Devant la Cour d'assises de la Seine en France officiait jusqu'au milieu du XIXe un procureur aussi réputé que redouté, Pierre Ambroise Plougoulm.
Alors qu'il venait de requérir contre un accusé, la parole était à la défense. L'avocat se révéla mauvais, voire dangereux pour les intérêts de son client. Après qu'il eut fini de plaider, le représentant de l'accusation demanda l'autorisation de reprendre la parole. Comme il considérait que l'accusé n'avait pas été défendu, il se proposa de le faire: «M. Plougoulm se leva avec une émotion profonde pour dire qu'il allait défendre l'accusé. La loi ne voulait pas qu'un accusé fût jugé sans qu'il y eût, à côté de lui, une défense complète, car c'était le droit de défense qui, seul, pouvait imposer le respect de la chose jugée»1.
Le rappel de cette anecdote judiciaire est l'occasion de poser la question suivante: la garantie du droit d'être défendu commande-t-elle - parfois - à l'accusation de se mêler du choix de l'avocat? Si ce pouvoir lui est réellement offert, il existe intrinsèquement un risque d'abus. Pour toutes sortes de raisons moins honorables que la défense efficace du prévenu, un procureur pourrait être tenté d'intervenir pour que tel ou tel avocat soit mandaté plutôt qu'un autre.
Le droit du prévenu d'être assisté est, aujourd'hui, garanti. Ce droit n'est toutefois pas illimité. Le prévenu ne peut, par exemple, pas confier à n'importe qui la défense de ses intérêts. Le Code de procédure pénale suisse (CPP) prévoit, en effet, un certain nombre de conditions de nature personnelle. A l'intérieur du cadre légal, le prévenu reste, en principe, libre de choisir son avocat. S'applique alors une autre loi: celle de l'offre et de la demande.
A vrai dire, le libre choix de l'avocat connaît aussi des limites pratiques. Prenons un exemple:
X est arrêté dans la nuit de samedi à dimanche. La police prévoit de l'entendre. Informé de ses droits, X sollicite l'assistance de Me Y. Or, il se trouve que cet avocat n'est pas joignable à ce moment-là. Dans ces circonstances, la police est-elle tenue d'attendre Me Y pour procéder à l'audition? Qu'en est-il si, à l'obstacle de communication, s'ajoute une difficulté financière: X admet ne pas avoir en réalité les moyens d'assumer les honoraires de Me Y, mais souhaite néanmoins que celui-ci l'assiste?
Avant de tenter de répondre à ces questions, il paraît indispensable de rappeler brièvement le contexte légal dans lequel elles se posent.
Le droit de choisir son défenseur
Quelques précisions terminologiques s'imposent tout d'abord. Le CPP emploie le terme générique de «conseil juridique» pour désigner la personne chargée d'assister une partie (art. 127 ss CPP). Quant au terme de «défenseur», il vise exclusivement le conseil du prévenu (art. 128 ss CPP2. Autrement dit, la problématique liée au choix du conseil juridique par la partie plaignante ne sera pas abordée, même si les règles sont similaires à maints égards.
Plusieurs sources assurent expressément au prévenu le droit d'être assisté par un défenseur. L'art. 6 al. 3 let. c CEDH et l'art. 14 al. 3 let. d du Pacte ONU II lui garantissent le droit de se défendre lui-même ou de bénéficier de l'assistance d'un défenseur de son choix. En droit suisse, on retrouve la garantie constitutionnelle d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et, plus précisément, celle d'être mis en état de faire valoir les droits de la défense dont fait partie le droit d'être assisté (art. 32 al. 2 Cst.). Enfin, le CPP prévoit expressément que le prévenu a la possibilité de se faire assister par un conseil juridique pour défendre ses intérêts (art. 107 al. 1 let. c et 127 al. 1 CPP).
Comme cela a été évoqué plus haut, la loi pose des limites ratione personae dans le choix du défenseur. Les parties peuvent choisir pour conseil juridique toute personne digne de confiance, jouissant de la capacité civile et ayant une bonne réputation, la législation sur les avocats étant réservée (art. 127 al. 4 CPP). Cette règle connaît une exception s'agissant de la défense du prévenu. Cette défense est en effet réservée aux avocats qui, en vertu de la loi du 23 juin 2000 sur les avocats, sont habilités à représenter les parties devant les tribunaux (art. 127 al. 5 première phrase CPP). Un monopole des avocats est dès lors institué de par la loi s'agissant de la défense des prévenus3.
Dans l'exemple précité, la réglementation contraint X à choisir un avocat comme défenseur. Celui-ci ne peut pas mandater un laïc, un agent breveté ou encore un avocat stagiaire. Me Y étant momentanément indisponible, la question est maintenant de savoir si la police doit attendre que ce dernier se présente avant de procéder à l'audition.
La thème abordé ici est évidemment celui de l'avocat de la première heure. Cette institution a été formellement introduite par le CPP, à compter du 1er janvier 2011. Ainsi, il existe désormais un droit d'être assisté dès le premier interrogatoire de police.
Au début de la première audition, la police ou le Ministère public informent le prévenu qu'il a le droit de faire appel à un défenseur de choix ou de demander la désignation d'un défenseur d'office (art. 158 al. 1 let. c CPP). Lors d'une audition menée par la police dans la phase d'investigation policière, le prévenu a droit à ce que son défenseur soit présent et puisse poser des questions (art. 159 al. 1 CPP). Celui qui fait valoir ces droits ne peut pas exiger l'ajournement de l'audition (art. 159 al. 3 CPP). Il convient toutefois de tenir compte des disponibilités du défenseur. L'absence de droit à l'ajournement ne doit pas avoir pour effet de vider de sa substance le droit de participation. Si l'avocat est disponible dans un délai utile, il y a lieu de repousser l'interrogatoire jusqu'à ce qu'il puisse y assister4.
Une partie de la doctrine a tenté de synthétiser une marche à suivre pour assurer la présence de l'avocat de la première heure5. La police est d'abord enjointe de demander au prévenu s'il souhaite mandater un défenseur en particulier. Cas échéant, il faut tenter de le contacter en priorité. Si cet avocat est injoignable ou indisponible, le prévenu en est informé et la cause de l'indisponibilité est consignée au procès-verbal. Se pose ensuite la question de la poursuite de l'audition. La loi ne prévoit pas de droit à l'ajournement. Cette clause ne saurait être toutefois interprétée restrictivement. En l'absence de raisons impérieuses liées aux investigations, la police doit attendre que l'avocat choisi soit disponible. Le prévenu devrait de ce fait supporter les conséquences de son choix s'il est arrêté provisoirement. En cas de réelle nécessité, il s'agirait en revanche de contacter la permanence des avocats. Dans cette situation, les motifs justifiant de passer outre le souhait du prévenu devraient également être consignés au procès-verbal.
Dans notre exemple, cela signifie concrètement que la police est, en principe, tenue d'attendre que Me Y se présente, à moins que cela ne mette sérieusement en danger les investigations. Manifestement, c'est ici une question d'appréciation.
La désignation du défenseur d'office
Les conséquences d'un obstacle de communication ont été examinées. Il s'agit maintenant d'envisager l'éventuelle influence de l'indigence du prévenu sur la possibilité de choisir son défenseur. En d'autres termes, on peut se demander si le libre choix de l'avocat est réservé à ceux qui ont les moyens d'assumer immédiatement les frais de défense.
Il est question ici de la mise en œuvre de la défense d'office. On parle de «défense d'office» lorsque le défenseur est désigné non pas par le prévenu, mais par une autorité étatique avec laquelle s'établit un rapport de droit public6. Cette désignation est subsidiaire à la défense de choix.
Encore une fois, plusieurs sources garantissent le droit à la désignation d'un défenseur d'office à certaines conditions. S'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, le prévenu a le droit d'être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (art. 6 al. 3 let. c CEDH et art. 14 al. 3 let. d du Pacte ONU II). En droit suisse, tout prévenu qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Il a en outre droit à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 29 al. 3 Cst.).
Le CPP prévoit différentes conditions à la désignation d'un défenseur d'office, selon que l'intervention de ce défenseur est «facultative» ou «obligatoire».
Le législateur n'estime pas indispensable que le prévenu soit assisté dans toutes les procédures. En cas de défense facultative, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 lit. b CPP). La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois, d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende ou d'un travail d'intérêt général de plus de 480 heures (art. 132 al. 3 CPP). Si ces conditions sont réalisées, le prévenu a droit à la désignation d'un défenseur d'office qui va de pair avec le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite.
En revanche, la désignation d'un défenseur est jugée indispensable dans certaines circonstances. En cas de défense dite obligatoire, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu, malgré l'invitation de la direction de la procédure, ne désigne pas de défenseur privé ou si le mandat est retiré au défenseur privé ou que celui-ci a décliné le mandat et que le prévenu n'a pas désigné un nouveau défenseur dans le délai imparti (art. 132 al. 1 lit. a CPP). L'indigence peut constituer une cause pour laquelle le prévenu ne mandate pas lui-même un avocat. Dans cette hypothèse, la direction doit le pallier en désignant un défenseur obligatoire d'office dont les honoraires seront assurés par l'Etat aux conditions de l'assistance judiciaire gratuite.
La loi prévoit que le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure compétente au stade considéré (art. 133 al. 1 CPP). Cela implique nécessairement qu'une procédure pénale soit ouverte (art. 309 CPP). Une autorité particulière est alors investie de la direction de la procédure (art. 61 CPP).
Selon la conception helvétique, le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite est incompatible avec le libre choix de l'avocat d'office7. Il n'y a pas un droit de choisir l'avocat qui sera commis d'office ni d'être nécessairement consulté par l'autorité compétente8. Lorsqu'elle nomme le défenseur d'office, la direction de la procédure doit toutefois prendre en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible (art. 133 al. 2 CPP). Le fait que l'autorité étatique procède elle-même à la désignation du défenseur d'office peut paraître inopportun, puisque cela revient à laisser cette autorité choisir son «adversaire» dans la procédure9. C'est pourquoi le législateur a enjoint à la direction de la procédure de suivre les vœux du prévenu autant que faire se peut. Cette recommandation n'est du reste pas nouvelle, la loi concrétisant la jurisprudence constante du Tribunal fédéral en la matière dans la procédure10.
Le Tribunal fédéral a reconnu que l'autorité ne peut pas arbitrairement refuser de tenir compte, dans la mesure du possible, des vœux du prévenu11. Cette limite est introduite par la locution «dans la mesure du possible».
De façon générale, l'autorité fait preuve d'arbitraire si le refus de tenir compte des souhaits du prévenu est manifestement contraire aux intérêts de la justice12 ou si le défenseur désigné à la place de l'avocat proposé compromet objectivement l'exercice des droits de la défense, soit à cause de ses relations personnelles avec le prévenu, soit en raison de la nature particulière de l'affaire13. L'autorité ne saurait également refuser de désigner l'avocat proposé lorsque celui-ci a déjà une bonne connaissance du dossier14. Le refus paraîtrait également arbitraire si le prévenu propose un avocat avec lequel il dispose d'ores et déjà d'un lien de confiance, même ténu.
A ces raisons s'ajoutent celles ayant trait aux obligations relevant de la profession d'avocat, comme celles de l'indépendance et de l'absence de conflit d'intérêts (art. 12 LLCA).
L'autorité ferait encore preuve d'arbitraire si elle refusait de nommer l'avocat proposé uniquement en raison du fait que celui-ci n'est pas inscrit au registre du canton compétent, compte tenu du principe de la libre circulation des avocats15.
La décision par laquelle le juge refuse un changement de défenseur d'office ou rejette une requête tendant à la désignation d'un défenseur d'office constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure16. Selon l'art. 93 let. a LTF, une telle décision peut faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral si elle peut causer un préjudice irréparable. En matière pénale, il doit s'agir d'un dommage de nature juridique17. Autrement dit, si les vœux du prévenu apparaissent objectivement fondés et qu'ils sont ignorés arbitrairement, un préjudice de nature juridique n'est pas nécessairement exclu, ouvrant ainsi la voie du recours au Tribunal fédéral18.
Dans notre exemple où l'on suppose qu'une procédure pénale a été ouverte à la suite de l'arrestation, la direction de la procédure devrait en principe suivre les vœux de X en désignant Me Y comme défenseur d'office pour autant que les conditions de la défense d'office soient réunies. La direction de la procédure serait en revanche fondée à refuser de désigner Me Y si elle dispose de sérieux doutes sur la capacité de celui-ci d'assurer correctement la défense de X. Il y a ici aussi matière à interprétation, cette interprétation étant examinée sous l'angle de l'arbitraire.
Conclusions
Au terme de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le prévenu dispose d'un droit de solliciter le défenseur de son choix lorsqu'il en a les moyens. L'assistance de cet avocat peut cependant être compliquée par des obstacles pratiques. Ces obstacles devront être contournés de manière compatible avec la liberté de choix, quitte à ce que le prévenu - dûment informé - en supporte les conséquences. Certaines nécessités liées à l'enquête peuvent toutefois restreindre temporairement cette liberté. L'institution de l'avocat de la première heure n'a en effet pas pour but de paralyser l'instruction. En même temps, la direction de la procédure ou la police ne sauraient se réfugier derrière l'absence d'un droit strict à l'ajournement d'une audition sans de justes motifs.
Si le prévenu est indigent, le droit suisse veut qu'il perde le droit de choisir son défenseur d'office. La direction de la procédure doit cependant tenir compte de son souhait dans la mesure du possible. Un refus arbitraire serait susceptible d'être annulé en cas de recours. Seuls de justes motifs liés au bon déroulement de l'enquête peuvent être notamment invoqués. On voit ici une forme d'inégalité de traitement entre le prévenu aisé et le prévenu indigent dont la justification dépasse au fond le cadre juridique. Quoi qu'il en soit, le CPP ne permet pas à la direction de la procédure d'invoquer le seul manque de ressources financières pour contourner le souhait du prévenu.
Dans le cas de X, la police devrait vraisemblablement attendre de pouvoir contacter Me Y avant de procéder à l'audition à moins que le bon déroulement de l'enquête en soit sérieusement entravé. Pour ce qui est de l'indigence de X, elle ne le prive pas d'émettre un souhait qui devra être respecté, à moins que la direction de la procédure soit au bénéfice de justes motifs. En d'autres termes, le seul fait que X n'ait pas les moyens d'assurer les honoraires de Me Y n'est pas un motif suffisant pour contacter automatiquement la permanence des avocats.
Enfin, quant à l'intervention du procureur Plougoulm, elle pourrait probablement constituer une ingérence dans le libre choix du défenseur. L'histoire ne dit pas si le prévenu s'en est offusqué. Elle laisse néanmoins transparaître que, au fond, tout procureur est un défenseur qui s'ignore.
1 Anecdote tirée d'une chronique judiciaire parue le 28 juin 2012 sur le blog de Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde (http://prdchroniques.blog.lemonde.fr).
2 CR CPP-Harari/Aliberti, art. 127 N 23.
3 Sous réserve des dispositions du droit cantonal sur la représentation dans le cadre de procédures portant sur des contraventions (art. 127 al. 5. seconde phrase CPP).
4 FF 2006 1175.
5 CR CPP-Verniory, art. 159 N 29 et 30.
6 CR CPP-Harari/Aliberti, art. 132 N 4.
7 A ce propos, voir en particulier ATF 105 Ia 269.
8 ATF 125 I 161; ATF 113 Ia 169; ATF 105 Ia 269.
9 CR CPP-Harari/Aliberti, art. 133 N 7.
10 ATF 114 Ia 101; ATF 113 Ia 69; ATF 105 Ia 269.
11 ATF 114 Ia 101; ATF 113 Ia 69; ATF 105 Ia 269.
12 ATF non publié 1P.808/1991 du 12 février 1992.
13 ATF 2P.287/1997 du 25 novembre 1997 paru à la SJ 1998 pp. 192/193
14 CR CPP-Harari/Aliberti, art. 133 N 23.
15 CR CPP-Harari/Aliberti, art. 133 N 25.
16 ATF 126 I 207; ATF 111 Ia 276.
17 ATF 133 IV 335.
18 ATF non publié 1B.74/2008 du 18 juin 2008; ATF non publié 1B.245/2008 du 11 novembre 2004.