plaidoyer: Dans les cantons qui ne connaissaient que la procédure de cassation avant 2011, comme celui de Vaud, l’appel introduit par le Code de procédure pénale (CPP) a-t-il amélioré les droits de la défense?
Laurent Moreillon: En tant que praticien vaudois, j’ai applaudi à l’introduction de l’appel, permettant de revoir les faits, et non seulement le droit. Mais cette révision n’a pas changé grand-chose. Les mesures d’investigation demandées par les défenseurs en appel sont généralement rejetées. La procédure est liquidée en un temps record, une heure ou deux au maximum, alors qu’elle avait, parfois, duré plusieurs jours en première instance. C’est comme si le jugement était préparé à l’avance. C’est une grande déception pour les avocats vaudois.
Bertrand Perrin: Pour le canton de Berne, qui connaissait déjà l’appel, le changement n’est pas spectaculaire. Et, par rapport à mon activité de juge suppléant dans le canton de Vaud sous l’ancien code, j’apprécie de pouvoir revoir les faits autrement que sous l’angle de l’arbitraire. En étudiant le dossier, on s’interroge aussi sur les faits, et non seulement sur le droit. Et, en aucun cas, le jugement n’est fait à l’avance: le juge rapporteur n’émet qu’une proposition de jugement. Des points d’interrogation subsistent, en attendant qu’on y réponde à l’audience, par exemple à la suite de la plaidoirie de l’avocat. Il arrive que celui-ci fasse pencher la balance dans un autre sens que ce qu’on avait imaginé.
Laurent Moreillon: Il est rassurant d’apprendre que des points sont encore en suspens avant le jugement d’appel. Sur Vaud, je n’ai toutefois pas vu d’amélioration. L’affaire Ségalat a mis en évidence que les juges de l’appel peuvent être d’un avis radicalement différent de celui des juges de première instance, de sorte qu’on peut passer de l’acquittement à une lourde condamnation. Et l’avocat, qui s’appuie sur un solide jugement de première instance, n’aura pas forcément demandé de nouvelles investigations, afin d’éviter de rouvrir la boîte de Pandore. Si tout peut être remis en question en appel, il faudrait prévoir davantage de nouvelles mesures d’investigation et réentendre des témoins. Je regrette cette absence d’immédiateté.
plaidoyer: Le juge de l’appel néglige-t-il de réadministrer des preuves?
Bertrand Perrin: Je vais parler de mon expérience de juge suppléant à Berne, mais je pense que mes anciens collègues vaudois procèdent de la même manière. Il est vrai que la comparaison de la durée des audiences en première et en deuxième instance interpelle. Mais pour le juge d’appel, un gros travail de préparation a déjà eu lieu avant. On étudie le jugement de première instance, détaillé et complet. On lit aussi les procès-verbaux d’auditions. A ce stade, on se fait déjà une bonne idée de l’affaire, mais qui n’est qu’une première idée. Dans la phase des débats, il est bien de réentendre le prévenu. Le défenseur peut demander d’entendre des témoins. J’apprécie aussi l’immédiateté. Mais, si l’on écarte des moyens de preuve, c’est qu’on dispose déjà de suffisamment d’éléments pour se forger une intime conviction. Celle-ci est le résultat de tout un processus, qui débute à la réception du dossier et se poursuit en audience.
Laurent Moreillon: En commençant par la lecture du jugement de première instance, le juge d’appel s’imprègne d’une version de l’affaire, au lieu de reprendre l’acte d’accusation, les dépositions, les témoignages. Et entendre le prévenu vingt minutes, ce n’est pas suffisant. La procédure d’appel est très factice.
Bertrand Perrin: C’est ma manière de faire de commencer par l’étude du jugement de première instance, pour fixer le cadre, mais peut-être que d’autres procèdent autrement. Et si j’ai un doute sur les dires du prévenu, je l’entends davantage que vingt ou trente minutes. Je ne prononce pas une décision à la légère. Et, bien entendu, en fin de compte, le doute profite à l’accusé.
plaidoyer: Pourrait-on administrer davantage les preuves en appel, tout en respectant le Code de procédure pénale?
Bertrand Perrin: Le CPP (art. 389) prévoit qu’on se base, en appel, sur l’administration des preuves réalisée en procédure préliminaire et en première instance, toutefois avec des exceptions. Si j’ai besoin d’un complément, je peux entendre le prévenu plus longuement ou convoquer des témoins. Davantage d’oralité est possible dans le cadre de l’actuel code. Mais l’art. 389 se lit avec l’art. 10: je dois parvenir à me forger une intime conviction et me demander si je dispose, ou non, des éléments pour y parvenir. Dans bien des cas, les preuves sont amenées dès la phase préliminaire.
Laurent Moreillon: Je pense que le CPP pose problème. L’art. 389 et l’art. 10 fixent, certes, des règles justes, mais il y a encore l’art. 6 al. 2, prévoyant que le procureur instruit avec un soin égal à charge et à décharge. Le système prévoit que tout le monde est parfait, mais je ne suis pas sûr que le Ministère public parvienne à respecter cette règle d’impartialité. Et, si l’instruction est orientée, on se retrouve avec une procédure biaisée en arrivant en appel. Certes, les avocats et les juges sont là pour faire contrepoids dans les affaires d’une certaine importance. Mais il arrive aussi que le prévenu se défende seul.
plaidoyer: Ce sont donc les fondements même du CPP que vous remettez en question?
Laurent Moreillon: Je ne suis pas contre le fait que la même personne mène l’instruction et soutienne l’accusation, elle le fait plutôt bien en général. Mais, pour contrebalancer ce pouvoir, il faudrait introduire plus d’immédiateté en appel. On pourrait compléter l’art. 389 en ce sens: l’administration des preuves devrait être répétée si l’on est en présence de témoins importants.
plaidoyer: En première instance, la Cour est composée de juges laïcs et de juges professionnels, tandis que la Cour d’appel n’est composée que de professionnels. Peut-on admettre cette différence?
Bertrand Perrin: Cette différence de composition ne pose pas de problème: les juges laïcs apportent leur expérience de vie en première instance, par exemple pour les affaires de mœurs ou de lésions corporelles, tout en étant accompagnés par un juge professionnel. Et la professionnalisation de la Cour d’appel est une bonne chose, pour répondre aux questions juridiques particulières qui se posent à ce stade.
Laurent Moreillon: D’accord, mais je me demande s’il ne faudrait pas aussi que des juges professionnels en première instance. L’absence de compétences juridiques des laïcs est parfois problématique.
plaidoyer: Faut-il admettre un système où un prévenu acquitté en première instance au bénéfice du doute peut être lourdement condamné en appel?
Laurent Moreillon: Oui, car le juge d’appel doit se forger sa propre conviction, sans être lié par le jugement de première instance. Il n’y a pas de doute universel. Cela va aussi dans l’autre sens: un condamnation en première instance doit pouvoir être remise en cause en appel.
Bertrand Perrin: En effet. L’idée du doute universel est généreuse, philosophiquement intéressante, mais elle n’est pas praticable. Cela voudrait dire que, chaque fois qu’un doute est émis en première instance, une condamnation en appel serait impossible. Imaginez le nombre de petites affaires où il faudrait renoncer à condamner.
plaidoyer: Que pensez-vous de l’absence d’appel contre les décisions des instances fédérales?
Bertrand Perrin: C’est une lacune. Un parallélisme avec la procédure cantonale fait défaut. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une instance de moins pour la procédure fédérale.
Laurent Moreillon: Je partage cet avis. Les instances fédérales sont aussi faillibles.