Depuis l’entrée en vigueur, en 2007, de l’art. 75 CPS, la «normalisation de la vie en détention» institue une nouvelle approche du travail des détenus, l’exécution de la peine devant «correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaire». Les Règles péniten-tiaires européennes précisent que «l’organisation et les méthodes de travail dans les prisons doivent se rapprocher (…) de celles régissant un travail analogue hors de la prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale» (RPE 26.7). On ne parle plus de solde mais de «rémunération». Certains auteurs en déduisent que les détenus doivent pouvoir postuler ou être candidats à un travail, qu’ils obtiendraient en fonction de leurs capacités, expériences et motivation. Un projet pilote avait même été élaboré à l’établissement d’exécution des peines de Bellevue à Gorgier, (Neuchâtel), en 2010-2011. «Une idée sur le papier qui ne s’est pas concrétisée», confie le directeur actuel de la prison, Urs Hausammann. La surpopulation carcérale limite aussi le nombre de postes disponibles, souvent des «travaux d’intérêt général occupationnels»: cuisine, nettoyage, buanderie et lingerie comme au Bois-Mermet à Lausanne, qui a adjoint le jardinage, les sports et loisirs, la bibliothèque, la création de vidéos internes à l’établissement, le coiffeur et la maintenance. Il n’y a cependant que 47 places de travail pour 170 détenus, la moitié étant des condamnés en exécution de peine. «Cela n’est pas satisfaisant, déplore le directeur Florian Dubail, car plus un détenu est occupé, mieux sa détention se passe.»
Héritage du passé, nombre de détenus travaillent toujours sur de vastes domaines agricoles. Migros Lucerne et Coop achètent ainsi légumes et herbes bio au centre de détention de Wauwilermoos à Egolzwil, alors que les détenus de Lenzburg, plus ancien fournisseur depuis plus de quarante ans, préparent des choux-raves et des légumes destinés à la soupe pour Migros-Aar. Bellechasse (FR) fournit à Micarna les choux de la saucisse au choux. Les prix d’achat – que les supermarchés ne communiquent pas – seraient conformes au marché.
Aux Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, 39 détenus assurent toujours l’exploitation du domaine agricole de 364 ha et prennent soin des vaches, des veaux, des ovins, de la basse-cour, de la porcherie ou travaillent à la boucherie, à la vigne, au verger ou aux travaux mécanisés. Cette production fournit chaque année 100 tonnes de pommes de terre, 45 tonnes de viande et 80 000 litres de lait à la cuisine de la prison. A Bellechasse, le travail des détenus fournit viande, légumes et céréales ainsi que d’artistiques poyas de bois en trois dimensions. Savoir si ces occupations préparent réellement les prisonniers à se réinsérer sur le marché actuel du travail est une autre question. On enterrerait en tout cas résolument cet objectif en réintroduisant d’anciens outils, abandonnés dans les greniers, pour le travail agricole avec les chevaux, comme le suggère un mémoire de master en criminologie lausannois1.
Depuis le 1er novembre 2008, la Conférence latine des chefs des Départements de justice et police a pris une décision réglant la rémunération versée aux personnes détenues placées dans les établissements. L’art. 4 II précise que la moitié du montant sera versé en cas de maladie ou de manque de possibilité, pour l’établissement, d’attribuer un travail. Il aura fallu attendre octobre 2016 pour que Genève, qui ne versait rien aux détenus contraints de «chômer», faute de place de travail, consente à libérer 100 000 fr. par an à cet effet. Curieusement, ce même canton était moins pingre avec les indemnités de l’Office cantonal de la détention, où une soixantaine de gardiens, de même que tous les directeurs et leurs adjoints, touchaient des suppléments mensuels pour service de nuit et travaux spéciaux, alors qu’ils n’accomplissaient aucune de ces tâches.
1Claudia Crivelli, Prise en charge des détenus de Bellechasse: vers de nouveaux suivis?, Institut de criminologie et de droit pénal, Université de Lausanne, septembre 2009, p. 66.