La question des gens du voyage en Suisse comme en Europe n'en finit pas d'agiter le monde politique. Celui-ci, ignorant tout à la fois l'histoire tzigane en Europe (600 ans de persécution) et ses obligations légales (protéger une minorité), redécouvre la lune entre mai et septembre de chaque année, envoie la gendarmerie, s'insurge des déprédations, annonce des actions concrètes... et la confrontation recommence quelques mois plus tard. Les médias s'agitent, les bonnes gens tempêtent, des conseillers nationaux déposent des propositions coercitives que le Conseil fédéral rejette. La question des places d'accueil est une question communale et cantonale d'aménagement du territoire. Or, des Tziganes, personne n'en veut.
Les difficultés de cohabitation entre la société sédentaire et celle semi-nomade sont immémoriales et ne disparaîtront pas pour deux raisons: la première tient à l'augmentation de la population tzigane (estimée à 10 millions), seule minorité transnationale européenne, présente dans 43 pays en Europe, dont la vie quotidienne ne s'améliore pas, parce qu'on persiste à vouloir l'intégrer alors qu'il faut lui donner des moyens de s'autodévelopper; la seconde va tenir à la paupérisation générale de millions d'Européens qui, privés de travail et chassés de leur appartement, pourraient vivre à la nomade à l'avenir. Sans mentionner les autres dizaines de millions d'Européens qui vivent au bord des mers et qui vont refluer vers l'intérieur des terres devant la montée des eaux. Gérer la venue des Tziganes étrangers est donc un exercice urgent, nécessaire et anticipatif.
La solution? Les responsables politiques doivent appliquer la loi en s'entourant des conseils des gens du voyage suisses qui sont les premiers à pâtir de la colère de la population. Il ne s'agit donc pas d'une priorité en faveur de la minorité suisse, mais de la création d'infrastructures pour éviter les conflits dont les flux migratoires en forte augmentation vont inévitablement aggraver l'intensité. La minorité Sinti et Jenisch suisse pourrait retrouver du même coup une vie plus paisible.
Quelle est cette loi? Tout d'abord, c'est celle créée par les jurisprudences du Tribunal fédéral dans deux affaires Bittel plaidées en 2001 et 2003 (1P.126/2001 et ATF 129 II 321). L'art. 3 al. 3 de la loi sur l'aménagement du territoire (LAT) fonde l'obligation d'aménager le territoire selon les besoins spécifiques et effectifs de la minorité tzigane suisse.
Ensuite, c'est le droit international, à travers trois instruments: l'art. 27 du Pacte II de l'ONU qui s'applique à la minorité suisse et protège son mode de vie. Cet article est justiciable, selon la doctrine et les critères du Tribunal fédéral; l'art. 2 al. 1 lit a de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui interdit tout acte discriminatoire et son art. 5 qui garantit l'égalité devant la loi sont également tous les deux directement applicables en droit suisse. Et, enfin, l'art 8 de la CEDH, droit justiciable s'il en est, sur la base duquel la Cour européenne a rendu ses décisions de principe en matière du droit au stationnement des Tziganes.
Serait-il temps que les Tziganes suisses assignent en justice les cantons en exécution de leurs obligations positives, et ce dans l'intérêt de la Suisse elle-même?