Pascale Haldimann, intervenante au centre mis sur pied par la loi sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) dans le canton de Vaud, en est persuadée: «La victime est le parent pauvre du nouveau code de procédure pénale. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2011, la situation de la victime s’est péjorée, car on a donné plus de droits au prévenu sans prévoir de sanctions lorsque l’information de la victime, selon l’art. 305 CPP, ne se fait pas à satisfaction par la police ou le Ministère public. En particulier, le procureur n’est pas obligé d’inviter le plaignant à établir son dommage et à faire valoir des conclusions civiles1. Souvent, l’ordonnance pénale est rendue avant même que la victime n’ait le temps d’en prendre, et même si la victime a fait cette démarche, le prévenu refuse de les reconnaître et elle doit intenter un procès civil pour faire valoir ses droits. Beaucoup renoncent à encourir de tels frais.»
Des droits disséminés
Les droits de la victime, de plus, se trouvent disséminés dans l’ensemble du Code de procédure: «Avant d’en parler au Centre LAVI, je constate que la victime ignore souvent ce que veut dire ce déluge de détails et n’est pas en mesure de se déterminer à ce sujet», poursuit Pascale Haldimann. A Berne, Simone Anrig, chargée d’aide aux victimes de la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale, constate que «l’idéal serait que la victime ait au moins deux ou trois semaines pour décider si elle veut participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal et/ou au civil. Mais, en réalité, la police soumet à la victime un formulaire, et une décision rapide est exigée à ce sujet, ce qui n’est pas satisfaisant.» Tout comme Pascale Haldimann, elle fait partie d’un groupe de travail mis sur pied dans le cadre de la Conférence suisse des offices de liaison de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (CSOL-LAVI) qui a relevé six «points noirs», ou difficultés principales, rencontrées depuis l’entrée en vigueur du CPP. Autant de problèmes qui devront être revus dans le cadre de l’évaluation de la LAVI, actuellement en cours à l’Office fédéral de la justice (lire encadré).
Solution de «lege ferenda»
A Fribourg, l’avocat Daniel Känel, lui aussi membre du groupe de travail, décrit la solution que l’on pourrait trouver de lege ferenda au règlement des prétentions civiles des victimes, à l’heure où la plupart des cas se règlent par ordonnance pénale: «Le Ministère public statuant par ordonnance pénale pourrait, du même coup, statuer sur la réparation civile de la victime. Ainsi cadrées, ces prétentions seraient mieux acceptées.» Une proposition approuvée par Simone Anrig: «Elargir la compétence des procureurs pour réclamer cet argent à l’auteur de l’infraction directement lors de la procédure pénale est une bonne idée. En effet, il n’est pas acceptable que les victimes soient obligées de faire un procès civil en dommages -intérêts. Pour l’éviter, elles font aujourd’hui une demande d’indemnisation sur la base de la LAVI. Cela ne me semble pas très juste, car c’est, dans ce cas, la société qui doit payer, alors que l’auteur pourrait, dans certains cas du moins, indemniser le dommage.»
Barrières trop élevées
Un autre problème est celui des barrières trop élevées mises à l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite: «Les autorités l’ont limitée en posant des conditions restrictives, telle que l’exigence de difficultés de fait ou de droit auxquelles le requérant ne pourrait faire face seul (ATF 130 I 180 c. 2.2) ou en interprétant cette aide comme remboursable, ce qui n’est pas le cas en matière d’aide aux victimes (art. 30 II et III LAVI)2», signale Daniel Känel. Là encore, il conviendrait de discuter de cette question dans le cadre de l’évaluation en cours de la LAVI.
Le fait que le prévenu puisse disposer désormais d’un avocat de la première heure dès sa première audition par le procureur, alors que la victime ne bénéfice pas d’un tel droit, a été déploré dans la doctrine. Dans le canton de Vaud, un accord a été passé pour que les victimes puissent bénéficier rapidement, elles aussi, d’un tel avocat si nécessaire3. Mais ce n’est pas le cas partout. «Or, dans certaines situations où les enfants sont victimes, il serait important qu’ils puissent compter, eux aussi, sur un avocat de la première heure pour assister dès l’origine à l’audition du prévenu», estime Pascale Haldimann. Au sein du groupe de travail, les opinions étaient très partagées à ce propos: «La victime doit déposer de manière authentique et il ne faudrait pas qu’on la dise instrumentalisée par son avocat, elle y perdrait en crédibilité», souligne Simone Anrig.
Témoignage en ultime recours
Une recommandation nationale de la CSOL-LAVI doit régler un autre «point noir», qui concerne la contradiction entre le devoir de confidentialité auquel sont soumis les Centres LAVI et le devoir de témoigner dans le cadre des procès pénaux. «Ce témoignage ne doit être demandé qu’en ultime recours, afin de ne pas rompre le lien de confiance qui a amené les victimes à se confier au centre», explique Daniel Känel. En effet, il existe le risque que les victimes renoncent à confier certains faits si tout se retrouve dans le procès-verbal.
Enfin, la question de la subrogation légale des Centres LAVI dans l’aide accordée à long terme, introduite par la révision, a donné lieu à des pratiques inégales entre les cantons et une mise en œuvre compliquée. Un changement qui devra aussi être soumis à évaluation.
LAVI: un rapport d’évaluation à la fin de l’année
Le groupe chargé de rédiger un rapport d’évaluation sur l’application de la loi sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI), entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a commencé ses travaux voici deux mois. Il les terminera avant la fin de 2015. Un cahier des charges des questions à investiguer a été défini, en réponse à différents postulats et interventions parlementaires. Il s’agit notamment d’examiner dans quelle mesure l’offre de soutien aux victimes correspond effectivement aux besoins des différents groupes de population, notamment des enfants dont la position pourrait être renforcée par des modifications légales. Convient-il de créer davantage de centres plus spécialisés dans le traitement d’un type de victimes (violences domestiques, étrangers)? La question de la pertinence du modèle de réparation et prise en charge des frais d’avocat dans la procédure pénale et civile sera aussi investiguée. Les effets du nouveau Code de procédure pénale sur la situation de la victime, notamment lorsque l’affaire est réglée par ordonnance pénale (sans participation de la victime et sans la possibilité de se faire allouer des conclusions civiles) sont aussi au cœur de l’évaluation; les points soulevés par le groupe de travail CSOL-LAVI en font partie.
Enfin, savoir dans quelle mesure l’aide financière destinée aux victimes selon la LAVI est suffisante, appropriée et calculée également dans toute la Suisse, notamment pour les plus sévèrement atteintes, sera examiné. En effet, les données de l’aide aux victimes de l’Office fédéral de la statistique font état d’une diminution régulière, depuis 2011, des indemnisations et des réparations morales accordées (de 1559 à 1206 en 2013). Un effet dû notamment au mandat d’économie donné dans la dernière révision de la loi, souhaité par les cantons. La transmission des données entre Ministère public, police et Centres LAVI sera aussi analysée.