Quelques cantons alémaniques connaissent déjà l'avocat de la première heure, tel Bâle-Campagne. Ces polices-là sont efficaces, ce qui ne semble pas justifier les inquiétudes des cantons romands face à cette nouveauté. «C'est la fin des aveux», clament les nostalgiques, «il y aura une chute du taux d'élucidation des affaires», se plaignent-ils.
Si cette innovation marque une rupture avec la culture et la tradition policière napoléonienne ainsi qu'une très nette influence anglo-saxonne, intégrer l'avocat dans les investigations policières peut se faire avec pragmatisme et intelligence. Cet article décrit la manière dont la police neuchâteloise a préparé l'entrée en scène des avocats dès ses premières auditions.
Changement de statut pour la défense
Le statut du défenseur est défini par l'art. 128 CPP: «Le défenseur n'est obligé, dans les limites de la loi et des règles de sa profession, que par les intérêts du prévenu.» Dans son Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, le Conseil fédéral précise que «si la défense est aussi partie intégrante de l'administration de la justice et est au service du droit, le défenseur, à la différence des autorités pénales (...), œuvre, toutefois, unilatéralement pour les intérêts du prévenu» (Message p. 1156). Cette formule marque l'abandon d'une certaine conception du défenseur. L'avocat, désigné autrefois comme auxiliaire de la justice, doit désormais agir dans le seul intérêt du prévenu: il a le droit et le devoir de tout mettre en œuvre en vue de réduire, voire d'annihiler les charges retenues contre son client, aux fins d'obtenir le jugement le plus favorable possible.
Notification des droits du prévenu
L'article 158 du Code de procédure pénale prévoit que la police notifie les droits du prévenu avant la première audition, notamment:
• qu'une procédure préliminaire est ouverte contre lui et pour quelles infractions;
• qu'il peut refuser de déposer et de collaborer;
• qu'il a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d'office;
• qu'il peut demander l'assistance d'un traducteur ou d'un interprète.
Les auditions effectuées sans que ces informations aient été données préalablement sont inexploitables. Les polices ont donc cherché à minimiser les risques d'erreurs et d'oublis. La police neuchâteloise énoncera les droits du prévenu dès son interpellation, à l'américaine. Chaque agent a, sur lui, une petite carte comportant ces droits. Le but est de ne pas être accusé d'avoir discuté avec le prévenu avant l'audition, par exemple durant le trajet au poste de police, ou durant une perquisition. Nous faisons signer systématiquement par le prévenu avant chaque audition un formulaire sur lequel figurent ses droits, lorsque les soupçons portent sur un délit ou un crime. Enfin, chaque audition commence par les termes «Je prends acte des droits qui m'ont été notifiés. Je les ai compris et suis apte à suivre cette audition. J'ai signé le formulaire des droits du prévenu.» Le procès-verbal comprend une rubrique spécifiant que le prévenu renonce à la présence d'un avocat, s'il le souhaite.
L'appel à l'avocat et la permanence des avocats
Une permanence des avocats permettra qu'un défenseur soit présent avant la première audition. Le bâtonnier de l'Ordre des avocats neuchâtelois, Me Ivan Zender, et moi-même avons défini un certain nombres de règles dans le Vade-mecum de l'avocat de la première heure, diffusé à l'ensemble des avocats de permanence et aux policiers.
La permanence est hebdomadaire, du vendredi midi au vendredi midi. Le prévenu peut choisir l'avocat qu'il désire, même hors canton. En dehors des heures de bureau, il devra posséder ses coordonnées téléphoniques. Durant les heures de bureau, la police acceptera d'appeler l'étude de l'avocat choisi par le prévenu. Si l'avocat peut être atteint, il décidera d'intervenir personnellement ou de déléguer la première intervention à l'avocat de permanence. La police décidera s'il est opportun que le prévenu s'entretienne par téléphone avec son avocat. Les enjeux du dossier le détermineront. La liste des téléphones portables des avocats de permanence est strictement confidentielle et ne doit pas être utilisée hors de ce cadre (le numéro doit être donné par le prévenu et non fourni par la police). Certains avocats ont d'ailleurs souscrit des abonnements téléphoniques utilisés uniquement dans le cadre des permanences.
La police donnera à l'avocat de la première heure l'identité du prévenu et les charges pesant sur lui. On précisera si une plainte est déposée et s'il y a une victime, afin que le défenseur puisse se récuser en cas de conflit d'intérêt. La langue dans laquelle le prévenu s'exprime ou celles qu'il comprend seront signalées, afin de convenir de la nécessité d'un interprète.
Le délai d'intervention est d'une heure à partir de l'avis à l'avocat de permanence, pour un déplacement aux postes de police de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds. Il peut être supérieur en cas de mauvaises conditions météorologiques ou de circulation, ou encore lorsqu'il s'agit de se rendre dans un poste retiré. En cas de retard, l'avocat préviendra à temps la centrale d'engagement de la police.
Au cas où un prévenu comparaîtrait seul devant la police, puis demande la présence d'un avocat durant l'audition, le procès-verbal sera interrompu et le prévenu convoqué à une date ultérieure, avec son défenseur. En aucun cas, il ne faut faire perdre du temps aux policiers.
L'identification de l'avocat
Tous les policiers ne connaissent pas les avocats susceptibles de se présenter au poste de police et, comme en prison, il y a des consignes de sécurité à respecter. L'avocat présentera la carte professionnelle FSA (Fédération suisse des avocats) ou une pièce d'identité et remplira un formulaire comprenant ses nom, prénom, heure d'arrivée et signature. Il en va de même pour les stagiaires qui l'accompagnent. Si l'avocat stagiaire intervient seul, il présentera une attestation de l'étude qui l'emploie.
La sécurité dans les locaux de la police
La sécurité est réglée par analogie aux règles qui prévalent en prison. Les effets de l'avocat et sa personne peuvent subir exceptionnellement une fouille sommaire (sur ordre d'un sous-officier ou d'un officier). Le téléphone portable est interdit durant toute la discussion avec le prévenu. L'ordinateur portable est autorisé s'il ne permet pas de communiquer avec l'extérieur. Une armoire sous clé est mise à disposition de l'avocat pour y déposer ses effets. Ces prescriptions ne s'appliqueront que lorsque l'affaire nécessite des précautions particulières en vue de protéger d'autres actes d'enquêtes à venir, comme des perquisitions complémentaires.
Entretien entre le prévenu et son avocat
L'avocat peut s'entretenir dans un lieu clos et confidentiel avec le prévenu durant 15 minutes avant l'audition pour les cas simples (ivresse au volant) et 30 minutes pour les cas complexes. La durée de la discussion sera définie au préalable. Le policier pourra accorder plus de temps s'il l'estime légitime. Ce dernier devra cependant ne pas trop tarder, car il a moins de 24 heures pour déférer le prévenu devant le procureur et lui livrer un rapport d'arrestation suffisant pour le Tribunal des mesures de contrainte.
La première discussion entre l'avocat et le prévenu peut aussi être téléphonique dans les cas de moindre gravité (LCR) ou lorsque le prévenu n'est manifestement pas dans un état normal. La présence de l'avocat serait alors disproportionnée.
Lors de l'accueil de l'avocat et avant son entretien avec le prévenu, il est nécessaire de lui
présenter une synthèse des faits et de qualifier l'infraction retenue. L'avocat n'aura pas accès au dossier préalablement à l'audition. L'accès au dossier est de la seule compétence du Ministère public. S'il y a un intérêt à présenter certaines pièces du dossier ou le dossier complet pour favoriser le bon traitement de l'affaire, le policier donnera cet accès en accord avec le Ministère public.
Si le prévenu peut être dangereux pour lui-même, pour l'avocat ou pour la police, il sera entravé à un poignet par des menottes reliées au mur ou au sol. De plus, des agents pourront se tenir prêts à intervenir. Nous proposons aussi à l'avocat un petit équipement électronique d'alarme agression. Mais, à part les personnes extrêmement perturbées sur un plan psychique, on ne voit pas pourquoi un prévenu agresserait celui qui veille à sa défense.
L'entretien entre défenseur et mandant ne peut avoir lieu qu'en cas d'arrestation provisoire (art. 159 al.2 CPP). En cas d'audition à la suite d'un mandat de comparution, il n'y a pas de droit à s'entretenir dans les locaux de la police préalablement à l'audition. Le mandat de comparution envoyé au prévenu précise qu'il peut se présenter avec un avocat. Si un prévenu se présente seul, se voit notifier ses droits et choisit de ne pas répondre sans la présence d'un avocat, il se verra, si l'affaire ne souffre pas d'urgence, remettre un nouveau rendez-vous avec l'avocat de son choix. A contrario, en cas d'urgence, c'est l'avocat de permanence qui sera appelé. En cas d'appréhension (par exemple à la suite d'un refus de donner son identité), il n'y a pas de droit à un entretien privé avec un avocat; mais, dès le prononcé de l'arrestation provisoire, l'entretien privé peut avoir lieu (art. 159 al.2 CPP).
L'audition
Dans la salle d'audition, l'avocat sera placé derrière le prévenu (ni à côté ni devant). Son rôle à ce stade n'est pas d'exercer une défense active, mais de veiller à ce que les conditions d'audition soient optimales et que les déclarations du prévenu soient retranscrites fidèlement. Le policier conduit l'audition et pose les questions utiles aux investigations. L'avocat n'intervient en principe pas. Il pourra toutefois demander la parole, pour poser une question, apporter une précision et le policier jugera si le moment est opportun. Ce dernier donnera systématiquement la parole à l'avocat en fin d'audition.
Il sera alors invité à poser des questions, de même qu'à faire mentionner des remarques concernant des incidents d'audience, consignées au procès-verbal. Les policiers y noteront aussi tous incidents et interruptions intervenus durant l'audition. Ils fixeront les règles du déroulement de l'audition avec l'avocat avant qu'elle ne débute.
Par analogie à l'art. 63 CPP (police d'audience), le policier veille à la sécurité, à la sérénité et au bon ordre de l'audition. Ainsi, les abus éventuels de l'avocat seront aussi consignés au procès-verbal. En cas d'abus répétés, le policier pourra exclure l'avocat de la salle. Dans ce cas, il mettra fin à l'audition, même si le prévenu accepte de continuer hors la présence de son défenseur. En effet, si l'audition se poursuivait, elle pourrait être contestée ultérieurement et son contenu annulé. Les avocats perturbateurs seront signalés au bâtonnier par l'officier de police judiciaire chargé de l'affaire.
Plusieurs prévenus interpellés
Un avocat ne peut défendre les intérêts que d'un seul prévenu. Lors d'interpellations multiples, il faudra trouver autant d'avocats qu'il y a de prévenus. Nous avons prévu de mobiliser six avocats au total. Cette situation sera plutôt rare (rixe impliquant plusieurs personnes ou flagrant délit de cambriolage en bande). De nuit, si le nombre d'avocats est insuffisant, il faudra attendre de trouver les défenseurs disponibles durant les heures ouvrables.
Interprètes
Si le prévenu ne s'exprime pas dans une langue comprise par l'avocat, la police peut mettre
à disposition l'interprète qu'elle a convoqué. L'avocat n'est pas obligé d'accepter la personne désignée; il trouvera alors lui-même un interprète dans un délai de moins d'une heure ou viendra avec une personne figurant sur la liste des interprètes agréés par la police. L'interprète présentera une pièce d'identité; la police peut refuser sa participation s'il est défavorablement connu. Lorsqu'il y a plusieurs prévenus, un seul interprète peut servir à l'ensemble des auditions. L'avocat est toutefois libre de refuser l'interprète lors de son entretien confidentiel avec le prévenu.
Si l'avocat n'accepte pas que l'interprète servant à l'audition soit le même que celui qui intervient dans le cadre de son entretien avec le prévenu, il faudra un second interprète, ce qui sera difficile dans les plus petits cantons. Il faut savoir, au sujet de ce personnel, que la police travaille régulièrement avec la plupart des interprètes et que des liens se sont créés au fil des années. Pour garantir la confidentialité de l'entretien entre le prévenu et son avocat, un formulaire rappellera à l'interprète ses devoirs, et ce dernier signera un engagement au secret portant sur sa fonction.
Conséquences pour la police
On ignore quelles conséquences aura l'avocat de la première heure sur la qualité et la célérité du règlement des affaires. Cette nouveauté n'accélérera pas le processus d'enquête. La police devra faire preuve de patience et d'abnégation.
Il n'y aura pas moins d'aveux dans les affaires graves, j'en suis intimement convaincu. Vraisemblablement parce que les aveux spontanés dans les crimes de sang, les trafics de stupéfiants, les violences graves, les cambriolages en série - bref, dans les affaires graves - sont rares lors de la première audition effectuée par la police. Dans le canton de Neuchâtel, la première audition était conduite par le juge d'instruction qui proposait déjà la présence d'un avocat et statuait sur une défense obligatoire. Les aveux, eux, survenaient souvent après quelques jours, voire quelques semaines de détention préventive. Ainsi, il ne devrait pas y avoir de changements significatifs.
En revanche, pour les affaires mineures, le nouveau Code de procédure pénale sera un frein à la célérité et à l'efficacité. L'avocat sera fréquemment appelé en cas de violences au sein du couple, lorsque les parties ont déjà un avocat sur le plan civil, ou encore dans les affaires de menaces ou d'injures entre voisins déjà en conflit. J'ai aussi remarqué, ces derniers jours, même si l'heure n'est pas encore au bilan, que certains profils de personnalité ont recours à l'avocat, lorsqu'on le leur propose, de manière plus fréquente que d'autres. Ainsi, les personnes répondant aux statuts extrêmement précaires sur un plan psychosocial (par exemple, les toxicomanes) sont plus nombreux à avoir recours à l'avocat, cela même pour des délits de moindre gravité. Des infractions qui étaient réglées dans la rue, par procès-verbaux manuscrits, finissent au poste et durent plusieurs heures plutôt que quelques minutes. Personnellement, je désapprouve ce luxe procédural pour des affaires qui ne méritent pas tant d'attention et de soin. Nous avons pris la précaution de mettre sur pied des indicateurs évaluant le traitement des affaires judiciaires et nous en saurons plus, après quelques mois, sur le plan tant des aveux que du taux d'élucidation ou du temps nécessaire à la clôture un dossier.