Consacrer une part non négligeable de son temps et de son énergie pour s'occuper de son conjoint à la santé défaillante, c'est un réflexe encore largement répandu aujourd'hui, surtout parmi la gent féminine. Mais ce qui est moins courant, c'est de se faire rétribuer par l'assurance maladie de base pour cela, en revêtant le statut d'employé d'un service de soins à domicile. Une récente enquête1a montré que six cantons alémaniques connaissaient cette pratique, concernant, il faut le dire, un petit nombre de personnes, une quarantaine. En tous les cas, ces cantons ont la bénédiction du Tribunal fédéral2
qui avait admis qu'un particulier facture des prestations de soins à l'assurance maladie de base pour s'occuper de son conjoint, pour autant qu'il bénéficie des compétences nécessaires et que les soins dépassent ce qui relève du devoir d'assistance entre époux. Dans le cas particulier, ces conditions étaient remplies: un architecte avait pris une retraite anticipée pour fournir des soins de base à son épouse atteinte de sclérose en plaques.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'enquête a mis en évidence des contrastes assez saisissants: entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, pour commencer. La première se montre intéressée mais n'entreprend momentanément rien pour faire engager des conjoints par les services de soins à domicile, tandis que la seconde connaît plusieurs expériences allant dans ce sens. Concernant la rémunération, les attitudes sont également très partagées: certaines autorités considèrent comme normal de rétribuer un conjoint qui se mue en soignant, tandis que d'autres estiment que ce rôle devrait être assumé bénévolement, éventuellement avec une petite indemnité. Sans parler des responsables de services de soins à domicile qui ignoraient qu'on puisse actionner la LAMal dans ce type de cas, ou qui pensaient que cette pratique était tout bonnement interdite.
Et les différences de traitement liées au sexe? Dans sa conclusion, l'étude souligne qu'il faudrait réglementer la prise en charge d'un proche aux frais de l'assurance maladie, afin de prévenir, notamment, des inégalités tenant au sexe du conjoint soignant. Les enquêtrices pressentent, en effet, que les pratiques ne sont pas les mêmes suivant que ce dernier est un homme ou une femme. Pour en avoir le cœur net, elles examineront ce point dans une nouvelle étude, qui leur permettra de savoir qui sont les membres de la famille engagés par les services de soin à domicile et quelles sont les modalités de ce contrat. Pour l'heure, relève Béatrice Despland, il est significatif que le cas soumis au TF concerne un homme demandant à être rétribué pour s'occuper de sa femme. «Une femme aurait-elle eu cette idée?» s'interroge-t-elle. S. Pr
1La prise en charge, par l'assurance maladie, des soins dispensés par un membre de la famille, par Béatrice Despland et Claudia von Ballmoss.
2Arrêt 9C_597/2007
Hit-parade des jugements délirants
Notre partenaire alémanique plädoyer a recueilli, en décembre dernier, les décisions judiciaires proposées pour le Prix du «Fehlurteil 2010», soit du jugement le plus délirant intervenu durant l'année. Le jury était composé de Regina Aebi-Müller, professeur de droit privé et de droit privé comparé à l'Université de Lucerne, de Brigitte Tag, professeur de droit pénal, de procédure pénale et de droit médical à Zurich, ainsi que de Thomas Gächter, professeur de droit administratif et public ainsi que de droit des assurances sociales à Zurich. Le jury est tombé d'accord: il n'y a pas eu, parmi les nominés de 2010, de décision aboutissant à un résultat absolument choquant. Cependant, la palme d'or a été décernée à l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_599/2010 du 26 août 2010 consacré à la demande d'interruption de peine du chanvrier valaisan et gréviste de la faim Bernard Rappaz (lire notre article en p.17), dont la motivation particulièrement choquante mérite le titre de «jugement absurde 2010» (mention «bon résultat, motivation navrante»). Brigitte Tag souligne que «les détenus ont aussi un droit à l'autodétermination, même si cela signifie qu'ils peuvent, en ne se nourrissant pas, choisir d'en mourir.
Il est inacceptable que le Tribunal fédéral exhume la clause générale de police pour justifier une alimentation forcée.» Le jury partage toutefois l'avis du TF s'agissant du résultat de l'arrêt: la peine de Bernard Rappaz ne devait pas être interrompue.
Deux accessits ont été décernés: à l'arrêt de Grande Chambre de la CrEDH N° 41615/07 «Neulinger & Shuruk c. Suisse» du 6.07.2010 («Celui qui retient un enfant enlevé suffisamment longtemps à l'étranger semble gagnant. La motivation de la Cour fait sauter la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants»), et à l'arrêt 1C_224/2010 de la première Cour de droit public du 6.10.2010 («désaccord choquant entre la Cour de droit pénal et la première Cour de droit public du TF en matière d'infractions de circulation routière»). Stoc / S. Fr