Le droit suisse accorde une protection aux victimes d'infractions, en prévoyant diverses mesures d'aide, en leur octroyant des droits particuliers dans la procédure pénale et en leur accordant le droit à une indemnisation et à une réparation de leur tort moral par l'Etat. Dans certains cas et à certaines conditions, il en accorde également aux victimes indirectes, ou victimes par ricochet, soit aux proches de la victime.
Il n'est cependant pas toujours aisé de déterminer qui peut prétendre à une telle protection. En effet, si la notion de victime d'infractions est clairement définie par loi sur l'aide aux victimes d'infractions du 23 mars 20071 (ci-après: LAVI) et la jurisprudence développée depuis l'entrée en vigueur de la première loi sur l'aide aux victimex d'infractions le 1er janvier 19932 (ci-après: aLAVI), il n'en va pas de même de la notion de proches, dont la définition est à géométrie variable, selon la loi applicable, le type et le régime d'aide octroyée (aide immédiate ou aide à plus long terme) ou encore la procédure envisagée. L'objet de cette contribution est donc de tenter de cerner cette notion, puis d'examiner quels sont les droits qui leur sont conférés.
La notion de proche de la LAVI
La notion de proches de la LAVI se distingue de la notion très large de proche au sens du Code de procédure pénale, qui octroie le droit de refuser de témoigner pour sa propre protection ou celle d'un proche, à l'époux ou la personne qui mène une vie de couple avec le prévenu, à la personne qui a des enfants communs avec lui, aux parents et alliés en ligne directe, aux frère et sœur, demi-frère et demi-sœur, ainsi que leur conjoint, aux parents nourriciers, aux enfants confiés aux soins du prévenu et aux personnes placées dans la même famille que lui ou, encore, au conseil légal et au tuteur du prévenu (CPP 168, 189).
Cette notion n'est pas non plus identique à celle du Code pénal, qui définit les proches comme le conjoint, le partenaire enregistré, les parents en ligne directe, ses frères et sœurs germains, consanguins ou utérins, ses parents et enfants adoptifs (CP 110).
La notion de proches du droit de l'aide aux victimes est une notion sui generis dont les contours sont parfois difficiles à tracer.
L'article 1 alinéa 1 LAVI fixe cinq conditions cumulatives à l'attribution du statut de victime, à savoir une infraction, une atteinte physique, psychique ou sexuelle, résultant directement de l'infraction. Cette atteinte doit être d'une certaine gravité et avoir provoqué une lésion3. L'alinéa 2 de cette disposition prévoit en outre que le conjoint, les enfants et les père et mère de la victime ainsi que les autres personnes unies à elle par des liens analogues (proches) ont également droit à l'aide aux victimes4.
On retrouve cette même définition dans l'aLAVI (aLAVI 2 II) et dans le Code de procédure pénale qui l'a reprise à son l'article 116 alinéa 2.
Le texte de cette disposition fait donc une première distinction entre deux catégories de proches, soit, d'une part, les conjoint, enfant, père et mère pour lesquels la qualité de victime indirecte est acquise et, d'autre part, les proches, c'est-à-dire «les autres personnes unies à elle par des liens analogues». La qualité de victime indirecte de ces personnes va dépendre de l'appréciation qu'on va faire des liens qu'elles entretenaient avec la victime.
Le Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 9 novembre 20055 relatif à l'avant-projet de loi précise que la définition de la victime et des proches reprend celle qui figure dans l'aLAVI (aLAVI 2 II) et y ajoute le partenariat enregistré et le concubinage6.
La définition de l'aLAVI à laquelle il est fait référence se trouve dans le Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions et l'arrêté fédéral portant approbation de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes du 25 avril 19907. Il y est précisé que le cercle des personnes qui, outre la victime directe, peuvent se prévaloir de la qualité de victime varie selon le volet de l'aide considéré. «Pour ce qui est des conseils, la loi assimile à la victime directe, sans restriction, le conjoint, les enfants et les père et mère de cette dernière ainsi que toutes les autres personnes qui, dans le cas concret, sont unies à la victime par des liens de même intensité que celles qui sont énumérées précédemment (frère ou sœur, compagnon ou compagne, ami ou amie très proche). Pour ce qui est des droits dans la procédure et des prétentions civiles ainsi que de l'indemnité et de la réparation morale, cette assimilation n'est prévue que dans la mesure où les personnes concernées peuvent faire valoir des prétentions civiles propres ou dérivées contre l'auteur de l'infraction. Il s'agit notamment du conjoint ou des enfants de la victime qui font valoir une perte de soutien.»8
On voit donc s'esquisser ici une seconde distinction en fonction de l'aide considérée. La définition de proches et l'octroi de la protection qui leur est accordée diffèrent selon la nature de l'aide. Les conditions de l'action civile jointe et du droit à une indemnisation et réparation du tort moral LAVI sont en effet plus strictes que celles qui prévalent en matière d'aide offerte par les centres de consultation9. En d'autres termes, la notion même de proches est plus large en matière de conseil, d'aide immédiate et d'aide à plus long terme que dans le cadre des procédures pénale, civile et administrative d'indemnisation par l'Etat.
Dans ce dernier cas, les proches sont définis par leurs possibilités de faire valoir des prétentions civiles, possibilités qui seront examinées au regard des critères de la responsabilité civile (CO 45, 47, 49). Pratiquement, cet examen conduit à une troisième distinction selon que la victime directe est décédée ou non.
Pour le praticien, ces distinctions sont importantes, puisqu'elles vont déterminer les droits que peuvent faire valoir les proches d'une victime.
L'aide immédiate, l'aide à plus long terme et la contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers. Comme on vient de le voir, la définition du proche dans l'aide immédiate, l'aide à plus long terme et la contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers est très large. Les recommandations de la Conférence suisse des offices de liaison de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions pour l'application de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions du 21 janvier 201010 précisent en effet que «les personnes assimilées à la victime sont la conjointe, le conjoint, le (la) partenaire enregistré(e), la concubine, le concubin, les enfants, les père et mère et tout autre personne qui entretient concrètement une relation étroite, assimilable à celle des membres de la famille précités (par exemple les frères et sœurs, la compagne ou le compagnon sans domicile commun, les amies ou amis proches). Il faut déterminer à chaque fois qui entretient des relations proches avec la victime, en plus du conjoint (ou concubin ou partenaire enregistré), des enfants et des parents.»11
L'accès des proches aux aides des centres LAVI ne dépend donc pas de leur capacité à faire ou non valoir des prétentions civiles, mais bien plutôt de l'intensité des liens qu'ils entretenaient avec la victime, qu'elle soit décédée ou non.
La notion de proches en procédure pénale
La notion de proches est en revanche beaucoup plus restrictive en procédure pénale, même si la formulation de l'article 116 alinéa 2 CPP est pratiquement identique à celle de l'article 1er, alinéa 2 LAVI et prévoit également que les proches de la victime sont son conjoint, ses enfants, ses père et mère et les autres personnes ayant entretenu avec elle des liens analogues.
La jurisprudence rendue sous l'aLAVI déjà permet de cerner le contour donné à cette notion, mais de nombreuses incertitudes demeurent. Ainsi, lorsque la victime est décédée, la qualité de proche du conjoint est acquise si les époux faisaient ménage commun et il en irait désormais de même du partenaire enregistré si le Tribunal fédéral avait à trancher cette question. Il vient d'ailleurs de le faire12 pour le concubin en lui reconnaissant la qualité de proche, levant ainsi l'incertitude qui résultait d'une jurisprudence relativement ancienne13.
Les choses se compliquent un peu lorsqu'il n'y a pas ou plus de ménage commun. Selon la doctrine, la séparation ou le divorce n'a, en principe, aucune influence sur la présomption qui naît de l'état civil et le lien doit être apprécié de cas en cas14. L'ex-conjoint a en principe la qualité de proche15, mais le Tribunal fédéral l'a en revanche refusée à un concubin qui ne faisait pas ménage commun avec la victime, et ce malgré le fait qu'il entretenait de longue date des relations très étroites avec la défunte16.
La qualité de proches est également reconnue aux enfant, père et mère ainsi qu'au frère et à la sœur s'ils vivaient sous le même toit ou s'il entretenaient des liens d'affection d'une intensité exceptionnelle17. Le Tribunal fédéral a par exemple refusé d'allouer un tort moral au frère d'une victime toxicomane, en raison des liens très ténus que cette dernière entretenait avec sa famille, et cela quand bien même ils étaient tous deux domiciliés chez leurs parents18. Les beaux-parents, bru ou gendre, les grands-parents et les petits-enfants d'une personne décédée devraient quant à eux justifier de liens particulièrement étroits pour être admis dans le cercle des proches et, jusqu'à ce jour, la jurisprudence s'est montrée extrêmement restrictive à cet égard19.
Les proches d'une victime de lésions corporelles sont admis à intervenir dans la procédure pénale encore plus restrictivement. En effet, selon la jurisprudence relative à l'article 49 CO, ils devront démontrer que leurs souffrances revêtent un caractère exceptionnel, c'est-à-dire qu'ils sont touchés de la même manière ou même plus fortement qu'en cas de décès20. La qualité de proches a, par exemple, été admise pour l'enfant d'une victime infectée par le VIH ou à une fillette de 6 mois dont le père est devenu gravement invalide21.
La question de savoir si des parents ont la qualité de proches en procédure pénale lorsque leur enfant a été victime d'une atteinte à l'intégrité sexuelle n'a pas été clairement tranchée à ce jour, mais la jurisprudence penche plutôt pour une application restrictive de cette qualité, lorsqu'il s'agit de l'allocation de conclusions civiles, et cela à l'instar de la jurisprudence applicable en cas de lésions corporelles de la victime. Le Tribunal fédéral a ainsi refusé d'allouer une indemnité pour tort moral à la mère et aux frères et sœurs d'un enfant abusé sexuellement par le père, aux parents d'une fillette de 9 ans violée dans l'ascenseur par un garçon de 15 ans ou encore aux parents de deux fillettes violées et sexuellement abusées pendant plusieurs années par leur oncle22.
La participation des proches à la procédure pénale est en revanche admise plus largement dans les faits, comme le confirme un arrêt cantonal récent23.
L'intervention des proches en procédure pénale
Une fois la notion de proches ainsi délimitée, il faut encore déterminer à quelles conditions ceux-ci peuvent intervenir dans la procédure pénale, et les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît.
L'article 117 alinéa 3 CPP prévoit que, lorsque les proches de la victime se portent parties civiles contre les prévenus, ils jouissent des mêmes droits que celle-ci. Or, la notion de «partie civile» a disparu du CPP, de sorte qu'on peine à saisir le sens de cette disposition. Faut-il comprendre que les proches sont ceux qui peuvent faire valoir des conclusions civiles propres au sens de l'article 122 alinéa 2 CPP, ou ceux qui, comme la victime directe, peuvent se porter partie plaignante au sens des articles 118 et 119 CPP?
Cette question est discutée en doctrine. La plupart des auteurs24 comprennent cette disposition dans le sens où le proche doit être en mesure de faire valoir des prétentions civiles propres contre le prévenu et considèrent qu'il convient d'interpréter l'article 117 alinéa 3 CPP par analogie à l'article 122 alinéa 2 CPP. Ils estiment dès lors que seul le proche qui fait valoir des conclusions civiles propres contre l'auteur peut être admis comme partie dans la procédure pénale.
Selon une opinion minoritaire25, les proches de la victime pourraient se constituer partie plaignante et exercer les mêmes droits procéduraux que la victime, notamment en demandant la poursuite et la condamnation du prévenu, même s'ils ne peuvent pas élever de prétentions civiles à l'encontre ce dernier.
A notre avis, même s'il est exact de dire que le texte français de l'article 117 alinéa 3 CPP comporte une erreur manifeste de traduction26, il n'en demeure pas moins que l'interprétation de la notion de proches à la lumière du seul article 122 alinéa 2 CPP n'est pas satisfaisante. En effet, elle conduit à exclure de la procédure pénale les proches qui, sans pouvoir prendre de conclusions civiles contre le prévenu, ont néanmoins un intérêt évident à l'issue de la procédure. On pense en particulier aux situations où le prévenu est un agent de l'Etat, couvert par une responsabilité étatique, qui exclut la responsabilité délictuelle individuelle27. En outre, les critères de la responsabilité civile en matière d'indemnisation des proches sont très restrictifs et se limitent aux proches d'une personne décédée pouvant faire valoir des prétentions en perte de soutien (CO 45 III) et des prétentions en tort moral (CO 47) ainsi qu'aux proches d'une victime de lésions corporelles pouvant faire valoir des prétentions en tort moral ,lorsqu'ils subissent une souffrance revêtant un caractère exceptionnel, c'est-à-dire qu'ils sont touchés de la même manière ou plus fortement qu'en cas de décès (CO 49 I).
Ainsi, pour être admis à intervenir dans la procédure pénale et bénéficier des droits procéduraux attachés à cette qualité, les proches doivent tout d'abord faire la démonstration de la qualité de victime du lésé direct au sens de l'article 116 alinéa 1 CPP; ils doivent ensuite établir la qualité du lien qui fait d'eux un proche de cette victime au sens de l'alinéa 2 de cette disposition, puis qu'ils sont en mesure de faire valoir des conclusions civiles propres contre l'auteur28.
Avec quel degré de preuve ces éléments doivent-ils être rapportés pour que les proches puissent intervenir dans la procédure pénale?
La jurisprudence du Tribunal fédéral n'exige pas que la victime directe apporte la preuve de sa qualité de victime. Il suffit qu'une situation de victime entre en considération29. Cette dernière doit ainsi rendre «vraisemblable»30 l'existence d'une infraction et la gravité de l'atteinte qu'elle subit du fait de cette infraction. L'autorité se fonde donc sur les allégations de la victime ou, dans l'hypothèse où c'est une autre personne qui dénonce une infraction, sur les dires de cette dernière31.
Il n'y a naturellement aucun motif qu'il en aille différemment lorsqu'un proche doit démontrer la qualité de victime directe de la personne dont il est le proche. En d'autres termes, ce dernier ne saurait être contraint de rapporter la preuve parfaite de la qualité de victime, mais il doit rendre vraisemblable les éléments de la commission d'une infraction et la gravité de l'atteinte, indépendamment de leur existence réelle et de la qualification juridique du comportement en cause.
La preuve du lien est évidemment aisée à apporter pour le conjoint ou le partenaire enregistré, l'enfant, le père et la mère, puisque ces proches n'ont pas à prouver qu'ils entretiennent une relation privilégiée avec la victime. En revanche, l'établissement du lien «analogue», par exemple du concubinage, est plus difficile puisqu'on ne peut en faire la démonstration, soit apporter la preuve de ce lien, qu'après une instruction complète sur les circonstances de vie concrètes de la victime.
A notre avis, il faut admettre que cette démonstration ne doit pas être absolue et qu'il convient, pour permettre l'intervention d'un proche dans la procédure pénale, de s'en tenir à la notion de vraisemblance, en se contentant d'indices de l'existence de liens analogues à ceux des personnes mentionnées à l'article 116 alinéa 2 in initio CPP32.
Il en va de même de la question de savoir si le proche est en mesure ou non de faire valoir des prétentions civiles propres en réparation de son dommage, c'est-à-dire s'il est bien titulaire d'un droit propre à l'encontre de l'auteur. Cette question devrait s'apprécier aussi sous l'angle de la vraisemblance lorsqu'on se trouve dans l'hypothèse où la victime n'est pas décédée, puisque la question de l'atteinte à sa personnalité (CO 49) ne pourra être tranchée que par le jugement au fond sur l'action civile jointe. Le proche doit toutefois se constituer partie plaignante33 pour avoir la possibilité d'agir et faire la démonstration du bien-fondé de sa prétention au cours de l'instruction pénale.
Selon l'article 117 alinéa 3 CPP, les proches jouissent des «mêmes droits» que la victime, soit les droits de procédure de la victime en matière d'information, de protection et les droits d'intervention.
Concrètement, il y a toutefois lieu de distinguer entre les droits qui sont nécessaires ou utiles à la mise en œuvre de l'action civile de ceux qui ne le sont pas. Les proches bénéficient des premiers, et non des seconds. Ainsi, ils jouissent de tous les droits à l'information de la victime, en particulier l'information «détaillée» (CPP 305) par la police et le Ministère public34, qui implique qu'ils soient renseignés, dès la première audition, sur l'adresse et les tâches des centres de consultation ainsi que sur les prestations financières prévues par la LAVI35 et sur le déroulement de la procédure pénale36. En revanche, certains droits de protection de la personnalité des victimes semblent réservés aux victimes directes37, ce qui, selon nous, ne se justifie pas38.
Il va sans dire que le proche au sens de titulaire d'une créance propre contre le prévenu bénéficie, moyennant une constitution valable de partie plaignante, des prérogatives liées à son statut de partie39.
Un proche auquel la qualité de partie plaignante est refusée a la possibilité de déposer un recours à l'encontre de cette décision du Ministère public. Il en va de même concernant la décision qui refuserait à un proche un droit de procédure40.
Le proche qui s'est valablement constitué partie plaignante a également le droit de recourir à l'encontre d'une ordonnance de classement (CPP 322 II)41 et d'une ordonnance de non-entrée en matière (CPP 322 II par renvoi de CPP 310 II). Dans une certaine mesure42, il pourrait faire opposition à l'ordonnance pénale si la qualification juridique retenue a des conséquences préjudiciables sur ses conclusions civiles43.
La décision relative aux prétentions civiles constitue un jugement au fond, final ou partiel, rendu par un Tribunal de première instance qui est susceptible d'un appel du proche (CPP 398 ss)44, si seul le jugement sur les conclusions civiles est mis en cause.
Les proches peuvent déposer un recours en matière pénale au Tribunal fédéral sur la base de l'article 78 LTF et, le cas échéant, de l'article 93 LTF contre un refus d'admission de leur qualité de partie plaignante. Il en va de même de la décision portant sur les prétentions civiles (LTF 78 II lit. a)45.
La notion de proches dans le droit et la procédure d'indemnisation et de réparation du tort moral par l'Etat
Selon l'article 19 alinéa 1 LAVI, les proches de la victime ont droit à une «indemnité pour le dommage» qu'ils encourent du fait de l'atteinte ou du décès de la victime directe. La référence au droit de la responsabilité civile (CO 45 et 46) pour la détermination du dommage46, précédemment admise par la jurisprudence, est désormais codifiée par la LAVI.
En matière de réparation morale, l'article 22 alinéa 1 LAVI fait référence aux articles 47 et 49 CO47. La LAVI n'offre ainsi pas plus de droit en réparation du tort moral que le droit civil48.
Il y a donc désormais une cohérence exprimée de lege entre la LAVI et le droit privé de la responsabilité civile.
Cette référence au droit de la responsabilité civile limite donc le cercle des proches susceptibles de demander une prestation à l'Etat, aux proches d'une personne décédée pouvant faire valoir des prétentions en perte de soutien (CO 45 III)49, aux proches d'une personne décédée qui font valoir des prétentions en tort moral (CO 47) et aux proches d'une victime de lésions corporelles pouvant faire valoir des prétentions en tort moral lorsque ces proches subissent une souffrance revêtant un caractère exceptionnel, c'est-à-dire lorsqu'ils sont touchés de la même manière ou plus fortement qu'en cas de décès (CO 49 I)50.
Aux termes de l'article 47 CO, une indemnité à titre de réparation morale n'est accordée qu'à la «famille»51 de la victime décédée. Le seul lien familial ne donne certes pas automatiquement droit à une telle indemnité52 et c'est davantage l'intensité réelle du lien affectif d'un membre de la famille avec la victime qui doit être déterminant53. La communauté de vie peut constituer un indice de ce lien étroit. Ainsi, des frère et sœur ou des petits-enfants ont droit à cette indemnité s'ils font la démonstration du lien étroit qui les unissait à la victime.
Qu'en est-il des personnes en dehors du cercle formel des membres de la famille? Le Tribunal fédéral a admis l'indemnisation du tort moral d'un fiancé54. Il vient désormais d'accorder au concubin faisant ménage commun avec la victime55 le droit d'obtenir une indemnité pour tort moral56. La doctrine majoritaire57 préconisait d'ailleurs cette solution en raison du fait que le concubinage était devenu un mode de vie largement répandu et une alternative au mariage. L'évolution sociétale ouvre donc le droit à l'indemnisation du tort moral du conjoint, concurremment à celui du concubin58. Il apparaît ainsi que le cercle des ayants droit ne se délimite plus à des critères liés à l'état civil dont l'importance sociale est en net recul.
Des circonstances particulières devraient, selon nous, pouvoir ouvrir le droit à une indemnité pour tort moral à des personnes non membres d'une famille à l'instar par exemple des beaux-enfants, d'un filleul dont le parrain s'occupait, d'une maîtresse ou même, le cas échéant d'un ami très proche.
Conclusion
Comme on vient de le voir, l'étendue de la notion de proches se réduit tout au long du processus conduisant à la reconnaissance et à la réparation. Ainsi, les critères d'accès des proches aux diverses mesures d'aide sont plus larges que ceux permettant de participer à la procédure pénale et se réduisent comme peau de chagrin en matière d'indemnisation. Cette situation est regrettable à plus d'un titre. Non seulement elle plonge souvent les victimes et leurs proches dans l'incompréhension et accroît, voire suscite, un sentiment d'injustice. Plus fondamentalement, elle a pour effet de vider partiellement de sa substance la protection accordée par le droit de l'aide aux victimes d'infractions.
Cet écueil ne pourra être évité que si, à tout le moins dans le cadre de la procédure pénale, les proches sont admis à participer à la procédure avec des critères plus larges que les seules conclusions civiles qu'ils sont susceptibles de formuler, soit en se basant sur les liens effectifs entretenus par la victime et les proches.
1RS 312.5.
2Loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 4 octobre 1991, e. v. le 1er janvier 1993.
3PAHUD Anne-Laure, La victime, le procès pénal et les centres d'aide aux victimes, in Jusletter du 28 février 2011, 5.
4Art. 1 al. 1 et 2 LAVI.
5FF 2005 6683 ss.
6FF 2005 6723.
7FF 1990 909 ss.
8FF 1990 925.
9CONVERSET Stéphanie, Aide aux victimes d'infractions et réparation du dommage - De l'action civile jointe à l'indemnisation par l'Etat sous l'angle du nouveau droit, Thèse N° 799 de la Faculté de droit de l'Université de Genève, Genève - Zurich - Bâle 2009, 33.
10www.aide-aux-victimes.ch
11Recommandations CSOL, Conférence suisse des offices de liaison de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI): pour l'application de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) du 21 janvier 2010, 8.
12TF arrêt du 2.02.2012, 6B_368/2011 et JETZER Laura, Kommentar «Schmerzgeld in Konkubinat», in Jusletter du 16 avril 2012.
13ATF 114 II 144, JdT 1989 I 66; GUYAZ Alexandre, L'indemnisation du tort moral en cas d'accident, SJ 2003 II 1 ss, 20-21; WERRO Franz, La responsabilité civile, 2e éd., Berne 2011, 386-387.
14GOMM Peter / ZEHNTER Dominik, Kommentar zum Opferhilfgesetz, 3. Auflage, Bern 2009, 30.
15TF arrêt du 2.02.2012, 6B_368/2011.
16TF arrêt du 7.12.2000, 1A.196/2000, c. 3.
17TF arrêt du 7.11.2002, 6S.700/2001; TF arrêt du 26.03.2010, 1C_544/2009.
18TF arrêt du 26.3.2010, 1C_544/2009.
19ATF 88 II 455; TF arrêt du 29.4.2000, 6S.89/2000.
20MIZEL Cédric, La qualité de victime LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, in JdT 1983 IV 38, 54; ATF 125 III 412.
21ATF 125 III 412; ATF 117 II 50.
22TF arrêt du 12.6.2003, 1A.20.2008; TF arrêt du 8.6.2005, 1A.69/2005; TF arrêt du 23.4.2009, 6B_646/2008.
23Arrêt CREP du canton de Vaud 2012/136 du 9.2.2012.
24KUHN / JEANNERET (éd.), Commentaire romand Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011 (ci-après CR CPP), JEANDIN / MATZ, art. 122, N 25, 480; CR CPP, BERSET HEMMER, art. 117, N 6, 458 ss; CONVERSET, 33-34; PAHUD, 5.
25JEANNERET Yvan, La partie plaignante et l'action civile, RPS 2010, 297 ss, 300; JEANNERET Yvan, L'action civile au pénal, in BOHNET éd., Quelques actions en paiement, Neuchâtel 2009, N 12, 102.
26La notion de «partie civile» ayant disparu du CPP suisse, il faut comprendre, «lorsque les proches de la victime font valoir des prétentions civiles» en lieu et place de «lorsque les proches de la victime se portent parties civiles» selon le texte de CPP 117 III (Cf. NIGGLI / HEER / WIPRÄCHTIGER (Hrsg.), Basler Kommentar: Schweizerische Strafprozessordnung, Bâle 2010 (ci après BSK StPO), MAZZUCHELLI / POSTIZZI, art. 117, 740; JEANNERET, La partie plaignante et l'action civile, 298; JEANNERET, L'action civile au pénal, N 4, 98).
27CONVERSET, 53.
28Il convient de mentionner ici deux exceptions au droit du proche de faire valoir ses conclusions civiles propres dans l'action civile jointe. L'une dans le cadre de la procédure de l'ordonnance pénale (CPP 126 II lit a) et l'autre en matière de procédure pénale dirigée contre un mineur (PPMin 32 III, 34 VI). Dans les deux cas, le rôle de la victime directe, comme celui du proche, est limité. Ainsi, à moins que le prévenu ne reconnaisse les prétentions civiles de la partie plaignante (CPP 353 II), la procédure de l'ordonnance pénale exclut le jugement des prétentions civiles et impose le renvoi de la partie plaignante, soit de la victime directe et de ses proches, à agir par la voie civile. (Cf. CONVERSET, 32 et la jurisprudence citée).
29CONVERSET, 32 et la jurisprudence citée.
30CR CPP, GUY-ECABERT, art. 116, N 15, 455; TF arrêt du 3.6.2002 1 P.124/2002, c.1.2.
31ATF 125 IV 79, c. 1c.
32Arrêt CREP du canton de Vaud 2012/136 du 9.2.2012. Cet arrêt tient compte à juste titre des liens existant entre adultes et enfants au sein d'une famille recomposée.
33CR CPP, BERSET HEMMER, art.117, N 14, 460; GOMM / ZEHNTNER, art. 39, N 3, 333.
34Voir aussi CPP 330 III, qui rappelle ce droit au stade des débats, si cela n'a pas été fait auparavant.
35Cette disposition va plus loin que aLAVI 6 qui prévoyait uniquement une information portant sur l'existence des centres. Les autorités pénales doivent attirer l'attention de la victime et de ses proches sur ses devoirs, notamment l'obligation de justifier et de chiffrer dans toute la mesure du possible ses conclusions civiles (CPP 433 II).
36Communication à la victime de la suspension de la procédure (CPP 314 IV), notification à la victime de l'ordonnance de classement (CPP 321 I lit. B), de l'acte d'accusation (CPP 327 I lit. c), du jugement (CPP 84 II). Le proche de la victime doit, à notre avis, aussi être averti, sauf opposition expressément manifestée, de la mise en détention, de la libération ou de l'évasion du prévenu (CPP 214 IV).
37Interrogatoire par une personne du même sexe en cas d'infraction contre l'intégrité sexuelle (CPP 68 IV), mesures visant à protéger la personnalité de la victime, par exemple non-confrontation (CPP 152, 154), droit de refuser de déposer sur des faits concernant la sphère intime en cas d'infraction contre l'intégrité sexuelle (CPP 169 IV).
38Dans le même sens, CONVERSET, 34.
39Not. droit de consulter le dossier (CPP 101), droit d'être entendu (CPP 107), statut de la partie plaignante lors des auditions (CPP 180 II).
40En vertu de CPP 382 I.
41TF arrêt du 22.3.2012, 1B_272/2011.
42Lorsque le prévenu ne reconnaît pas les prétentions civiles, la partie plaignante est renvoyée à agir devant les autorités civiles et elle n'aurait en principe pas d'intérêt à s'opposer à l'ordonnance pénale. (Lire à ce sujet CR CPP, GILLIERON / KILLIAS, art. 354, N 3, 1579).
43CR CPP, GILLIERON / KILLIAS, art. 354, N 3, 1580.
44CR CPP, KISTLER VIANIN, art. 398, N 33, 1778; JEANNERET, La partie plaignante et l'action civile, 314; JEANNERET, L'action civile au pénal, N 97 ss, 144 ss.
45CORBOZ / WURZBURGER / FERRARI / FRESARD / AUBRY GIRARDIN, Commentaire de la LTF, Berne 2009, art. 78, N 20 ss, 663 ss.
46Toutefois, LAVI 19 IV exclut désormais les dommages normatifs, soit le préjudice admis sans preuve de la diminution concrète du patrimoine du lésé (préjudice domestique ou préjudice d'assistance).
47Limitée par un montant maximum (LAVI 23 II).
48TF arrêt du 2.02.2012, 6B_368/2011 et les références citées.
49Le droit du proche à une indemnisation de sa perte de soutien dépend non pas de la qualité du lien qui l'unit au défunt mais du fait de savoir si ce dernier assurait effectivement ou aurait assuré un jour un entretien dont la personne soutenue a besoin pour maintenir son niveau de vie.
50CONVERSET, 267-269 et jurisprudence et doctrine citées; RINIKER Jelena, Opferrechte des Tatzeugen: Die Problematik des Opferbegriffs nach OHG und die strafrechtliche Qualifikation der Verletzung der psychischen Integrität, Zürich - St.-Gallen 2011, 169 et 178.
51«Angehörige» selon le texte allemand de CO 47.
52RINIKER, 164.
53GUYAZ, 22; TF arrêt du 2.2.2012, 6B_368/2011.
54ATF 114 II 144, c. 3b.
55La question de l'indemnisation du tort moral du concubin avait été laissée ouverte dans l'ATF 114 II 144, c. 3a et rejetée au regard de aLAVI 12 II dans TF arrêt du 7.12.2000, 1A.196/2000; cf. GUYAZ, 21.
56TF arrêt du 2.2.2012, 6B_368/2011.
57TF arrêt du 2.2.2012, 6B_368/2011 c. 2.3.2 et auteurs cités; CONVERSET, 266-267.
58Sur la notion de concubinage, voir développements in TF arrêt du 2.2.2012, 6B_368/2011, c. 2.3.3.