, Jusletter du 29 avril 2019.
5 On peut le regretter. Voir pour une analyse fouillée et critique des juges zurichois: ZMP 2017 n° 7.
6 ATF 137 III 208 c. 3.1.3. Si l’envoi est recommandé, on postule toutefois, malgré l’absence de retrait au guichet, que le pli est reçu le septième et dernier jour du délai de garde.
7 En ce sens: CPra Bail-Bohnet/Dietschy-Martenet, art. 266a CO N° 13.
8 Les juges vaudois tranchent en ce sens dans l’Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud HC/2012/199 du 20 mars 2012 c. 3.cb:
la jurisprudence selon laquelle il appartient au destinataire de rendre plausible l’irrégularité de la notification par courrier A+ n’est applicable qu’aux notifications régies par le principe de la réception absolue.
9 Voir ci-dessus, note 6. Cf. Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud HC/2012/199 du 20 mars 2012 c. 3.cb. D’un avis contraire: Boris Grell, op. cit., N° 14 ss.