Le Conseil fédéral est très attaché à la séparation des pouvoirs. Il l’a redit récemment, en réponse à une question de la conseillère nationale Marina Carobbio, qui s’inquiétait d’un arrêt du Tribunal fédéral (4A_294/2014) admettant, dans un cas particulier, la transmission de données entre assurance de base et assurance complémentaire au sein d’un même groupe. Le gouvernement a commencé par dire qu’il ne lui appartenait pas d’évaluer la jurisprudence du TF. Mais il s’est aussitôt livré à une critique en règle de l’arrêt en question.
Il en synthétise d’abord ainsi la teneur: «Le Tribunal fédéral considère que, puisque l’assureur LAMal et l’assureur LCA ont adopté une organisation commune et s’administrent en commun (même adresse de correspondance, mêmes numéros de téléphone, papier à en-tête commun, mêmes collaborateurs), les documents que des tiers adressent à l’un d’eux, tels que les factures des fournitures de prestations, sont accessibles à l’autre.» Le Conseil fédéral se dit ensuite «convaincu qu’une telle communication des données des assurés est très délicate, qu’elle pose des problèmes au regard du droit de la protection des données.» Et plus encore: cet arrêt «pourrait augmenter le danger de sélection des risques».
La décision controversée illustre la difficile conciliation entre les exigences légales et l’organisation d’une compagnie pratiquant à la fois dans le cadre de la LAMal et de la LCA. Le Conseil fédéral le reconnaît implicitement et met en avant sa solution: il faut empêcher les compagnies de pratiquer les deux branches d’assurance dans la même entité juridique, et imposer des barrières, afin de rendre impossible un transfert des données entre les différentes sociétés d’un groupe.
Un projet de révision de la LAMal allant dans ce sens a pourtant mal commencé son examen par le Parlement. Il a été balayé par le Conseil des Etats au début du mois de mars. A cette occasion, on a vu ressurgir l’arrêt 4A_294/2014: non pas pour justifier la séparation de la base et de la complémentaire, mais pour s’y opposer. «Le Tribunal fédéral ne trouve rien à redire à cette pratique», ont avancé des députés, vantant les avantages d’avoir «un seul interlocuteur» pour la base et la complémentaire.
Certes, dans l’affaire 4A_294/ 2014, l’assureur LCA a appris, grâce au dossier LAMal, que le client potentiel n’avait pas tout dit concernant les traitements médicaux qu’il avait suivis au cours des cinq dernières années. Mais, pour un abus décelé en faveur des assurances, combien sont commis au détriment des assurés? L’Association Pro Mente sana a tiré la sonnette d’alarme concernant l’arrêt susmentionné, dénonçant «cette étrange dérive du TF» et les risques qu’elle fait courir aux personnes ayant de la peine à se maintenir sur le marché du travail.