«L'avocate du défendeur: Je demande l'audition du témoin X. par le Tribunal du district d'Innsbruck, dans le cadre de l'entraide judiciaire.
- L'avocat du demandeur: Je m' y oppose, car il est nécessaire de se faire une impression du témoin en direct.
- Le juge: Et que diriez-vous de procéder à l'audition par vidéoconférence?»
C'est avec ce dialogue fictif que commence un article de la revue autrichienne des juges sur la technique de la vidéoconférence, signé Alexander Schmidt, vice-président du Tribunal de commerce de Vienne. Une entrée en matière plutôt originale pour une revue spécialisée généralement assez austère. Mais la contribution n'est pas récente puisqu'elle date de 2006, lorsque l'installation de caméras et d'écrans pour l'audition de prévenus et de témoins était une nouveauté, qui laissait encore de nombreux juges sceptiques. Aujourd'hui, raconte Alexander Schmidt, il n'est plus nécessaire de faire la promotion du système: «Les vidéoconférences font partie des outils de base des tribunaux autrichiens.»
Les chiffres le démontrent aussi: 213 vidéoconférences ont eu lieu dans les prétoires en 2008, puis 1404 l'année suivante, pour atteindre le nombre de 1960 en 2010 et, finalement, plus de 2500 en 2011. Les avantages sont manifestes: si un suspect recherché par les autorités de Vienne est arrêté 600 km plus loin à Bregenz, le juge d'instruction compétent n'a plus besoin de réclamer qu'on le lui amène. Il peut aussi se dispenser de demander l'entraide judiciaire à un collègue du Vorarlberg. Car il est en mesure de procéder lui-même au premier interrogatoire dans les 48 heures.
Il en va de même pour les témoins: s'ils ne peuvent pas se présenter au tribunal, ils seront entendus à distance.
Les tribunaux et les procureurs des la capitale et des «Länder» n'ont pas été les seuls à s'équiper en installations vidéo: les établissements pénitentiaires ont également aménagé des espaces avec écrans et caméras. Et en 2011, à la fin du mois de novembre, la Ministre de la justice, Beatrix Karl ouvrait la première installation de ce type dans un hôpital public, en l'occurrence dans la clinique neurologique du pays. Un moyen d'éviter le coûteux transport des patients par les fonctionnaires de la justice: une économie sur le plan financier, mais aussi un gain en matière de sécurité, explique la ministre, qui saisit cette occasion pour faire l'éloge du rôle précurseur de l'Autriche dans l'utilisation, par la justice, de technologies modernes.
«En comparaison européenne, nous sommes nettement en avance», confirme Peter Hubalek, responsable du projet «vidéoconférence» au Ministère de la justice: «Les Hollandais, les Tchèques et les Allemands ne sont pas aussi bien équipés que nous.» Peter Hubalek a récemment donné des conférences en Roumanie et en Grèce, deux pays intéressés à importer le système autrichien. Le spécialiste vante avant tout l'avantage de la rapidité et de la simplicité de l'utilisation («chaque juge peut entrer dans le système depuis son ordinateur et voir si l'espace de conférence est libre»), mais aussi les économies réalisées: «Nous avons pu amortir les investissements technologiques au moyen des économies de transport seulement un an et demi après l'installation.»
Ecran LCD
Afin de satisfaire les juges et des avocats (y compris les plus âgés), le standard de qualité de l'image et du son doit être élevé. Des systèmes utilisables avec un ordinateur et un écran de PC ont ainsi été refusés. «Notre modèle était la télévision», raconte Peter Hubalek: caméras de haute qualité, écrans plats LCD, transfert de données par liaison ISDN. La liaison téléphonique n'est utilisée que pour des conférences avec l'étranger. L'investissement représente jusqu'à 10 000 euros par site. C'est pourquoi un équipement doit durer au moins dix ans.
La mise en service des installations a été précédée d'une phase d'essai, à laquelle les juges ont été conviés pour s'accoutumer à la nouvelle technologie et se débarrasser de leurs craintes. Lors de l'utilisation effective, la personne menant l'interrogatoire peut toujours compter sur un responsable, qui actionne la caméra et règle les petits problèmes techniques. «Nous avons achevé l'équipement en novembre 2011, annonce Peter Hubalek non sans fierté: chaque bâtiment de l'ordre judiciaire comprend la vidéoconférence, même si ce n'est pas le cas de chaque unité.» Et les lois ont entre-temps changé, de sorte que, lors de procès civils, les juges doivent avancer de bonnes raisons pour requérir l'entraide judiciaire à la place de la vidéoconférence.
Une longue histoire
L'histoire de la vidéoconférence dans l'ordre judiciaire autrichien commence en 1994 déjà, avec une révision du droit pénal. Elle prévoyait que les témoins qui n'étaient pas en mesure de se présenter au tribunal pouvaient aussi être entendus «par l'emploi de dispositifs techniques pour la transmission de la parole et de l'image». Les juges n'ont toutefois guère recouru à cette possibilité les années suivantes. Mais ce n'est qu'après une autre novelle, en 2002, que la vidéo s'est fait sa place au tribunal. A ce moment-là, le délai pour l'audition d'un prévenu par le juge d'instruction a été ramené de 72 à 48 heures. Si le prévenu ne se trouve pas au même endroit que le juge, il n'est souvent plus possible d'obtenir l'entraide judiciaire en un aussi bref délai. Les juges sont ainsi incités à procéder aux auditions à distance. Ce qui représente de grands avantages aux yeux d'Alexander Schmidt: «Cela ne m'apporte pas une vision d'ensemble, mais, tout de même, une impression vivante de la personne interrogée.» En comparaison, une audition menée par un juge mandaté dans le cadre d'une assistance judiciaire par un autre juge n'aboutit qu'à un «protocole austère». De plus, les juges mandatés connaissent moins bien le cas et ne sont, de ce fait, souvent pas en mesure de poser les bonnes questions et d'évaluer correctement les réponses. A l'inverse, la vidéoconférence permet une administration immédiate des preuves.
Depuis 2005, la justice civile recourt également à la vidéoconférence. En 2009, le Code de procédure civile (art. 277) donne clairement la priorité à ce mode d'interrogatoire par rapport à l'audition par un juge mandaté. Une innovation qui fait surtout ses preuves lors de brèves auditions, remarque Alexander Schmidt, par exemple lorsqu'un témoin n'a qu'une citation à confirmer ou qu'un conseiller fiscal doit juste fournir un renseignement: «Ces personnes n'ont désormais plus besoin de traverser l'Autriche et de prendre deux jours de congé, épargnant le budget des parties au litige et la justice y gagnant en considération.»
Pour le juge, le procédé atteint ses limites lorsqu'il faut présenter des documents à un témoin: «Cela représente souvent des liasses avec de nombreuses pages, que je ne peux pas simplement tenir devant la caméra. Et le témoin n'est pas non plus en mesure de les lire correctement. Et il est difficile de transmettre des documents volumineux par fax ou par courriel.»
Avocats sceptiques
Les avocats se montrent plus sceptiques face au recours accru à la vidéoconférence. Elle est très profitable lors de contacts avec l'étranger, reconnaît Elisabeth Rech, avocate et vice-présidente de l'Ordre des avocats de Vienne. Elle se prépare justement pour une procédure importante impliquant un prévenu au Kazakhstan, avec des interrogatoires de témoins en Asie centrale, «qui ne seraient jamais venus à Vienne». En revanche, dans un pays aussi petit que l'Autriche, on peut encore demander à des témoins de se déplacer d'une ville à l'autre, estime l'avocate: «Ce n'est pas la même chose d'avoir une personne devant soi ou de la voir sur un écran.» Quelle que soit la position du législateur, Elisabeth Rech estime que, avec une vidéo, l'immédiateté n'est pas respectée. «C'est aussi l'avis de mes collègues.»
Peter Csoklich, avocat en droit civil, voit de manière plus positive l'installation de la vidéoconférence dans le pays, qui évite des déplacements pénibles dans des tribunaux de district éloignés: «Beaucoup de désagréments pour répondre à trois questions d'un juge!» Mais Peter Csoklich n'approuve pas les velléités de certains de développer encore davantage le système dans les tribunaux. Des juges espèrent en effet généraliser les nouvelles méthodes à toutes les procédures. Les plaignants, les défendeurs, leurs avocats et les juges ne se verraient alors plus que par écran interposé.
Cela est faisable sur le plan technique, explique Peter Hubalek: un écran peut aussi être partagé en quatre segments. Mais le spécialiste des techniques de communication au Ministère de la justice ne croit pas que toutes les audiences se feront bientôt par l'intermédiaire d'un écran.
Il est en train de travailler à un dispositif permettant aux experts et aux interprètes d'être connectés à la procédure par vidéo. Mais le développement de la vidéo dans le domaine judiciaire ne devrait pas aller beaucoup plus loin. Pour l'avocat Peter Csoklich, l'audition à distance ne pourra pas non plus remplacer un jour «le vécu en direct, dans une salle de tribunal. Il se passe aussi beaucoup de choses lorsqu'on se parle face à face.» Si la vidéo est idéale pour des questions simples, «il faut cependant savoir où se situent ses limites».