«Je pense que la spécialisation de l'avocat n'est pas encore entrée totalement dans les mœurs en Suisse romande», explique Olivier Guillod, responsable de la formation d'avocat FSA en droit de la famille, qui devrait commencer au début de 2012 en collaboration avec les Facultés de Lausanne, Genève et Neuchâtel. «Même à Genève, le barreau a longtemps été réticent.
A Neuchâtel, les avocats sont restés en majorité des généralistes, peut-être parce qu'on y subit une concurrence moins féroce que dans les centres urbains. Si la formation de spécialiste FSA en droit de la famille n'a jusqu'ici pas rencontré suffisamment d'intéressés pour être mise sur pied, c'est peut-être que les candidats craignaient d'être étiquetés comme spécialistes d'un domaine qui n'est pas le plus rémunérateur», poursuit-il.
«Lorsque l'idée d'un titre de spécialiste FSA a été lancée, les Romands étaient les plus réticents», lui fait écho Benoît Bovay, spécialiste FSA en droit de la construction et de l'immobilier et professeur à l'Université de Lausanne, qui participe à l'enseignement dispensé dans le cadre de cette formation. «Certains avocats ayant suivi une formation de spécialiste se demandaient même s'ils devaient toujours mentionner ce titre sur leur papier à lettres, afin de ne pas se couper de la clientèle intéressée par un autre domaine du droit.» Grand connaisseur du droit administratif de la police des constructions, il juge que l'«aspect transversal de la formation» est un de ses atouts, puisqu'elle lui a permis d'échanger avec des juristes férus de droit privé ou de droit fiscal. «L'intérêt de ce cursus est d'instaurer un réseautage entre participants de cantons différents et de confronter les points de vue. C'est pourquoi il serait souhaitable que davantage de Neuchâtelois ou de Valaisans s'y inscrivent», résume-t-il.
Près de quatre ans après les premières formations de spécialistes, 3,5 % des avocats suisses, soit au total 292 défenseurs, portent le titre d'avocat spécialiste FSA. La formation qui a le plus de succès est celle d'avocat spécialiste en droit de la construction et de l'immobilier, qui compte 71 diplômés. Celle qui a le moins de succès: la formation de spécialiste en droit de la famille (36 diplômés seulement), qui n'a pu encore être organisée en Suisse romande, faute d'inscriptions suffisantes. Un premier cursus pourrait être mis sur pied au début de 2012. Soixante-cinq avocats sont spécialistes FSA en droit du travail, 62 en responsabilité civile et droit des assurances et 58 en droit des successions, cette dernière formation étant dispensée jusqu'alors en Suisse alémanique seulement. Au total, 14 candidats n'ont pas réussi l'examen, huit échouant à l'examen écrit et six à l'oral.
Les craintes que cette formation intéresse en majorité les grandes études d'avocats ne se sont pas confirmées. D'après les statistiques de la FSA, 90% des participants aux cours proviennent de petites et de moyennes études comprenant de trois à cinq associés. Huitante pour cent d'entre eux sont âgés de 40 à 50 ans.
Le coût de la formation, quelque 13500 francs, constitue toutefois un «sacrifice important», souligne Olivier Guillod. «Compte tenu des heures de préparation des cours et des examens ainsi que du temps qu'on ne peut consacrer à la clientèle, on m'a dit que c'était un investissement de 50000 francs, ce que je crois volontiers», ajoute Jean-Baptiste Zufferey, responsable de la formation d'avocat spécialiste en droit de la construction et de l'immobilier.
L'investissement en temps est également conséquent: «Le règlement prévoit 120 heures de cours et il faut compter un nombre d'heures équivalent pour la préparation. Même pour quelqu'un qui, comme moi, avait déjà une bonne connaissance du domaine de la responsabilité civile et des assurances, les nombreuses lectures de doctrine que nous devions faire m'ont appris pas mal de choses», constate Alexandre Guyaz, qui préside l'Association des avocats spécialistes FSA de ce domaine juridique. Selon lui, «un avocat généraliste ne peut plus, aujourd'hui, garantir un bon service dans tous les domaines relatifs aux assurances. Ce serait une tromperie de le prétendre. Il faut posséder une vision globale du sujet, par exemple ne pas se fixer sur la seule question de la responsabilité civile, mais penser aussi à une éventuelle assurance occupants. Le plus compliqué est le calcul du dommage: il y a des omissions de l'avocat qui peuvent coûter cher. Par exemple se braquer sur une assurance perte de gain privée qui ne veut pas payer et oublier de solliciter parallèlement l'assurance invalidité.» Une vingtaine d'avocats ont déjà suivi cette spécialisation en Suisse romande, et une nouvelle volée commencera la formation au mois de septembre.
Tout comme Alexandre Guyaz et Rémy Wyler, qui intervient en tant que directeur de la formation romande de spécialistes FSA en droit du travail, Jean-Baptiste Zufferey admet qu'«il faudra peut-être espacer à l'avenir ces formations, organiser des cycles tri- ou quadriennaux. En effet, si on compte qu'il y a quelque 2000 avocats pratiquant en Suisse romande et que 200 d'entre eux se spécialisent, le bassin de recrutement sera assez vite atteint.»
Rémy Wyler est lui aussi certain que «ces formations spécialisées répondent à une complexification du monde juridique. Ceux qui veulent rester à niveau dans leur domaine de compétence, le droit du travail, doivent faire l'effort de suivre une formation continue», ce que permettent précisément les journées de formation, les rencontres et l'échange d'informations entre participants d'un même réseau, privatistes ou publicistes. En outre, le règlement de la FSA exige que l'avocat spécialiste, une fois son titre obtenu, suive chaque année deux jours de formation continue. «Avec l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile fédéral, les clients hésiteront moins à aller chercher leur avocat au-delà des frontières cantonales. Le titre de spécialiste FSA est un avantage dans la concurrence accrue qui s'annonce», assure encore Rémy Wyler.
Les avocats les plus âgés et bénéficiant d'une clientèle bien établie se tiennent toutefois à l'écart d'une telle formation. Ainsi, l'avocat lausannois Denis Bettems, qui «donne des cours depuis plus de trente ans» en droit de la construction et «ne pense pas avoir des clients qui l'ont quitté faute d'avoir suivi ce cursus. Si j'avais été plus jeune, je l'aurais sans doute fait, admet-il néanmoins. Aujourd'hui, un avocat ne peut plus décemment dire qu'il maîtrise tous les domaines. Comme pour les médecins, la spécialisation des avocats est un gage de qualité pour le public.»
Prochaines offres de formation
Droit des successions
Entre janvier et juin 2012, la Fédération suisse des avocats organisera, en collaboration avec les Universités de Lausanne, Fribourg et Neuchâtel, le premier cours de spécialisation en droit des successions en Suisse romande. Placée sous la direction du professeur Denis Piotet, cette formation inclura des aspects de planification successorale et fiscale, de droit international privé, de régimes matrimoniaux et de questions concrètes en lien avec les assurances sociales et privées. Ce cours est aussi ouvert à des tiers ayant une relation professionnelle étroite avec les matières mentionnées (magistrats, notaires, juristes travaillant auprès de tribunaux, collaborateurs de banques ou d'études). La réussite de l'examen écrit final donnera droit à un «Certificate of Advanced Legal Studies avec mention droit des successions» décerné par l'Université de Lausanne.
Droit de la construction et de l'immobilier
En collaboration avec la Fédération suisse des avocats, l'Institut pour le droit suisse et international de la construction de l'Université de Fribourg offre, à partir de novembre 2011, le troisième cours de spécialisation en droit de la construction et l'immobilier. Cette formation d'une année, placée sous la direction du professeur Jean-Baptiste Zufferey, consiste en un panorama systématique des questions que pose l'ensemble du droit de la construction et de l'immobilier (privé comme public). Elle est aussi ouverte aux tiers n'exerçant pas le barreau, mais spécialisés dans la matière enseignée (juges, secrétaires de l'Office des constructions, employés de l'Office fédéral des routes ou juristes de grandes entreprises de la construction). La réussite de l'examen écrit final donne droit à un «Certificate of Advances Studies en droit de la construction et de l'immobilier» décerné par l'Institut pour le droit suisse et international de la construction de l'Université de Fribourg.
Responsabilité civile et droit des assurances
Dès septembre 2011 et jusqu'à l'été 2012, la Fédération suisse des avocats organisera, en collaboration avec les Universités de Fribourg et Lausanne, un second cours de spécialisation en responsabilité civile et droit des assurances. Comme la première édition, cette formation portera sur toutes les matières essentielles du droit de la responsabilité civile, des assurances sociales et des assurances privées. Elle sera concentrée plus particulièrement sur des questions concrètes et les domaines incontournables dans la pratique de l'avocat spécialisé. Dans une mesure limitée, ce cours sera également ouvert à des tiers qui ont une relation professionnelle étroite avec les matières susmentionnées (tels que magistrats, juristes travaillant dans les assurances sociales ou privées (voir inscription non-membres FSA). La réussite de l'examen écrit final donnera droit à un «Certificate of Advanced Legal Studies en droit de la RC et des assurances» décerné par l'Université de Fribourg.
Droit de la famille
Au plus tôt en automne 2011, mais plus vraisemblablement au début de 2012 (les dates n'ont pas encore été fixées), les Facultés de droit des Universités de Neuchâtel et Genève offriront, en partenariat avec la Faculté de droit de l'Université de Lausanne et en collaboration avec la FSA, un nouveau type de formation. Le poids sera mis sur les aspects de droit patrimonial de la famille en lien avec le choix des régimes matrimoniaux et des questions successorales. La possibilité de prévoir, avant même le mariage, l'entretien postérieur à une éventuelle séparation du couple sera aussi évoquée, tout comme les aspects de droits privé, public et international. La réussite de l'examen écrit final donnera droit à un «Certificat de formation continue universitaire en droit de la famille», décerné par l' Université de Neuchâtel.
Droit du travail
Le deuxième cours de spécialisation FSA en droit du travail a commencé le 3 février dernier. Une vingtaine de participants devraient obtenir, en septembre prochain, le titre d'avocat spécialiste FSA en droit du travail.