Dès lors que, sur son territoire, des personnes sont privées de leur liberté contre leur volonté, la Suisse se doit de mettre sur pied un système de contrôle indépendant, estime Elisabeth Baumgartner, vice-présidente de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Et cela même si la situation helvétique n'est pas comparable à celle qui règne dans d'autres pays et qu'on n'y pratique pas de torture physique, remarque l'avocate de 38 ans, qui travaille aujourd'hui principalement pour la Fondation Swisspeace, après avoir inspecté les prisons de Colombie et d'Ethiopie, en tant que déléguée du CICR.
La jeune femme n'ignore pas que les traitements inhumains peuvent prendre différentes formes: «En Suisse, on se pose par exemple la question de savoir sur quelle base on peut prolonger une mesure au-delà de la peine prévue ou si le maintien en isolement est inhumain lorsque la personne enfermée ne peut communiquer avec son thérapeute qu'à travers des barreaux.»
La CNPT a été mise sur pied en Suisse en 2010, en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette instance se compose de 12 experts issus de la médecine, de la psychiatrie, du droit et de l'exécution des peines. Ils font des visites dans les prisons en petites délégations, avec ou sans préavis. «Notre tâche est de vérifier la situation des personnes privées de liberté et de nous assurer que les droits des prévenus sont respectés», explique Elisabeth Baumgartner.
La CNPT émet des recommandations sur la base de ses observations et des entretiens confidentiels menés avec les prisonniers et le personnel. Dans son premier rapport d'activité, publié récemment, elle a, par exemple, considéré que le régime d'isolation dans le quartier de haute sécurité de la prison pour femmes de Hindelbank (BE) était inhumain. Au Centre de rétention en vue du renvoi de Granges (VS), elle a par ailleurs recommandé de prévoir davantage de liberté de mouvement pour les personnes détenues: il convient notamment de remplacer les cellules doubles équipées de toilettes à la turque par des cellules individuelles équipées de toilettes normales. Il restera à voir comment les autorités appliqueront effectivement ces recommandations.
Depuis juin 2010, les membres de la CNPT ont visité 16 établissements et accompagné 16 vols de renvoi de requérants déboutés. La commission n'a cependant pas complètement rempli sa mission: dans son message sur l'application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, le Conseil fédéral prévoyait 20 à 30 visites par an. «Avec un budget de 360000 fr., nous ne sommes pas en mesure de remplir complètement ce mandat», constate Elisabeth Baumgartner. Cette somme sert à financer un secrétariat avec 1,3 poste ainsi que le travail des 12 experts (400 fr. par jour d'activité et par personne, le temps passé à la rédaction des rapports n'étant pas facturé).
Indépendance?
Des questions se posent concernant l'indépendance de la commission. D'une part, celle-ci reçoit de l'argent de la Confédération et, de l'autre, elle est amenée à surveiller l'activité de cette même Confédération en supervisant les vols de renvoi de requérants déboutés. «Le problème se pose pour toutes les commissions fédérales exerçant des tâches de contrôle, remarque Elisabeth Baumgartner. D'autres solutions de financement sont à l'étude, notamment par le biais d'une fondation.»
Et que dire par ailleurs de l'indépendance des experts, dans les cas où ils connaissent personnellement des membres des autorités pénitentiaires? «Il arrive qu'un expert ne participe pas à une inspection afin d'éviter un conflit d'intérêts», explique la vice-présidente.
L'un des experts, le conseiller d'Etat tessinois Alex Pedrazzini, a démissionné de la CNPT après avoir accepté un mandat du canton du Valais consistant à évaluer son système carcéral.