Si la révision de la LCD aboutit, la Suisse ne sera plus considérée en Europe comme le «refuge des arnaqueurs et des escrocs», pour reprendre les termes du Message du Conseil fédéral. La Confédération est en effet en passe de se doter d'outils modernes pour lutter contre la concurrence déloyale, se rapprochant ainsi des standards européens. Les offres la publication d'annonces ou une inscription dans un annuaire devront, par exemple, indiquer en grands caractères les éléments essentiels du contrat, tandis que les envois de factures ne pourront plus précéder la commande. En outre, le contrôle des conditions générales des contrats se trouvera facilité (lire ci-dessous).
Au niveau de la mise en œuvre, de nouvelles compétences sont attribuées à la Confédération: elle aura qualité pour agir, par l'intermédiaire du SECO, si des intérêts collectifs sont menacés par une pratique déloyale: arnaques dans les transactions électroniques, annuaires «bidon», promesses de gain mensongères, ventes avec système «boule de neige», etc. Jusqu'à maintenant, cette compétence n'existait que si la réputation de la Suisse à l'étranger était menacée et si les lésés se trouvaient à l'étranger.
Compétences des associations
La mise en œuvre collective n'est toutefois pas nouvelle, puisque, selon le droit en vigueur, les associations de consommateurs ont déjà qualité pour agir, de même que certaines associations professionnelles et économiques, selon l'art. 10 LCD. Mais cette disposition est quasiment restée lettre morte, par manque de moyens financiers. Ainsi, les associations de consommateurs se félicitent de la nouvelle compétence du SECO, qui répond à un véritable besoin. «Nous recevons quotidiennement des réclamations concernant des pratiques déloyales, relève Valérie Muster, juriste responsable à la permanence à la Fédération romande des consommateurs (FRC). Mais nous ne disposons pas de ressources humaines et financières suffisantes pour ouvrir action. Nous menaçons parfois de le faire, ce qui suffit souvent à régler le cas. De son côté, il faudra que le SECO se donne les moyens d'agir, de sorte que les principes de la LCD trouvent une application.»
Les particuliers lésés ont également qualité pour agir dans le cadre de la LCD, notamment par une action pénale. Mais, à considérer le peu de jurisprudence existant en la matière, force est de constater que les procédures ne sont pas nombreuses. Car, actuellement, «cette loi est méconnue et trop peu appliquée», déplore encore Valérie Muster.
Nombreuses réclamations
Le SECO disposera-t-il de moyens suffisants pour faire face à l'avalanche de nouvelles plaintes? «Nous aurons des ressources limitées, répond Guido Sutter, chef du Service juridique du SECO, puisque deux postes ont été prévus à cet effet, un pour la Suisse alémanique et un pour la Suisse romande et le Tessin. Cependant, nous bénéficierons de l'expérience relative aux réclamations provenant de l'étranger».
En 2009, le SECO a en effet reçu pas moins de 1517 réclamations pour pratiques déloyales, dont 1066 entraient dans la compétente de l'autorité fédérale car, elles provenaient de l'étranger. Les arnaques à l'annuaire occupent la tête du classement, devant les tromperies sur internet (par exemple des concours ou des tests de quotient intellectuel) et les offres ésotériques douteuses. La grande majorité des cas ont été réglés par des mises en garde et des négociations extrajudiciaires, tandis qu'une dizaine fait l'objet d'une procédure. Deux procès ont été gagnés contre des auteurs d'arnaques à l'annuaire, dont l'un devant le Tribunal fédéral1.
Les réclamations provenant de Suisse qui pourront être traitées par le SECO sur la base de la LCD révisée, porteront vraisemblablement sur le même type de cas que les plaintes de l'étranger. C'est ce qui ressort en effet des centaines de réclamations adressées par erreur par des lésés helvétiques à la Confédération. De plus, la procédure sera sans doute plus efficace: «Lorsque nous recevons un dossier de dénonciation en provenance du SECO, une bonne partie de l'enquête est déjà faite, se félicite Pascal Luthi, porte-parole de la police neuchâteloise. Cette centralisation est un moyen de remédier aux carences du système fédéraliste.»
1ATF 136 III 23
Espoir d'un meilleur contrôle des conditions générales
Après l'échec de diverses tentatives d'introduire un contrôle des conditions générales (CG) préformulées des contrats dans le Code des obligations, une nouvelle réglementation est prévue dans le cadre de la révision de la loi contre la concurrence déloyale (LCD) (acceptée par le Conseil des Etats, mais pas encore soumise au National au moment de mettre sous presse).
L'article 8 de cette loi considère certes déjà comme abusives les conditions générales prévoyant une disproportion inéquitable des droits et obligations des parties ou dérogeant notablement au droit dispositif. Mais il pose une condition supplémentaire, à savoir celle du caractère trompeur des CG. Par conséquent, un contrôle abstrait des CG n'est pas possible.
Le nouvel article 8 LCD prévoit de biffer l'exigence de la tromperie, en ajoutant toutefois que l'usage de CG ne peut être déloyal que s'il y a contradiction avec les règles de la bonne foi. Au final, le consommateur en sortira gagnant, se félicite Valérie Muster, juriste à la Fédération romande des consommateurs. Et les autres acteurs du marché y trouveront aussi leur compte: en effet,
l'art. 8 LCD peut également être invoqué par les professionnels, contrairement à la réglementation européenne en la matière. Ainsi, les PME disposeront d'un moyen nouveau de se défendre contre les pratiques déloyales.
Pour Guido Sutter, chef du Service juridique du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), l'art. 8 LCD révisé permettra au juge de se prononcer sur la nullité des clauses abusives, en raison de leur illicéité (art. 20 CO). Un avis partagé par Pascal Pichonnaz, professeur à l'Université de Fribourg, et Anne-Christine Fornage, chargée de cours à l'Université de Lausanne, qui, la dans Revue suisse de jurisprudence (106, 2010, p. 285), saluent par ailleurs, en ces termes, la révision de la LCD: «D'un contrôle de validité de l'art. 8 LCD actuel rarement applicable en raison de l'exigence d'une tromperie, on passera avec l'art. 8 LCD révisé à un véritable contrôle de loyauté qui permettra au juge civil d'opérer un contrôle ouvert du contenu des conditions générales à l'aune du critère cardinal du comportement de bonne foi de leur utilisateur.» Et les deux auteurs de souligner également que la nouvelle loi permettra de se passer du régime de la «clause insolite» développée par le Tribunal fédéral pour combler les manques de la LCD.