La responsabilité civile des magistrats est une question revenant à intervalles réguliers dans la doctrine(1). Dans toutes les discussions, l’équilibre difficile à établir se situe quelque part entre la non-impunité des juges et le respect de leur indépendance, principe fondamental à l’Etat de droit. Evidemment, la question est aujourd’hui au cœur des débats, puisque, à la suite des drames de Marie et Lucie, une initiative populaire fédérale, intitulée «Responsabilité en cas de récidive de la part de délinquants sexuels ou violents», a été déposée en avril 2014. En quelques mots, cette initiative a pour but d’introduire un article 123e à la Constitution fédérale, construisant une responsabilité directe entre l’autorité autorisant la sortie d’un délinquant considéré comme dangereux et sa récidive.
A l’heure actuelle, le droit de la responsabilité des magistrats ne va pas si loin. Il est d’abord à considérer que le magistrat est en premier lieu un agent de l’Etat, si bien que sa responsabilité est basée sur les lois fédérale et cantonales sur la responsabilité de l’Etat et de ses agents. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un système de responsabilité exclusive de l’Etat, dans lequel l’agent ne peut pas être recherché directement. Les actions doivent donc être dirigées contre l’Etat qui, à son tour, peut disposer d’une action récursoire en cas de faute, voire de faute grave, de l’agent (voir notamment les articles 3 al. 3 et 7 de la LRCF; RS 170.32). Ainsi, la responsabilité d’un magistrat, tout comme celle de n’importe quel fonctionnaire, n’est envisageable que lorsque les conditions de la base légale, de l’action ou de l’omission imputable à l’Etat ou à un de ses agents, de l’acte illicite, du dommage et enfin du lien de causalité sont réunies.
Dans le cas particulier de la responsabilité des magistrats, la condition de l’illicéité des décisions est à traiter de manière spécifique, d’autant plus en l’absence de la condition de faute. Il est en effet délicat de considérer que toutes les décisions ayant pu être annulées par un tribunal supérieur ou encore celles qui ont été suivies de toutes sortes de récidives de la part d’un délinquant libéré, puissent donner lieu à une action en responsabilité personnelle du magistrat en cause. Cette situation paralyserait totalement la bonne marche de la justice et remettrait en cause de manière drastique la notion d’indépendance des juges.
La jurisprudence a donc développé un critère mesuré de cette notion d’illicéité dans ce cadre. En une phrase, elle retient l’existence d’un prononcé illicite en cas d’erreur grave et manifeste ou de violation d’un devoir essentiel inhérent à l’exercice de la fonction qu’un magistrat normalement soucieux de ses fonctions n’aurait pas commise.
Aux juges dès lors, cas échéant, de considérer si la décision de laisser Claude D. en liberté remplit d’une part les conditions générales de la responsabilité de l’Etat et de ses agents et, d’autre part, si cette décision est une erreur grave et manifeste qu’un magistrat normalement soucieux de ses fonctions n’aurait pas commise.
Julie Hirsch,
titulaire du brevet d’avocat, assistante doctorante à l’Université de Neuchâtel.
(1) Pour plus de précisions, lire l’article de l’auteure, «La responsabilité civile des magistrats, en particulier dans le canton de Neuchâtel», in: RJN 2013 15 et les références citées.