Je me suis posé cette question dès mes débuts en tant que chef de la division sécurité au travail de la Suva, voici cinq ans. Selon un inventaire dressé avec l'Institut de santé au travail de l'Université de Lausanne, quelque 600 entreprises en Suisse utilisent aujourd'hui les nanoparticules, et l'on compte quelque 1500 personnes exposées à ces substances. Ces nanoparticules se présentent généralement sous forme de poudres, telle cette poudre noire que vous voyez dans cette boîte et qui contient des nanotubes de carbone. Ces longs tubes peuvent, si un travailleur respire ces particules, venir s'implanter au fond de ses poumons et, comme pour l'amiante, ils ne peuvent être dégradés et sont susceptibles d'entraîner des effets cancérigènes à long terme. Les nanotubes de carbone sont la seule substance à l'utilisation de laquelle, aux Etats-Unis, le Toxic Substance Control Act (TSCA), pose certaines restrictions1.
Parmi les nanoparticules figurent aussi les nanoparticules d'argent, par exemple, appréciées pour leur effet bactéricide dans le tissu de certaines chaussettes ou dans des échantillons, tels ce déodorant pour hommes reçu à titre d'essai dans la gare de Lausanne, qu'on ne pourrait vendre aux Etats-Unis sans indication mettant en évidence une telle présence. On a tendance, actuellement, à utiliser ces particules d'argent à tort et à travers, par exemple dans des lotions et des crèmes, sans se soucier de ce qui se passera le jour où trop de ces substances, non biodégradables, se retrouveront dans nos eaux usées.
A ce stade, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) a réalisé avec la Suva des recommandations fixant: 1) la définition de ces nanoparticules; 2) un plan d'action contenant une matrice permettant aux entreprises d'évaluer le risque d'exposition de leur personnel confronté aux nanoparticules. L'évaluation est plutôt sévère, car elle a été réalisée selon le principe de précaution. A noter que les applications des nanoparticules ne concernent pas toujours le fabrication de petites choses: qu'on pense aux façades entières de bâtiments qui en sont recouvertes, afin de les imperméabiliser et de créer un effet autonettoyant, par exemple. D'autres servent de transporteurs de médicaments anticancéreux, permettant de limiter les principes actifs en atteignant mieux leur cible. Il y a aussi un potentiel énorme à exploiter s'agissant des panneaux solaires utilisant des colorants plutôt que du silicium, des revêtements pour les pare-brises de voitures ou, pour le consommateur, de crèmes solaires plus faciles à étendre au dioxide de titane, qui feront l'objet, cette année en France, d'une mention précisant que ces produits contiennent des nanoparticules.
L'OFSP n'a pas fixé de date butoir pour agir, et on ne peut parler de véritable manque de base légale dans la législation fédérale. La Suva a émis il y a deux ans ses recommandations et, l'an prochain, une valeur d'exposition maximale sera introduite; elle a été fixée à 10000 fibres par cm3 pour les seules nanoparticules de carbone, soit à une limite analogue à celle de l'amiante. Mesure complémentaire: toute personne travaillant avec ces fibres sera soumise à une radio des poumons tous les deux ans; nulle part ailleurs, la prévention n'est aussi stricte. Pour les autres nanoparticules, il convient d'agir au cas par cas. L'Allemagne a ainsi proposé certaines valeurs limites généralisées pouvant s'avérer, selon les produits, trop strictes ou trop souples. Quant à nos recommandations de prévention en matière de nanoparticules, elles ont été reprises l'an dernier en Italie avec notre aval.
Marc Truffer, chef de la division sécurité au travail de la Suva pour la Suisse romande
1Un avis publié le 31 octobre 2008 dans le Registre fédéral, intitulé «Toxic Substances Control Act Inventory Status of Carbon Nanotubes», établit que les nanoparticules de carbone sont considérées comme de nouvelles substances chimiques soumises au TSCA, distinctes d'autres formes de carbone, et doivent, à ce titre faire l'objet d'un avis préalable à leur fabrication, selon la section 5 du TSCA.