Le procureur a été élu sans équivoque. Cette élection tranche avec les us et coutumes helvétiques: le Parlement a massivement voté en faveur de sa réélection au poste de procureur général de la Confédération à la mi-juin. Stefan Blättler n’y voit pas seulement un signe de confiance à son égard: «Cela démontre aussi que la réputation du Ministère public est intacte».
Pourtant, cela ne coule pas de source. La réputation du Ministère public de la Confédération a été ternie ces dernières années et les critiques ont également visé son personnel. L’entrée en fonction de Stefan Blättler en janvier 2022 a amorcé un changement. Le pénaliste bâlois Mark Pieth le souligne: «Il a apporté plus de sérénité au sein de l’autorité».
La personnalité de cet homme de 63 ans, réputé pour son calme et son sérieux, n’y est pas étrangère. Modérées lors de notre entretien, ses réponses portent aussi la marque du souci de professionnalisme. Il ne s’exprime guère sur les événements qui ont précédé son mandat.
Stefan Blättler a grandi dans le canton de Nidwald, où son père était commandant de la police cantonale. Lorsqu’il évoque le métier de policier, le procureur pense d’abord au facteur humain: «Je me souviens de mon père devant annoncer de terribles nouvelles aux proches après une avalanche».
Soutenu dans sa candidature
Le juriste a marché sur les pas de son père. Après des études de droit à l’Université de Neuchâtel, il commence sa carrière de policier. Stefan Blättler occupe différentes fonctions au sein de la police bernoise avant de devenir commandant de la police cantonale, un poste qu’il occupera 16 ans durant. La voie vers la prochaine étape professionnelle était toute tracée: Stefan Blättler avait déjà été nommé directeur de l’Institut suisse de police au moment de l’élection qui a rebattu les cartes.
Trouver un successeur après la démission de Michael Lauber à l’été 2020 ne fut pas une mince affaire pour la Commission judiciaire. Le poste de procureur fédéral fut même mis au concours trois fois. Convaincu par des proches issus de son milieu professionnel, Stefan Blättler déposa sa candidature. Le juriste précise que la réputation ternie du Ministère public de la Confédération n’a pas été un obstacle. Il a hésité parce qu’il ne voulait pas «se mettre en avant».
Un cahier des charges bigarré
En tant que procureur fédéral, Stefan Blättler est désormais sous les feux de la rampe. Pourtant, il ne mène pas les affaires au front. Il ne participe pas aux interrogatoires, en principe, et ce sont les collaborateurs du Ministère public qui représentent l’accusation devant la justice. Le procureur le précise: «Ma tâche principale consiste à définir la stratégie de lutte contre la criminalité et les priorités».
Ce rôle, portant sur la direction et la détermination des priorités, est central car les ressources du Ministère public de la Confédération sont limitées. Son mandat légal s’étend des affaires pénales internationales complexes aux cas portant sur l’usage d’explosifs en Suisse. Stefan Blättler le confirme: «Après la Saint-Sylvestre et le 1er Août, nous recevons de nombreuses plaintes pour des explosions de boîtes aux lettres ou de robidogs». Une modification du cahier des charges est actuellement envisagée et un groupe de travail table sur la redéfinition du mandat légal de l’autorité.
Le procureur considère la lutte contre les organisations criminelles comme un axe prioritaire. «La Suisse ne doit pas se limiter à l’entraide pénale internationale – elle doit aussi mener des procédures». Des organisations criminelles comme la ’Ndrangheta seraient effectivement actives sur sol suisse depuis longtemps. «Mais il est très difficile d’apporter cette preuve et les procédures restent complexes». Les obstacles sont tant d’ordre structurel que juridique. Par exemple, aucune base de données centralisée de police n’existe pour le moment.
Stefan Blättler déplore également l’absence de programmes de clémence en Suisse permettant aux autorités de poursuite pénale de proposer une peine réduite aux prévenus afin de les inciter à témoigner contre d’autres accusés.
L’homme de loi souhaite relancer le débat à ce sujet: «Si nous voulons enquêter efficacement dans les sphères des organisations criminelles, une réglementation sur la clémence est nécessaire».
Stefan Blättler souligne que le droit pénal international doit rester un axe prioritaire. La réduction de la voilure opérée du temps de son prédécesseur Michael Lauber a fait l’objet de critiques (plädoyer, 3/2022), mais Stefan Blättler ne souhaite pas commenter des événements qui ont précédé son mandat. Il affirme toutefois que les moyens alloués à ce domaine avaient été augmentés. «La Suisse a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de La Haye et est dépositaire des Conventions de Genève. De ce fait, nous ne pouvons pas nous permettre de rester à l’écart».
L’affaire FIFA, un risque pour les autorités
Après plus de six ans d’enquête pénale, le Ministère public de la Confédération a déposé une plainte contre le ministre de l’Intérieur de la Gambie pour crimes contre l’humanité auprès du Tribunal pénal fédéral au mois d’avril. S’agissant de la poursuite d’éventuels crimes de guerre dans la guerre d’Ukraine, Stefan Blättler a mis en place une task force.
Parmi les affaires héritées de son prédécesseur, Stefan Blättler poursuivra le suivi de l’affaire FIFA.
L’acquittement des anciens fonctionnaires du football Sepp Blatter et Michel Platini par le Tribunal pénal fédéral est contesté par le Ministère public. Le pénaliste Mark Pieth estime qu’il s’agit d’une erreur: «Cela pourrait être néfaste pour le Ministère public de la Confédération en cas de nouvel échec». Mark Pieth pense que la poursuite du procès est en premier lieu une concession faite au collaborateur responsable du dossier.
Ce que Stefan Blättler conteste. L’acquittement prononcé par le Tribunal pénal fédéral est un jugement in dubio pro reo. Raison pour laquelle le Ministère public de la Confédération a décidé d’exiger un réexamen du jugement de première instance. «Ne rien faire par égard pour l’opinion publique serait de l’opportunisme». L’actuel mandat de quatre ans de Stefan Blättler sera le dernier. Le juriste ne sait pas encore ce qu’il fera par la suite.
En tout cas, il passera plus de temps avec sa famille. Blättler est marié et a une fille. Son chien de 13 ans, un croisé westie-malteser, l’accompagne à son bureau du Ministère public de la Confédération, comme auparavant à la Police cantonale bernoise. La seule petite extravagance de cet homme sobre.