L'acceptation, par le gouvernement suisse, de M. Jagath Dias comme chef adjoint de mission à l'ambassade du Sri Lanka à Berlin pour la Suisse1, alors que de lourdes accusations d'avoir commis des crimes de guerre pesaient contre lui, a attiré l'attention sur le cadre juridique de cette nomination. Ce cadre juridique est le reflet du droit coutumier et se caractérise par la courtoisie qui doit régner entre les Etats. Ses contours sont donnés par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, un texte qui a cinquante ans aujourd'hui, et par le Règlement protocolaire de la Confédération. Il s'agit de règles relativement détaillées, mais peut-être trop lacunaires dans le cas qui nous occupe.
Il faut d'abord relever que seul le chef de mission, soit la personne qui porte le titre d'ambassadeur, est soumis à la procédure de l'accréditation (art. 4 I CV, art. I ch. 1 du Règlement protocolaire). Pour le suppléant du chef de mission, fonction qu'occupait
M. Dias, l'agrément n'est pas nécessaire. On fait confiance au chef de mission qui a la responsabilité d'engager son personnel; le ministère des affaires étrangères de l'Etat accréditaire est néanmoins informé du nom des membres de la mission ainsi que du début et de leur fin d'activité (art. 10 I lit. a CV). C'est à cet Etat - en l'occurrence, la Suisse - de s'informer et de surveiller l'activité de ces personnes.
Si la procédure d'accueil du personnel de la mission est légère, il est aussi facile pour l'Etat accréditaire de s'en débarrasser, puisqu'il peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l'Etat accréditant qu'un membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata (art. 9 I CV). Dans le cas de M. Dias, la Suisse a connu les soupçons qui pesaient sur lui mais, pour des raisons politiques, elle n'a pas souhaité immédiatement le renvoyer en usant de cette procédure. D'abord, en tant que pays neutre, elle a pu juger que les allégations reprochées semblaient claires, mais qu'on ignorait encore si ces soupçons étaient fondés pénalement. Ensuite, M. Dias se trouvant basé à Berlin, la Suisse a probablement parlé de l'affaire aux autorités allemandes, afin de coordonner leur position à son sujet; M. Dias entretenant un rapport plus intense avec l'Allemagne qu'avec la Suisse, l'Allemagne a sans doute eu la priorité s'agissant de la position à prendre. Enfin, le Sri Lanka pouvait considérer le fait de déclarer M. Dias persona non grata comme un acte inamical à son égard; or, si la Suisse et l'Allemagne souhaitaient que ce pays mène une enquête interne sur les soupçons invoqués, il est essentiel de conserver de bons rapports avec lui.
Le fait que le Sri Lanka n'ait pas prolongé le mandat de M. Dias, qui a pris fin le 18 septembre, permet à ce pays de régler le problème sans reconnaître avoir commis une faute politique avec cette nomination. La discrétion sur les mesures qui ont été prises par la Suisse n'est pas satisfaisante, car, si les soupçons sont fondés, l'opinion publique souhaite qu'ils soient analysés, voire qu'un procès ait lieu. Le véritable problème dans ce cas est la question de l'immunité diplomatique d'une personne soupçonnée de crimes de guerre et de l'impunité qui peut en résulter. Le système actuel est fait pour protéger la sécurité des diplomates envoyés en mission; on peut se demander si cette sécurité ne devrait pas être restreinte, s'agissant de certains crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.
Préalablement, le choix de diplomates issus de pays connaissant une instabilité politique ou une guerre civile devrait faire l'objet d'un examen particulier par la Suisse. Cette tâche est difficile, comme ou l'a vu au Kosovo où la plupart des membres du gouvernement avaient tenu un rôle actif dans la guerre civile. Je pense que la Suisse s'y livre déjà, mais qu'elle rend rarement publiques les mesures prises.
1 Au début de septembre, M. Dias a été privé de son immunité diplomatique et rappelé par Colombo. Il aurait, depuis, quitté l'Europe. Il est suspecté de crimes de guerre par le Ministère public de la Confédération, qui ouvrirait une instruction s'il revenait en Suisse, a signalé ce dernier dans une ordonnance du 16 septembre. Cette perspective apparaît toutefois peu probable, admet le Ministère public fédéral.