Plaidoyer:Avez-vous été confrontée à la procédure simplifiée dans votre pratique?
Camilla Masson: Au sein du Ministère public de l’arrondissement de Lausanne, qui compte 17 procureurs, une vingtaine de cas de procédure simplifiée ont été recensés depuis l’entrée en vigueur de la procédure unifiée. Elle est, pour l’instant, utilisée surtout dans des affaires de trafic de stupéfiants et de cambriolages (pour autant que la peine prévisible ne dépasse pas cinq ans, conformément au CPP). Les résultats sont, dans l’ensemble, satisfaisants et je n’ai pas connaissance d’un refus de cette procédure devant le tribunal. Il serait à mon sens opportun d’y recourir plus largement, notamment dans le cadre de dossiers financiers, lorsque le procureur a instruit les points essentiels de l’affaire. Cela permettrait de raccourcir la durée de certaines instructions complexes, en les axant sur les agissements délictueux principaux.
Miriam Mazou: Dans mon étude, mes confrères et moi avons eu, à ma connaissance, en tout quatre cas de procédure simplifiée. Je pense que c’est un bon moyen d’accélérer la procédure, lorsque les faits sont reconnus et que la sanction encourue est prévisible, comme dans les affaires de stupéfiants. Mais j’hésite tout de même à m’y lancer, car je ne trouve pas facile de conseiller à un client d’accepter à l’avance une peine déterminée, surtout si elle est ferme. En effet, la fixation de la peine dépend de nombreux facteurs, qui sont propres à chaque situation. Et je me verrais mal négocier une peine ferme de plus de deux ans, alors que, sait-on jamais, le tribunal se serait peut-être montré plus clément en procédure ordinaire. C’est en revanche plus facile si le sursis est prévu.
Camilla Masson: J’encourage au contraire les avocats à envisager la procédure simplifiée pour des peines fermes allant jusqu’à cinq ans. Je connais plusieurs cas où les parties se sont entendues sur une peine ferme de plus de 24 mois.
Plaidoyer:Dans une procédure simplifiée, l’idée n’est-elle pas que le prévenu obtienne un rabais de peine en échange de ses aveux?
Miriam Mazou: Dans les quelques cas dont j’ai connaissance, il n’y a pas vraiment eu de rabais de peine par rapport à ce qu’aurait probablement décidé un tribunal, si une procédure ordinaire avait été menée. Mais la négociation de la peine présente d’autres avantages pour le prévenu: elle lui évite une longue procédure, de même qu’un véritable procès public détaillé.
Camilla Masson: Les aveux sont à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation de la culpabilité d’un accusé par le tribunal et, partant, ils pèsent sur la peine qui sera prononcée, laquelle, par la force des choses, sera moins sévère que si l’accusé devait s’enferrer dans ses dénégations.
Plaidoyer:La procédure simplifiée ne met-elle pas à mal le principe de la publicité de la justice?
Miriam Mazou: C’est en effet le principal reproche que je lui fais. Au tribunal, l’audience de procédure simplifiée est publique, mais elle est très restreinte. On s’assure, principalement, que l’accusé a librement accepté la peine, qu’il sait qu’il ne pourra pas faire appel et qu’il est d’accord avec le «deal». C’est une belle opportunité pour le prévenu, qui ne voit pas son cas détaillé au tribunal. Mais à l’égard de la population, cela me dérange si de telles affaires sont trop souvent jugées dans de telles circonstances. Cela pose un problème de limpidité du débat judiciaire, qui tend ainsi à être écourté.
Camilla Masson: Je trouve, pour ma part, que la publicité des débats est une arme à double tranchant. De mon point de vue, un procès public mal expliqué aux personnes non averties peut causer autant de tort à l’institution judiciaire qu’un procès passé sous silence. La médiatisation de certains procès a parfois pour effet que le public s’identifie à la victime à tel point qu’il appelle de ses vœux le prononcé d’une sanction démesurée, car il a tendance à méconnaître le fait que la justice doit non seulement tenir compte des éléments à charge, mais aussi de ceux à décharge, n’en déplaise à la vox populi!
Plaidoyer:Cela vous gêne-t-il que avec la voie de la négociation, on laisse de côté certaines infractions?
Camilla Masson: Il faut savoir vivre avec son temps. Il ne s’agit pas, à proprement parler, de faire l’impasse sur certaines infractions, mais bien plus d’instruire à l’essentiel, en se focalisant sur les faits principaux qui méritent qu’on s’y intéresse, au contraire de certains détails qui seront, en définitive, peu significatifs au moment de prononcer la sanction.
Miriam Mazou: A mon sens, il est acceptable de laisser de côté certains éléments factuels en pareil cas. Dans ces circonstances, le bénéfice de la rapidité de la procédure contrebalance l’inconvénient du manque d’exhaustivité de l’état de fait. Il ne faut en effet pas oublier qu’un long procès peut être pénible non seulement pour l’accusé, mais également pour le plaignant. Cela dit, je ne connais pas d’affaires de procédure simplifiée dans lesquelles des infractions auraient volontairement été laissées de côté. J’imagine que de tels cas peuvent exister. Le Ministère public peut-il, d’ailleurs, dans ce contexte, avoir connaissance d’infractions et ne pas en tenir compte? Je pense que oui dans une certaine mesure, mais la doctrine est divisée à ce sujet. Je n’ai, pour ma part, pas connaissance non plus de cas concrets où des poursuites ont été abandonnées pour certains faits en échange des aveux du prévenu.
Plaidoyer:La négociation peut être profitable pour l’accusé, mais aussi pour le procureur?
Camilla Masson: En effet. Le renvoi d’un accusé en jugement présente toujours un caractère aléatoire, dans la mesure où c’est un tribunal qui le juge en définitive, tribunal dont l’appréciation des faits peut diverger de celle du procureur.
Miriam Mazou: A ce sujet, une étude anglaise a démontré que plus le dossier de l’accusation est solide, plus la peine négociée en procédure simplifiée est élevée. A l’inverse, plus le dossier d’accusation est faible, plus la peine négociée se révèle clémente. On voit ainsi apparaître un risque théorique, pour une personne innocente, d’avouer des faits qu’elle n’a pas commis et de négocier une peine clémente plutôt que de risquer une peine plus sévère en procédure ordinaire.
Plaidoyer:Dans les faits, on l’a vu, il n’y a guère de rabais de peine à escompter, ce qui réduit le risque, pour un accusé, d’avouer ce qu’il n’a pas commis?
Miriam Mazou: En effet, mais il faut rester vigilant. Ce risque pourrait se concrétiser si la procédure simplifiée venait à se développer avec des rabais de peine importants à la clé.
Camilla Masson: Ce risque reste théorique, car la justice ne se contente pas d’enregistrer les aveux. Elle vérifie qu’ils soient étayés par d’autres éléments de preuve, tels qu’une analyse ADN ou un témoignage.
Plaidoyer:Une négociation pénale n’est-elle pas de nature à bafouer les droits du prévenu?
Miriam Mazou: Il est vrai que le prévenu renonce, dans ce cas, à des droits fondamentaux dont celui de ne pas s’auto-incriminer. Mais il ne faut pas oublier que c’est lui qui fait la demande de procédure simplifiée et que c’est un cas de défense obligatoire. Sans compter qu’il peut aussi décider, en cours de route, de refuser l’arrangement qu’on lui propose et retourner en procédure ordinaire. Ce qui ne serait pas admissible, c’est que le procureur puisse imposer la procédure simplifiée. Rien ne l’empêche en revanche d’encourager les parties à s’entendre.
Camilla Masson: Il nous arrive, en tant que procureurs, de suggérer que la cause pourrait être jugée bien plus rapidement en procédure simplifiée, mais jamais par la pression, car celle-ci est une forme de contrainte inadmissible. Lors des négociations informelles, on discute avec la défense des peines encourues et de la sanction susceptible d’être négociée.
Plaidoyer:Que deviennent des aveux faits dans le cadre de la procédure simplifiée, si celle-ci est, par la suite, abandonnée?
Miriam Mazou: Les aveux faits dans le cadre de la procédure simplifiée doivent être retranchés du dossier en cas d’échec de cette procédure. Toutefois, dans l’hypothèse où le prévenu n’est passé aux aveux que dans la perspective de la procédure simplifiée, lorsqu’il se retrouvera en procédure ordinaire, il aura sans doute de la peine à croire que le procureur pourra faire abstraction de ses aveux…
Camilla Masson: Difficile, en effet, d’effacer de sa mémoire l’aveu qui avait été fait… Au tribunal de trancher en définitive!