La situation de certains débiteurs pourrait-elle être qualifiée d’asservissement moderne? Le rapport du Conseil fédéral, publié en réponse au postulat 13.4193 Hêche «Droit suisse de l’assainissement. Intégrer les particuliers à la réflexion», servira de tremplin à l’avant-projet de loi qui sera mis en consultation au Parlement à la fin de l’année, voire au début de 2022. Les conclusions de l’Administration fédérale rappellent la situation des particuliers et des ménages durablement endettés et dépourvus de perspective de redressement économique.
Dans les faits, le manque d’issues offertes par notre ordre juridique annihile trop souvent toute volonté de retour à meilleure fortune. Notre droit des poursuites et de la faillite dispose, certes, de quelques moyens, soit les concordats judiciaires, extra-judiciaires et la faillite personnelle. Or, ces options de sortie ne sont que difficilement accessibles.
Le concordat judiciaire se caractérise par sa lourdeur procédurale avec son assemblée des créanciers et sa publication dans la Feuille officielle assimilable à une mise au pilori. Quant à son pendant, soit le règlement de dettes selon 333ss. LP, son accessibilité limitée aux débiteurs disposant de ressources suffisantes pour désintéresser tous les créanciers représente un obstacle souvent insurmontable. La faillite personnelle, pour sa part, est conditionnée par une avance de frais conséquente. Ce montant à régler empêche de nombreux débiteurs d’y accéder. Pour conclure, le failli est soumis au caractère sempiternel de la dette. En cause: le délai de prescription interruptible (135 CO) de vingt ans des actes de défaut de biens, délivrés aux créanciers à l’issue de la procédure de faillite.
De quoi nous interroger sur la viabilité d’un système maintenant une tranche de ses concitoyens sous l’eau. Il serait judicieux de réfléchir aux coûts sociétaux et à l’inefficience d’un arsenal légal conduisant à l’insatisfaction des créanciers et des débiteurs. Les conséquences pour les débiteurs sont aujourd’hui bien connues, la Conférence suisse des institutions sociales s’en est fait l’écho: le surendettement nuit à la recherche d’emploi et de logement et conduit inexorablement à une dépendance durable à l’aide sociale.
La Suisse bien timide
En comparaison internationale, notre système ne connaît pas de procédure d’annulation des dettes restantes, contrairement à l’Union Européenne et aux Etats voisins. La position des organisations internationales est limpide. L’OCDE a ainsi adressé une recommandation à la Suisse visant l’amélioration du système d’insolvabilité.
Depuis la nuit des temps
Le roi de Babylone, Hammourabi (1810 av. J.-C. à 1750 av. J.-C.), avait proclamé l’annulation générale des dettes des citoyens à l’égard des pouvoirs publics, de leurs hauts fonctionnaires et dignitaires à maintes reprises. Des preuves d’annulation de dettes antérieures au règne de ce souverain et dans d’autres provinces de Mésopotamie ont même été retrouvées. Ces procédés, utilisés sporadiquement, auraient assuré un rééquilibrage social et évité des soulèvements. Par ce biais, le maintien de la cohésion sociale était garanti. Evitons tout angélisme: ce mécanisme permettait surtout d’asseoir le pouvoir du monarque. Il fallait éviter la formation de grandes propriétés et le soulèvement des agriculteurs – accès direct à la terre pour les paysans, entretien et développement du système d’irrigation.
Les présentes considérations nous permettent de conclure aux impacts larges de l’introduction d’un processus efficient en matière d’annulation de dettes. Tel que relevé plus haut, un mécanisme fonctionnel ouvrirait la voie d’une rémission bénéfique pour la société dans sa globalité.