L'ATF 138 III 497 est intéressant à de nombreux égards. Nous commencerons ainsi par rappeler les faits 1., nous résumerons ensuite les considérants 2. pour, finalement, apporter quelques conclusions personnelles 3.
1. Faits
En 2001, la société X SA (ci-après: la recourante) a mis en poursuite son débiteur présumé (ci-après: le défendeur) pour une dette remontant aux années 1990. La procédure s'est terminée en février 2007 par un acte de défaut de biens d'un montant de 508 246.55 fr. à l'encontre du défendeur.
En décembre 2002, le défendeur a conclu un pacte de renonciation (ou pacte abdicatif) avec sa mère, Z, par lequel il renonçait à sa part successorale en faveur de ses deux fils.
A l'ouverture de la succession de Z, en décembre 2007, la recourante a saisi les tribunaux zurichois d'une action en annulation du pacte de renonciation au sens des art. 578 ss CC à l'encontre du défendeur et de ses deux fils.
Le litige a, par la suite, été porté devant notre Haute Cour qui a dû se prononcer, entre autres, sur l'interprétation de l'art. 578 CC et sur son application, par analogie, à un pacte de renonciation.
2.Droit
2.1. Légitimation passive
Le TF a, dans un premier temps, nié la légitimation passive aux fils du défendeur. Selon notre Haute Cour, cette question, qui fait l'objet d'une controverse doctrinale, a déjà été tranchée par une décision antérieure (ATF 55 II 18, cons. 3). Dans cette jurisprudence, le TF avait en effet conclu que l'action en annulation de la répudiation devait être exclusivement dirigée contre les héritiers répudiants. En application de cette jurisprudence, il n'y a pas lieu de s'écarter de ce résultat dans le cas d'un pacte successoral. Ce d'autant plus que, contrairement à une répudiation, il s'agit d'un acte bilatéral auquel les bénéficiaires ne sont pas partie (cons. 3.1).
2.2. Interprétation de l'art. 578 CC
Le TF a, en premier lieu, examiné si l'art. 578 CC, qui permet aux créanciers d'un héritier obéré qui répudie dans le but de leur porter préjudice d'attaquer la répudiation, pourrait également s'appliquer par analogie en cas de pacte successoral abdicatif.
Notre Haute Cour a ainsi relevé que, dans le cas de l'art. 578 CC, l'héritier renonçant a déjà acquis la succession. Cette disposition protège en effet les créanciers d'un héritier renonçant qui agit en fraudem creditorium alors qu'il a déjà hérité. Elle ne peut ainsi être invoquée que lorsque l'héritier a déjà acquis la succession, soit après le décès du de cujus. La protection d'une simple expectative successorale n'est, quant à elle, pas prévue dans la loi. Le TF rappelle d'ailleurs que le législateur a renoncé, dans le cadre des travaux préparatoires du Code civil suisse, à protéger les créanciers bénéficiant d'une simple expectative successorale. Le débiteur reste en effet libre de s'engager contractuellement même si cela devait péjorer la situation de ses créanciers (cons. 3.2).
Le TF a, ensuite, rappelé que les expectatives et les droits dont la constitution ou la nature est incertaine, telles les expectatives successorales, ne sont pas saisissables (voir les arrêts cités: ATF 97 III 23, cons. 2 et ATF 99 III 52, cons. 3). Selon lui, une expectative successorale ne représente, pour le créancier, qu'une espérance de pouvoir se désintéresser lors de la survenance d'un événement futur qui aura une incidence sur le patrimoine de son débiteur. La part héréditaire non encore échue à l'héritier n'est donc pas saisissable. Le de cujus est en effet libre de disposer de son patrimoine jusqu'à sa mort (cons. 3.4).
L'application de l'art. 578 al. 1 CC au pacte successoral abdicatif se heurte ainsi à l'interprétation grammaticale de cette disposition, le texte étant clair et sans ambiguïté. Le TF rappelle qu'il convient de procéder à une interprétation au sens de l'art. 1 al. 2 CC et à la lumière des critères usuels (interprétations systématique, théologique, historique et comparative) uniquement s'il y a des raisons de penser que le texte n'exprime pas la volonté claire du législateur, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence (cons. 3.4).
Le TF rejette ainsi le moyen tiré de l'art. 1 CC, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'appliquer par analogie l'art. 578 CC au pacte successoral.
2.3. Abus de droit
Dans un deuxième temps, le TF a examiné le moyen tiré de l'abus de droit. Le défendeur a-t-il détourné l'institution du pacte successoral de renonciation de la fonction prévue par le législateur, se rendant ainsi coupable d'un abus de droit?
La conclusion d'un pacte successoral abdicatif n'est, en principe, pas contraire à la bonne foi, à tout le moins lorsque ledit pacte n'a pas été conclu en lien direct avec la naissance d'une ou de plusieurs dettes dans le patrimoine du débiteur. Le tribunal rappelle que le pacte successoral peut être conclu pour divers motifs, à titre gratuit ou onéreux, le législateur ayant prévu certains correctifs pour les cas où le pacte entraînerait des effets indésirables (art. 494 al. 3 CC et les autres dispositions citées au cons. 4.2). L'art. 495 al. 3 CC dispose que, sauf clause contraire, le pacte est opposable aux descendants du renonçant. Cette disposition prévoit en outre la possibilité de conclure un pacte abdicatif en faveur de sa descendance. Dès lors, le défendeur a ainsi agi dans la latitude que lui conférait l'art. 495 al. 3 CC (cons. 4.2).
Selon le TF, il n'y a de toute manière pas lieu de procéder à un examen plus approfondi de la question, à mesure que la renonciation à une expectative successorale ne peut être comparée à une répudiation. C'est d'ailleurs ce que soutient la doctrine qui considère qu'il n'existe aucune protection des créanciers face à l'héritier renonçant (cons. 4.2).
Le moyen tiré de l'abus de droit est ainsi rejeté.
2.4. Réduction
En troisième lieu, le TF a examiné si la recourante pouvait agir en réduction au sens de l'art. 522 CC.
Sa réponse est négative. Selon lui, la recourante ne peut pas intenter cette action car l'héritier renonçant perd sa qualité d'héritier et ne peut ainsi plus être qualifié d'«héritier» au sens des art. 522 ss CC. En conséquence, la recourante ne peut pas être assimilée aux «créanciers d'un héritier» et ne peut ainsi prétendre à la protection conférée par l'art. 524 CC (cons. 5).
2.5. Révocation
Les moyens de nature successorale soulevés par la recourante ayant été écartés, se posait, ensuite et en quatrième lieu, la question de savoir si le pacte successoral abdicatif pouvait être révoqué au sens des art. 285 ss de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) (cons. 6 et 7).
Au préalable, le TF s'est prononcé sur les questions de procédure.
Il relève que, bien que les délais des art. 286 al. 1, 288a al. 4 et 292 al. 1 LP se soient écoulés, il est néanmoins possible de faire valoir des prétentions révocatoires dans le cadre d'un litige successoral. Le TF se réfère en effet au message concernant le projet de loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (ci-après: message de la LP) qui prévoit cette possibilité (cons. 6 ab initio).
Il nie en outre la légitimation passive du défendeur. L'action révocatoire ne peut être intentée que contre les bénéficiaires, de sorte que seuls ses deux fils ont la légitimation passive en l'occurrence (cons. 6.1 et 7 ab initio).
2.5.1. Qualification du pacte abdicatif au regard de l'art. 286 LP
Seules les donations et les dispositions à titre gratuit étant susceptibles de révocation au sens de l'art. 286 LP, notre Haute Cour a, premièrement, examiné la qualification du pacte abdicatif au regard de cette disposition.
2.5.1.1. Donation
Afin de déterminer si le pacte de renonciation peut être considéré comme une donation, le TF a repris la motivation de l'autorité inférieure et s'est référé à la lettre de l'art. 239 al. 1 CO. Cette disposition prévoit qu'une donation est une disposition par laquelle une personne cède «ses biens». Or, dans le cadre d'un pacte successoral de renonciation, les biens auxquels renonce l'héritier présomptif sont dans le patrimoine du de cujus. Ils ne font ainsi pas partie des biens du renonçant. L'alinéa 2 de cette même disposition indique d'ailleurs expressément que le fait de renoncer à des droits avant de les avoir acquis ne constitue pas une donation (cons. 6.2).
2.5.1.2. Disposition à titre gratuit
Le pacte de renonciation peut-il alors être considéré comme une disposition à titre gratuit?
Selon l'autorité inférieure, les art. 285 ss LP s'appliquent aux actes du débiteur relatifs à un patrimoine déjà constitué. Cette disposition ne protège pas les créanciers d'un héritier potentiel, tant et aussi longtemps que la part successorale de cet héritier n'a pas été acquise ou saisie par les créanciers (au sens de l'art. 609 CC) ou que l'héritier n'ait répudié dans le but de leur porter atteinte (au sens de l'art. 578 CC) (cons. 6.3).
La recourante se base sur le message de la LP qui, selon le texte allemand, assimile les «Erb-schaftsentsagungen» aux libéralités à titre gratuit (BBI 1886 II 58). Une fois n'est pas coutume, c'est en examinant le texte français du même message que le TF a précisé que ce terme comprenait uniquement les «répudiations d'héritage» (FF 1886 II 55), et non pas les pactes de renonciation. En effet, selon le TF, l'action révocatoire de l'art. 286 LP concerne les prestations ou les obligations qui entraînent une réduction des actifs ou une augmentation des passifs, ce qui - contrairement à une répudiation - n'est pas le cas d'une renonciation à une expectative successorale. Contre l'avis d'une partie de la doctrine, le TF relève que l'héritier renonçant ne dispose d'aucune prétention juridique ou économique sur le patrimoine du de cujus. Contrairement à l'héritier répudiant qui acquiert la succession dès l'ouverture de celle-ci en vertu du principe de la saisine, l'héritier renonçant perd toute prétention successorale de quelque nature qu'elle soit en faveur de ses propres enfants qui hériteront directement (cons. 6.3).
Le TF considère dès lors que le pacte successoral ne peut pas être considéré comme une disposition à titre gratuit. L'art. 286 LP n'est ainsi pas applicable en l'occurrence.
2.5.2. Révocation par dol au sens de l'art. 288 LP
La recourante invoque ensuite l'action révocatoire au sens de l'art. 288 LP. Selon cette disposition, «sont révocables tous les actes faits par le débiteur dans les cinq ans qui précèdent la saisie ou la déclaration de faillite dans l'intention reconnaissable par l'autre partie de porter préjudice à ses créanciers (...)». Selon la recourante, la relation père-fils justifierait une présomption naturelle selon laquelle les fils devaient être conscients de la situation financière de leur père (cons. 7.2).
Le TF rappelle qu'il convient d'examiner au cas par cas si les bénéficiaires étaient au courant de l'intention dolosive du débiteur à l'égard de son créancier. Toutefois, une présomption naturelle existe bel et bien lorsqu'il s'agit de parents proches et entre époux. Dans ce cas, le créancier n'a plus qu'à prouver l'existence d'un «acte» au sens de l'art. 288 LP avec les proches. En l'occurrence, les deux fils du défendeur n'ont pas été partie au pacte successoral. Ils n'ont ainsi pas fait d'«actes» au sens de l'art. 288 LP. Selon le TF, cette dernière condition pourrait être écartée si, par exemple, le proche parent faisait ménage commun et partageait ainsi un lien économique avec le débiteur, tels des époux. Or, cette hypothèse n'est pas réalisée dans le cas d'une relation père-fils lorsque ces derniers sont adultes. Ils ne partagent en effet pas le quotidien du défendeur. La recourante aurait ainsi dû apporter des éléments concrets permettant de présumer que les fils connaissaient la situation financière de leur père. Ladite présomption naturelle ne peut pas trouver application en l'espèce (cons. 7.3).
Le TF a dès lors rejeté le dernier moyen tiré de l'action révocatoire des art. 285 ss LP et a finalement conclu au rejet du recours.
3. Conclusion
Au vu de ce qui précède et dans les circonstances du cas d'espèce, il apparaît que les créanciers du débiteur, héritier renonçant, ne peuvent élever aucun moyen de défense pour attaquer le pacte successoral abdicatif.
L'héritier renonçant peut ainsi, par le biais de l'institution du pacte successoral, éviter que ses créanciers ne puissent se désintéresser sur une future part successorale. Cette conclusion peut paraître injuste pour lesdits créanciers, ceci d'autant plus que les créanciers d'un héritier répudiant bénéficient, quant à eux, de la protection prévue à l'art. 578 CC. Pourtant, le TF ne pouvait pas arriver à une autre conclusion. Le texte de cette disposition étant clair, il n'y a en effet pas lieu d'interpréter différemment l'art. 578 CC.
La sévérité apparente de cet arrêt est néanmoins atténuée par le fait que le TF ne rejette pas définitivement le moyen tiré de l'abus de droit. Bien que ce dernier ne soit pas applicable au cas d'espèce, le TF laisse néanmoins la question ouverte dans l'hypothèse où la conclusion du pacte serait en lien direct avec la naissance d'une dette dans le patrimoine du débiteur.
De même, il ne ferme pas la porte à l'action révocatoire de l'art. 288 LP. Il reproche uniquement à la recourante de ne pas avoir apporté la preuve que les fils du défendeur étaient au courant de l'intention dolosive de leur père de lui porter préjudice. Une telle preuve aurait ainsi pu, en théorie, être envisageable.
Manon Fellrath, assistante doctorante à l'Université de Neuchâtel