1. Introduction
La confiscation pénale au sens large, qui comprend la confiscation au sens étroit (art. 70 CP) et la créance compensatrice (art. 71 CP), vise à donner effet à l’adage le crime ne paie pas en absorbant les éventuels profits issus d’une infraction. Les valeurs patrimoniales susceptibles d’être confisquées sont celles qui présentent un certain lien de causalité avec un acte répréhensible, à savoir celles qui sont le résultat d’une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l’auteur d’une infraction (art. 70 al. 1 CP).
Toute la difficulté consiste en pratique à séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire à déterminer quelles valeurs patrimoniales sont issues de l’infraction et donc confiscables et lesquelles sont suffisamment indépendantes pour ne pas donner lieu à une telle mesure pénale.
Au cœur de cette distinction se trouve la figure jurisprudentielle dite de l’acte juridique objectivement légal (objektiv legales Rechtsgeschäft). Il s’agit d’une exception à la confiscation en ce sens que lorsque des valeurs patrimoniales découlent d’un tel acte juridique objectivement légal, elles ne sont pas confiscables et ce même si cet acte juridique présente un certain lien avec une infraction pénale.
L’origine et les contours de cette exception ne sont toutefois pas clairs. Je tenterai donc ci-après de percer ou à tout le moins d’éclaircir le mystère et d’apporter quelques clés de lecture à partir d’arrêts de principe du Tribunal fédéral.
2. Aperçu de la jurisprudence topique
2.1 Tentative impossible de recel
À ma connaissance, l’exception de l’objektiv legales Rechtsgeschäft apparaît pour la première fois dans un arrêt de principe en 1998, l’ATF 125 IV 4. Cet arrêt avait pour toile de fond la soustraction, par un employé, de composants informatiques appartenant à l’entreprise qui l’employait. L’employé avait remis lesdits composants à un comparse qui, en toute connaissance de leur provenance illicite, les avait revendus à des tiers. Le produit de la vente avait été partagé à hauteur de 65% pour l’employé et 35% pour son comparse.
L’employé avait été condamné aux Pays-Bas pour abus de confiance. Son acolyte avait quant à lui été condamné en Suisse, en dernière instance cantonale, pour recel et tentative impossible de recel. La tentative impossible s’expliquait par l’impossibilité d’établir la provenance illicite de certains composants. In dubio pro reo, il fallait donc admettre que les composants concernés n’étaient pas de provenance illicite et retenir une tentative impossible de recel (art. 22 al. 1 3e hypothèse cum art. 160 CP) plutôt qu’un recel consommé (art. 160 CP). Le comparse avait en effet admis l’hypothèse que les composants proviennent d’une infraction contre le patrimoine et ainsi réalisé les éléments constitutifs subjectifs de l’infraction de recel.
Le Tribunal fédéral a eu à décider s’il était admissible de prononcer une créance compensatrice contre le comparse incluant le produit de la vente des composants dont la provenance illicite n’avait pas pu être établie. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que la confiscation exige non seulement un avantage issu d’une infraction, mais encore que l’avantage soit illicite en soi («in sich» unrechtmässig), ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La vente de composants dont le comparse avait à tort admis la provenance illicite était certes constitutive de tentative impossible de recel, mais ne fondait pas un droit à la confiscation, les profits y relatifs étant issus d’un acte juridique objectivement légal et n’étant dès lors pas illicites en soi.
Le Tribunal fédéral a donc admis le recours du comparse et annulé la décision cantonale de dernière instance en invitant l’autorité précédente à déduire du montant de la créance compensatrice le produit des ventes de composants dont l’origine illicite n’avait pu être établie, en procédant au besoin par estimation (art. 70 al. 5 CP).
2.2 Travail au noir
Quelque treize ans après, la notion apparut une nouvelle fois dans un arrêt de principe du Tribunal fédéral, l’ATF 137 IV 305, qui concernait une affaire de travail au noir. La prévenue avait, en dépit d’une décision de renvoi finale et exécutoire, travaillé en tant que femme de ménage, générant des revenus de l’ordre de 2400 francs par mois sur plusieurs années.
La prévenue avait été condamnée pour séjour illégal et exercice d’une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. b et c LEtr, devenue LEI depuis) par toutes les instances successives et s’était vu confisquer la somme de 8600 francs retrouvée chez elle. Par-devant le Tribunal fédéral, elle contestait notamment la confiscation du produit de son travail, en argumentant que l’illégalité de son statut n’emportait pas l’illégalité de ses contrats de travail au regard du droit civil.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral s’est référé à l’ATF 125 IV 4 et a retenu que le revenu dégagé par la femme de ménage en situation illégale se fondait sur un contrat de travail valable, subsidiairement une relation contractuelle de fait (art. 320 al. 3 CO). Le droit civil protégeait le travailleur dans ces situations. Partant, il s’agissait d’un revenu issu d’un acte juridique objectivement légal, de sorte que sa confiscation n’était pas admissible. Le Tribunal fédéral a en outre évoqué que le droit public, à savoir les art. 14 s. de la loi sur le travail au noir (LTN), protégeait également le travailleur dans cette situation précise, en obligeant les autorités à l’informer de ses droits et en permettant dans une certaine mesure aux organisations syndicales de faire valoir ses droits en son absence.
Partant, les dispositions de droit civil et public devaient primer la confiscation en tant que leges speciales et l’unité de l’ordre juridique s’opposait à ce que la prévenue soit privée du produit de son travail.
2.3 Vente de données bancaires à une autorité étrangère
Un arrêt ultérieur, l’ATF 141 IV 155, concernait la soustraction, par un employé d’une grande banque suisse, de données concernant des clients allemands. Les données en question avaient été vendues à un tiers qui les avait à son tour revendues pour quelque 2,5 millions d’euros aux autorités fiscales allemandes.
Le banquier avait été condamné en procédure simplifiée pour service de renseignements économiques (art. 273 al. 2 CP), blanchiment d’argent (art. 305bis ch. 1 CP), violation du secret de fabrication ou du secret commercial (art. 162 CP) et violation du secret bancaire (art. 47 LB). En sus, une créance compensatrice avait été prononcée à son encontre. Le tiers était quant à lui décédé en cours d’instruction, si bien que le Ministère public de la Confédération avait classé la procédure à son encontre tout en ordonnant la confiscation de diverses valeurs patrimoniales qu’il considérait comme issues d’une infraction de service de renseignements économiques (art. 273 al. 2 CP).
Sur recours des parents du tiers, le Tribunal pénal fédéral avait annulé la confiscation de certaines valeurs patrimoniales dont le lien avec l’infraction n’avait pu être établi et confirmé l’ordonnance de classement pour le surplus. Devant le Tribunal fédéral, les parents du tiers contestaient la confiscation des valeurs restantes au motif que la vente des données bancaires par leur fils défunt n’était pas illicite.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que la vente des données bancaires était illicite selon le droit suisse et que les recourants ne pouvaient notamment pas se fonder sur l’exception de l’acte juridique objectivement légal qui nous intéresse ici. Selon les juges fédéraux, le cas d’espèce se distinguait nettement de celui du travail au noir, puisque la vente de données bancaires est constitutive de l’art. 273 al. 2 CP et partant illicite en soi. Par conséquent, en l’absence de tout motif justificatif, les montants issus de la vente de données étaient bien confiscables selon l’art. 70 al. 1 CP et ce indépendamment de l’éventuelle validité du contrat selon le droit étranger.
2.4 Pacte successoral
Le pénultième arrêt de principe sur la question est l’ATF 144 IV 285, qui portait sur les conséquences d’un double assassinat (art. 112 CP). Le prévenu avait en effet tué ses deux parents. Après son acte, il avait conclu un pacte successoral avec les frères et sœurs des défunts en vertu duquel il renonçait à son statut d’héritier (c’est-à-dire à contester son indignité) moyennant un paiement de 100 000 francs et le transfert d’un immeuble sis à Zurich.
Alors que le Tribunal de Meilen avait ordonné la confiscation des prétentions du prévenu contre les héritiers, le Tribunal cantonal zurichois y avait renoncé en considérant que le pacte successoral constituait un acte juridique objectivement légal, si bien que la dévolution ne découlait pas du crime mais dudit pacte successoral. Le Ministère public a recouru contre cette décision auprès du Tribunal fédéral en concluant à la confiscation desdites prétentions dont il soutenait qu’elles étaient issues de l’infraction, puisque le pacte successoral n’aurait jamais été conclu sans le double assassinat.
Le Tribunal fédéral a jugé que l’acte du prévenu avait entraîné son indignité (art. 540 al. 1 ch. 1 CC), laquelle était de droit impératif et devait être constatée d’office. Le pacte successoral avait été conclu afin d’éviter que le prévenu ne conteste cette indignité et qu’il ne s’ensuive une longue et coûteuse procédure judiciaire. Le pacte successoral ne visait pas à contourner les règles sur l’indignité et devait être considéré comme valable. Les prétentions du prévenu contre les héritiers ne découlaient donc pas de l’assassinat – qui n’avait qu’engendré son indignité –, mais du pacte successoral parfaitement licite conclu ultérieurement. Partant, c’est à raison que l’instance précédente n’avait pas ordonné la confiscation en retenant que les conditions de l’art. 70 al. 1 CP n’étaient pas réalisées.
Dans ses développements, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence et la figure de l’acte juridique objectivement légal. Il a certes reconnu qu’il n’existait pas de pratique bien définie concernant la confiscation de valeurs patrimoniales indirectement issues d’une infraction tout en soulignant que la confiscation était exclue lorsque des valeurs patrimoniales auraient été acquises indépendamment de l’infraction. En l’espèce, la dévolution successorale aurait eu lieu tôt ou tard et les prétentions découlant du pacte successoral étaient moindres que celles que le prévenu aurait eues en tant qu’héritier, si bien que l’infraction n’en était pas la cause.
2.5 Contrat conclu par corruption
Le dernier arrêt topique sur l’acte juridique objectivement légal est l’ATF 147 IV 479. Il concernait un cas de confiscation en présence de contrats obtenus par corruption. À noter qu’il ne s’agit pas du premier arrêt de principe sur la confiscabilité de valeurs issues d’un contrat conclu par corruption. Le Tribunal fédéral avait en effet admis le principe d’une telle confiscation dans un précédent arrêt, l’ATF 137 IV 79, en retenant que lesdites valeurs pouvaient faire l’objet d’un acte de blanchiment d’argent (art. 305bis CP). Il s’agit toutefois du premier arrêt dans lequel le Tribunal fédéral s’interroge sur la portée de l’exception qui nous intéresse ici (acte juridique objectivement légal) dans un tel contexte.
L’affaire concernait un intermédiaire condamné au Brésil pour corruption et blanchiment dans le contexte de l’affaire Petrobras/Lava Jato. L’intermédiaire en question était intervenu dans la conclusion de plusieurs contrats avec la société Petroleo Brasilero S.A. concernant la fourniture de deux plateformes de forage, en versant notamment des montants corruptifs.
À la suite d’une dénonciation du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), les autorités pénales suisses avaient ouvert une procédure pénale nationale contre l’intermédiaire avant de classer la procédure en opportunité vu le jugement étranger (art. 8 al. 2 let. c et al. 3 cum art. 319 al. 1 let. e CPP). Dans l’ordonnance de classement, le Ministère public de la Confédération avait toutefois prononcé une créance compensatrice à hauteur de USD 9,98 mio correspondant à la différence entre le profit réalisé et le montant déjà absorbé par la décision étrangère. L’intermédiaire avait contesté sans succès le prononcé de cette créance compensatrice devant le Tribunal pénal fédéral avant d’interjeter recours par-devant le Tribunal fédéral.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a dû déterminer si le prononcé d’une créance compensatrice visant à absorber l’ensemble, en l’espèce le reste, du bénéfice net réalisé par l’intermédiaire, était admissible. L’intermédiaire soutenait qu’il avait fourni un véritable travail et que la majeure partie de son activité avait été parfaitement licite, de sorte que la créance compensatrice prononcée était disproportionnée.
Le Tribunal fédéral a rappelé qu’il fallait premièrement s’interroger sur le caractère causal de l’infraction sur l’obtention des valeurs patrimoniales. Il fallait ensuite considérer l’exception de l’acte juridique objectivement légal en ce sens que n’étaient pas confiscables les valeurs patrimoniales issues d’un acte n’ayant pas de rapport direct avec l’infraction, même si l’infraction avait facilité son avènement. À ce sujet, le Tribunal fédéral a exclu qu’un contrat conclu par corruption pût tomber dans cette catégorie et ce indépendamment du fait que le contrat porte sur des prestations objectivement légales.
Le Tribunal fédéral s’est ensuite intéressé à l’étendue de la confiscation en retenant qu’elle dépendait fondamentalement de l’objet du contrat. Si l’objet du contrat était illicite, le profit était confiscable. S’il n’était pas illicite mais dépendait du pouvoir d’appréciation du fonctionnaire corrompu, le profit était en partie mais pas entièrement confiscable, selon une clé à déterminer concrètement. Enfin, s’il existait un droit à la prestation ou que le contrat aurait été conclu sans corruption, aucune confiscation n’était admissible.
En l’espèce le Tribunal fédéral a donc nié l’application de l’exception ici étudiée à un contrat conclu par corruption et renvoyé l’affaire à l’instance précédente en l’invitant à rendre une nouvelle décision selon les considérants
3. Synthèse et critique
3.1 Synthèse
À l’ATF 125 IV 4, la notion d’acte juridique objectivement légal permet d’exclure la confiscation en cas de tentative impossible de recel (art. 22 al. 1 3e hypothèse cum art. 160 CP) et plus généralement de tentative impossible. L’acte (juridique) est objectivement légal puisque seule l’intention – élément constitutif subjectif de l’infraction reposant en l’espèce sur une prémisse erronée – lui confère un caractère pénal.
À l’ATF 137 IV 305, l’institution immunise l’auteur d’une infraction de séjour illégal et d’exercice d’une activité lucrative sans autorisation (art. 115 LEI) contre la confiscation du produit de son travail. La locution vise à prendre en compte la validité du contrat de travail sur le plan du droit civil et l’existence de la prétention salariale qui en découle afin d’éviter que le droit pénal ne vienne la saper.
L’ATF 141 IV 155 délimite négativement la notion en précisant qu’un acte directement constitutif d’infraction pénale ne peut être considéré comme acte juridique objectivement légal. Ainsi, la vente de données bancaires à une autorité étrangère, constitutive de service de renseignements économiques (art. 273 al. 2 CP), justifie-t-elle la confiscation.
Selon l’ATF 144 IV 285, le fait que l’infraction (un double parricide) ait permis la conclusion du pacte successoral ne saurait justifier la confiscation de valeurs patrimoniales obtenues au titre dudit pacte successoral. En somme, le lien de causalité avec l’infraction était trop ténu, en l’occurrence trop indirect.
L’ATF 147 IV 479 s’inscrit quant à lui dans la droite ligne de l’ATF 141 IV 155 en retenant qu’un contrat conclu par corruption ne constitue pas un acte juridique objectivement légal, la conclusion dudit contrat constituant la contre-prestation au titre du pacte corruptif et faisant ainsi partie de l’infraction elle-même.
3.2 Critique
3.2.1 Notion fluctuante
À l’issue de cette analyse sommaire des principaux arrêts du Tribunal fédéral en la matière, force est de constater une certaine fluctuation ou indétermination dans le sens de l’exception considérée. Si l’institution s’impose avec constance comme une exception à la confiscation, les situations visées diffèrent notablement, à tel point qu’il s’avère surprenant de les rassembler sous un seul et même vocable.
Il n’y a en effet que peu de points communs entre l’acte juridique constitutif de tentative impossible (ATF 125 IV 4), l’acte juridique certes constitutif d’infraction mais donnant lieu à une prétention protégée par le droit civil et le droit public (ATF 137 IV 305) et l’acte juridique dont la conclusion a été favorisée par l’infraction (ATF 144 IV 285).
On se consolera en relevant une certaine cohérence entre les arrêts dans lesquels la notion est définie négativement, à savoir l’ATF 141 IV 155 et l’ATF 147 IV 479. Lorsqu’un acte juridique est typique d’une infraction pénale, il est en principe illicite et ne saurait être qualifié d’objectivement légal.
3.2.2 Terminologie peu opportune
La notion d’acte objectivement légal me semble critiquable. On peine tout d’abord à voir le sens du qualificatif objectif en dehors du cas très spécifique de l’ATF 125 IV 4 qui a donné naissance à l’institution. Si la tentative impossible peut certes se décrire comme un acte objectivement légal mais répréhensible en raison de sa composante subjective (l’auteur pense à tort réaliser une infraction), le terme objectif n’a pas de sens dans les autres situations visées qui concernent des cas d’actes juridiques valables sur le plan du droit civil.
Cela étant, s’il fallait faire dépendre l’exception de la validité de l’acte sur le plan du droit civil, elle revêtirait une portée excessive. En effet, il n’est pas rare que la confiscation vise des valeurs patrimoniales issues d’un acte juridique valable, par exemple en cas de gestion déloyale qui consiste précisément à causer un dommage au représenté en accomplissant un acte (juridique) valable préjudiciable à ses intérêts. D’ailleurs, l’éventuelle validité du contrat conclu par corruption (ATF 147 IV 479) ou encore du contrat de vente de données bancaires (ATF 141 IV 155) ne fait pas obstacle à la confiscation.
3.2.3 Fondement dogmatique indéterminé
Si la fonction d’exception attachée à cette notion est certes constante, elle ne s’insère que difficilement dans le paysage dogmatique de la confiscation, puisqu’elle ne trouve aucun ancrage direct dans le texte de l’art. 70 al. 1 CP ou dans les travaux préparatoires.
Pour mémoire, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d’une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l’auteur d’une infraction (art. 70 al. 1 CP). La provenance des valeurs patrimoniales d’un acte juridique (objectivement) légal n’est en soi pas déterminante, puisque seul importe le fait que les valeurs patrimoniales soient ou non issues d’une infraction ou aient ou non été destinées à décider ou à récompenser leur auteur. Dogmatiquement, il vaudrait donc mieux se contenter d’admettre ou nier le lien de causalité naturel et adéquat nécessaire à la confiscation plutôt que de créer une figure d’exception aussi protéiforme qu’indéterminée et par ailleurs dogmatiquement discutable.
Cela étant, on décèle une certaine volonté de créer, par l’acte juridique objectivement légal, une exception équivalente, sur un plan fonctionnel, à celle de l’art. 70 al. 2 CP, mais applicable au prévenu lui-même plutôt qu’au tiers. On peut donc s’interroger sur l’opportunité, d’un point de vue législatif, d’édicter une clause limitant la confiscation, en l’excluant notamment en cas de tentative impossible, de lien trop ténu ou indirect avec l’infraction considérée ou encore de prétentions spécifiquement protégées par le droit civil ou le droit public.
4. Conclusion
La notion d’acte juridique objectivement légal a été développée par le Tribunal fédéral à l’occasion de plusieurs arrêts de principe et regroupe diverses exceptions à la confiscation (au sens large).
Les situations visées sont relativement disparates, allant de la tentative impossible aux actes certes favorisés par l’infraction, mais présentant un lien trop ténu avec celle-ci, en passant par les cas dans lesquels la confiscation se heurterait aux dispositions prévues par le droit civil ou public. On peine à discerner l’opportunité de regrouper ces situations sous une seule et même exception, ce d’autant plus qu’elle ne trouve pas de fondement direct dans la loi et que les termes choisis sont peu clairs, voire trompeurs.
L’émergence de cette institution trahit toutefois un besoin de limites à la confiscation pénale, plus particulièrement lorsqu’elle s’applique au prévenu lui-même, puisque des limites sont d’ores et déjà posées s’agissant des tiers (art. 70 al. 2 CP). Le législateur pourrait ainsi songer à édicter une norme limitant le droit de confisquer (art. 70 al. 1 CP) en codifiant les exceptions consacrées par la jurisprudence. ❙
* L’auteur remercie Jérôme Léger, assistant auprès de la Chaire de droit pénal et de philosophie du droit (prof. Marcel Alexander Niggli) pour sa relecture attentive du présent manuscrit.
1 Cf. ATF 146 IV 201, c. 8.4.3; ATF 145 IV 237, c. 3.2.1; ATF 144 IV 285, c. 2.2; ATF 144 IV 1, c. 4.2.1; ATF 141 IV 155, c. 4.1; ATF 140 IV 57, c. 4.1.1; BSK StGB-Baumann, art. 70/71 N 3; CR CP I-Hirsig-Vouilloz, art. 70 N 5; Marcel Scholl, in: Jürg Beat Ackermann (éd.), Kommentar Kriminelles Vermögen – Kriminelle Organisationen, t. I, Zurich 2018 (cité: «KV/KO I-Scholl»), art. 70 N 63 et 86 ss., art. 71 N 16; Florian Baumann, Deliktisches Vermögen – Dargestellt anhand der Ausgleichseinziehung, thèse, Zurich 1996, p. 29.
2 Cf. BSK StGB-Baumann, art. 70/71 N 22 ss.; CR CP I-Hirsig-Vouilloz, art. 70 N 13 ss.; KV/KO I-Scholl, art. 70 N 132 ss.
3 P. ex. KV/KO I-Scholl, art. 70 N 414. Cf. CR CP I-Hirsig-Vouilloz, art. 70 N 9 et 13.
4 Pour une analyse incluant les arrêts non publiés aux ATF, voir KV/KO I-Scholl, art. 70 N 416 ss.
5 Dans le même sens: KV/KO I-Scholl, art. 70 N 416.
6 ATF 125 IV 4, c. 2b.
7 ATF 125 IV 4, c. 2a/bb i.f. citant Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II, Berne 1989, § 14 N 24.
8 ATF 125 IV 4, c. 2b/bb.
9 ATF 125 IV 4, c. 2c.
10 Cf. Modification du 16 décembre 2016 de la loi fédérale sur les étrangers, entrée en vigueur au 1er janvier 2018, RO 2017 6521.
11 ATF 137 IV 305, c. 3.1 ss.
12 ATF 137 IV 305, c. 3.3.
13 ATF 137 IV 305, c. 3.5. Cf. KV/KOI-Scholl, art. 70 N 425, qui relève également l’importance de l’unité de l’ordre juridique dans l’argumentation du Tribunal fédéral, étant précisé qu’il critique celle-ci.
14 ATF 141 IV 155, c. 4.
15 ATF 141 IV 155, c. 4.3.3.
16 ATF 141 IV 155, c.4.3.4.
17 ATF 144 IV 285, c. 2.5.1.
18 ATF 144 IV 285, c. 2.5.2.
19 Ibid.
20 ATF 144 IV 285, c. 2.5.2.
21 ATF 144 IV 285, c. 2.6.
22 ATF 144 IV 285, c. 2.8.3.
23 ATF 144 IV 285, c. 2.8.4.
24 ATF 137 IV 79, c. 3. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral avait toutefois nié l’existence d’un lien de causalité entre l’acte corruptif et le contrat conclu et partant nié la réalisation de l’infraction de blanchiment d’argent. Les valeurs patrimoniales n’étant pas confiscables, l’acte ne pouvait pas, même potentiellement, entraver la confiscation.
25 ATF 147 IV 479, c. 6.3.1. Cf. également ATF 147 IV 479, c. 6.5.2.1 et ATF 137 IV 79, c. 3.2 ss.
26 ATF 147 IV 479, c. 6.3.2.
27 ATF 147 IV 479, c. 6.3.2.
28 ATF 147 IV 479, c. 6.3.2.
29 ATF 147 IV 479, c. 6.5.1.
30 ATF 147 IV 479, c. 6.5.1 ss.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Également critique: KV/KO I-Scholl, art. 70 N 420, qui qualifie la pratique du Tribunal fédéral de nébuleuse (diffus
en allemand).
34 Cf. ATF 129 IV 338, c. 8.2; KV/KO I-Scholl, art. 70 N 416.
35 Cf. KV/KO I-Scholl, art. 70 N 414 s. selon lequel une mise en application stricte de l’exception considérée (acte juridique objectivement légal) entraverait excessivement la confiscation.
36 Cf. pour d’autres exemples: KV/KO I-Scholl, art. 70 N 424.
37 Dans le même sens: KV/KO I-Scholl, art. 70 N 426: «Der Wortlaut des Gesetzes enthält ebenso wenig einen Hinweis auf einen Ausschlussgrund der «objektiv legalen Herkunft» eines Vermögenswerts wie die Gesetzgebungsgeschichte (historische Auslegungsmethode).»
38 Dans le même sens: KV/KO I-Scholl, art. 70 N 422 concernant l’ATF 125 IV 4.