Un an après l’introduction du nouveau droit de l’autorité parentale conjointe, un constat est unanimement dressé: peu de pères ont profité de la possibilité de la demander de manière rétroactive (lire l’encadré). Une autre observation est largement partagée par les avocats de différents cantons romands interrogés par plaidoyer: les tribunaux et les Autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) ont bien intégré la nouvelle donne, à savoir que l’autorité parentale conjointe est devenue la règle.
Une règle dont le bien-fondé n’est pas remis en cause par nos interlocuteurs, mais dont l’application quasi systématique est parfois critiquée. «L’autorité parentale conjointe est trop facilement accordée, déplore ainsi Sandrine Chiavazza, avocate à Lausanne. La loi permet pourtant d’y faire exception quand les parents ne s’entendent pas et ne parviennent pas à communiquer. Dans ces cas difficiles, des juges se contentent d’ordonner un suivi de co-parentalité par une thérapie, lequel est souvent préconisé par les experts. C’est peu réaliste d’un point de vue pratique.»
Un souci partagé par Micaela Vaerini, avocate à Bussigny: «Il est bien de reconnaître de nouveaux droits aux parents, mais cela devient ingérable s’ils ne se parlent plus.» Sa consœur valaisanne, Carole Seppey, signale que des magistrats préfèrent appliquer la règle, même dans des cas particulièrement conflictuels, quitte à conseiller aux parents de faire une demande ultérieure pour revenir en arrière, si nécessaire: «Je ne pense pas que ce soit une bonne solution. Comme les composantes de l’autorité parentale conjointe ont été élargies, avec le choix du domicile de l’enfant, il faut un minimum de relations pour la pratiquer.»
Corinne Nerfin, avocate à Genève, met cependant en garde: «Souvent le parent qui ne veut pas partager l’autorité parentale sur l’enfant crée, à dessein, des problèmes de communication pour pouvoir les invoquer. Tous les intervenants doivent donc faire preuve d’imagination, afin de permettre la reprise d’un dialogue et le respect des droits de chacun, par exemple par des techniques de médiation.»
La parole aux juges
Présidente au Tribunal d’arrondissement de Lausanne, Katia Elkaim s’étonne, de son côté, de recevoir «quasiment aucune demande pour faire exception à la règle de l’autorité parentale conjointe». Elle ajoute: «Si une exception est nécessaire à mes yeux pour le bien de l’enfant, je la ferai. Mais, dans certains cas, déroger à la règle revient à mettre un sujet conflictuel sur le tapis, alors que les parents n’allaient pas se battre là-dessus. Car il faut admettre que l’exercice au quotidien de l’autorité parentale conjointe se limite à peu de chose.»
Encore faut-il savoir ce qu’est, selon le nouveau droit, un juste motif de refus du partage de l’autorité. Noémie Helle, juge à l’APEA des Montagnes et du Val-de-Ruz (NE), relève le flou qui règne sur cette question. «La doctrine parle de l’opposition systématique par un parent, mettant en danger le bien de l’enfant. Mais on n’en sait pas davantage. Chacun applique ces notions en fonction de sa sensibilité. Et nous travaillons avec des assesseurs laïcs qui ont parfois plus de difficultés à intégrer les changements législatifs.»
Giovanni Intignano, juge de paix à Lausanne et, à ce titre, membre d’une APEA, observe qu’il faut des circonstances tout à fait exceptionnelles pour refuser l’autorité parentale conjointe, mais que certaines enquêtes en cours pour le district de Lausanne s’acheminent vers un refus.
Lieu de résidence
L’élargissement de l’autorité parentale conjointe au droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant suscitait des inquiétudes de certains auteurs, qui y voyaient une atteinte à la liberté d’établissement du parent gardien. Après un an de nouveau droit, cet élargissement suscite encore la controverse. Rappelons que, s’il y a désaccord entre les parents, l’autorité doit se prononcer en cas de départ à l’étranger ou si le déménagement a des conséquences importantes sur l’exercice de l’autorité parentale par l’autre parent ou sur les relations personnelles (art. 301 a al. 2 CC).
Aux yeux de Carole Seppey, cette nouveauté est «dérangeante, car, en cas de désaccord, les parents doivent faire appel à l’autorité. Et, pour le parent gardien, il n’y a pas de garantie de pouvoir déménager avec ses enfants.» Mais l’avocate valaisanne reconnaît que, dans les cas dont elle a connaissance, le juge s’est montré ouvert à un départ du parent gardien avec l’enfant.
Sabrina Burgat, avocate à Neuchâtel, a aussi observé une certaine compréhension de la part des juges vis-à-vis des mères souhaitant changer de domicile avec leurs enfants. «Si le déménagement a lieu en Suisse, il suffit d’un motif professionnel. Mais, pour changer de domicile, encore faut-il savoir où se trouve le domicile de l’enfant, lorsque les parents se répartissent à parts relativement égales sa prise en charge. Et en l’absence de dispositions légales, il règne un certain flou à ce sujet. La loi devrait, à mon avis, imposer que ce point soit réglé au moment de la séparation.»
Dans les cantons de Vaud et de Genève, le domicile de l’enfant ne suscite guère de litiges, d’après nos interlocuteurs, car il est en pratique fixé dans les conventions. Et, dans le canton de Vaud, Micaela Vaerini signale un cas de déménagement d’une mère du Tessin à Lausanne, où elle a trouvé un poste de cadre: une décision «dans la ligne de la pratique antérieure», selon l’avocate.
Anticipation du nouveau droit
Mais sa consœur Sandrine Chiavazza dénonce deux décisions où les tribunaux ont interdit le déménagement à l’étranger du parent gardien peu avant l’entrée en vigueur du nouveau droit, comme par anticipation. «Les restrictions sont grandes dans ce domaine désormais, constate la Lausannoise. C’est problématique quand un parent est étranger et ne trouve pas de travail en Suisse.»
Sans entrer dans les cas particuliers, les juges interrogés par plaidoyer estiment que leur pratique n’a guère connu de changement en matière de déménagement du parent gardien: «Le nouveau droit reprend, en les précisant, les critères de la jurisprudence du Tribunal fédéral, note Lionel Chambour, président de la Chambre des affaires familiales au Tribunal d’arrondissement de Lausanne. Le déménagement avec l’enfant doit, certes, faire l’objet d’une décision commune des parents à certaines conditions, mais on tenait déjà compte auparavant de l’intérêt des deux parents et du bien de l’enfant.»
Pour le canton de Vaud, le nombre de requêtes en modification du lieu de résidence de l’enfant auprès des tribunaux n’est pas connu, tandis qu’une douzaine de demandes ont été déposées auprès des APEA. «On peut donc dire qu’elles sont rares», commente Giovanni Intignano, constatant que «la plupart du temps, un déménagement ne s’accompagne pas d’un changement de canton ou de région au sens étroit pour l’enfant, de sorte que l’art. 301 a al. 2 CC ne trouve que rarement application.»
La Neuchâteloise Noémie Helle relève aussi une continuité dans la pratique sur la question du déménagement, malgré le changement de loi. Partisane de l’autorité parentale conjointe, elle dénonce néanmoins la situation impossible dans laquelle se retrouvent certains parents: «D’un côté, on leur demande de rester au même endroit pour préserver la relation avec les enfants, mais, de l’autre, on les prie d’être mobiles professionnelement».
Sur le plan administratif
Le partage de l’autorité parentale a aussi des incidences sur le plan administratif, surtout lorsque la garde de fait n’est pas attribuée après une séparation. Certains domaines de l’administration ne se sont pas adaptés, constate la Neuchâteloise Sabrina Burgat: «Qui bénéficie du barème fiscal, qui reçoit les allocations familiales, comment se calculent les frais de crèche? Des situations restent peu claires quand les parents se répartissent la prise en charge de l’enfant.»
Dans les écoles également, le nouveau droit complique les processus d’admission et d’autorisation: l’accord des deux parents est demandé pour l’inscription de l’enfant, ce qui répond aux exigences légales. Mais il est aussi parfois requis pour une simple participation à un camp ou à un stage.
Partage de la garde
Le partage de l’autorité parentale étant réglé, le conflit s’est déplacé sur la garde de fait. Et le Parlement fédéral s’est déjà montré favorable à un encouragement de la garde alternée. «C’est incroyable qu’on en soit déjà là, commente Corinne Nerfin. Il est trop tôt, en Suisse, pour fixer la garde partagée comme étant la règle. C’est une question qui doit être examinée de cas en cas.» Katia Elkaim se montre également sceptique: «Ce mode de garde n’est pas toujours praticable. Cela peut vite devenir compliqué pour un enfant de passer d’un lieu de vie à l’autre, surtout à l’adolescence.» La réforme de la garde alternée n’est pas encore sous toit…
*Dans son arrêt du 27 août 2015 (5A_923/2014), le TF a précisé les critères relatifs à une attribution exclusive de l’autorité parentale.
Peu de demandes rétroactives
Tant les avocats que les juges sont étonnés du peu de demandes unilatérales rétroactives pour le partage de l’autorité parentale, qui pouvaient être déposées durant la période transitoire (1er juillet 2014 au 30 juin 2015) si le divorce avait eu lieu dans les cinq ans précédant l’entrée en vigueur de la loi. Elles se sont par exemple élevées à 69 pour le Tribunal de première instance du canton de Genève. L’Ordre judiciaire du canton de Vaud ne les a pas comptabilisées, mais il signale que très peu de requêtes unilatérales ont été déposées, malgré les nombreuses demandes de renseignements. Une tendance similaire est constatée en Suisse alémanique, selon notre partenaire plaedoyer.
Le parent non marié dont l’ex-conjoint refusait le partage de l’autorité parentale pouvait s’adresser à l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) durant le même délai transitoire, mais sans la limite des cinq ans écoulés entre la séparation et l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’APEA du canton de Genève a reçu environ 400 requêtes unilatérales de ce genre entre le 1er juillet 2014 et le 30 juin 2015, et les APEA du canton de Vaud 46.
Plusieurs explications sont données au peu d’empressement des pères divorcés ou séparés (c’est souvent d’eux qu’il s’agit) pour demander rétroactivement le partage de l’autorité parentale. Corinne Nerfin, avocate à Genève, pense que, une fois le conflit apaisé, ils ont préféré le plus souvent renoncer à relancer une procédure: «C’est ceux qui étaient encore en litige qui l’ont demandée.» Sa consœur vaudoise, Micaela Vaerini, pense également «que, après la bataille du divorce, bien des pères en avaient marre», mais il se peut aussi qu’ «ils ont manqué d’informations sur leurs droits». Juge dans le canton de Neuchâtel, Noémie Helle estime qu’un autre élément a pu jouer un rôle: les tribunaux et les APEA ont davantage accordé le maintien de l’autorité parentale conjointe ces dernières années, par anticipation sur le nouveau droit.