1. Introduction
Le frère ou la sœur d’une victime d’un homicide est-il ou elle aussi une victime qui dispose du droit de participer à une procédure pénale? La mère ou le père d’un enfant abusé sexuellement est-elle ou il aussi une victime qui est susceptible de participer à une procédure pénale? Dans ce domaine, il peut exister une discrépance importante entre le ressenti des personnes et les règles juridiques applicables au regard de l’art. 116 CPP.
Mais surtout pour ces proches, le praticien doit démontrer l’existence de liens concrets entre eux et la victime pour pouvoir convaincre les autorités pénales de leur accorder, à eux aussi, la qualité de victime (art. 116 al. 2 CPP), et donc de partie. L’objectif de la présente contribution est ainsi de faire un tour d’horizon des derniers arrêts en la matière afin de tenter d’offrir au praticien quelques pistes sur les pièces à fournir pour permettre à un proche au sens de l’art. 116 al. 2 CPP de participer à une procédure pénale.
2. La qualité de partie
Selon l’art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil. La notion de lésé est définie à l’art. 115 CPP. Il s’agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d’une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte.
Conformément à l’art. 116 al. 1 CPP, on entend par victime le lésé qui, du fait d’une infraction, a subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle. Il s’agit donc de lésé direct. Le proche de la victime est par ailleurs défini à l’art. 116 al. 2 CPP.
Le droit d’un proche au sens de l’art. 116 al. 2 CPP de se constituer partie plaignante implique, ce que confirme la combinaison des art. 117 al. 3 et 122 al. 2 CPP, qu’il fasse valoir des prétentions civiles propres. Pour bénéficier des droits procéduraux conférés par le CPP, ces prétentions doivent paraître crédibles au vu des allégués. Sans qu’une preuve stricte soit exigée, il ne suffit cependant pas d’articuler des conclusions civiles sans aucun fondement, voire fantaisistes; il faut, avec une certaine vraisemblance, que les prétentions invoquées soient fondées.
Cette architecture reprend en définitive la construction des art. 1 al. 1 et 2 LAVI.
3. La notion de proche
Selon l’art. 116 al. 2 CPP, on entend par proches de la victime son conjoint, ses enfants, ses père et mère et les autres personnes ayant avec elle des liens analogues.
Le conjoint, les enfants, le père et la mère ont ainsi la qualité de proches de par la loi, indépendamment de liens affectifs qu’ils entretiennent avec la victime. Ils n’ont dès lors pas à démontrer un lien particulier pour voir leur qualité de partie reconnue.
Quant aux «autres personnes», elles n’ont pas nécessairement à être apparentées à la victime et ne font pas obligatoirement vie commune avec celle-ci. Sont alors déterminantes les circonstances concrètes, l’intensité du lien entretenu avec la victime et/ou la fréquence des rencontres, éléments que ceux alléguant être des proches au sens de l’art. 116 al. 2 in fine CPP devront rendre vraisemblables afin de démontrer qu’ils ont, avec la victime, des liens analogues aux premières personnes mentionnées dans cette disposition.
Peuvent ainsi généralement être considérés comme des proches de la victime le concubin, le partenaire enregistré, les petits-enfants qui auraient été élevés par leurs grands-parents en raison par exemple du décès de leurs parents, ainsi que, le cas échéant, une relation d’amitié ou fraternelle très étroite. Il faut toutefois une relation «particulièrement intense» pour justifier ce statut procédural.
Il faut cependant insister sur un point fondamental en pratique: le proche, comme nous l’avons déjà vu, doit pouvoir faire valoir des prétentions civiles propres pour être admis à participer à la procédure. Ainsi, lorsqu’un enfant victime d’une infraction se voit désigner un curateur de représentation (art. 308 al. 2 et 314a CC), les parents ne peuvent en règle générale plus se constituer partie plaignante, faute de pouvoir représenter leur enfant ou démontrer des prétentions civiles propres. En effet, en présence d’une infraction contre l’intégrité sexuelle, les proches de la victime n’auront de prétention propre – et ainsi la propre qualité de partie – que s’ils sont atteints aussi durement que si la victime était décédée.
4. Jurisprudence choisie sur les proches
Au vu de ces principes, nous avons sélectionné quelques arrêts récents qui démontrent la difficulté pratique de démontrer cette relation «particulièrement intense» ou des prétentions civiles propres pour les «autres personnes» au sens de l’art. 116 al. 2 CPP ou pour les parents dont les enfants sont victimes d’une agression sexuelle.
Dans des affaires où la victime est décédée, le Tribunal fédéral a ainsi refusé la qualité de proche:
• Aux sœurs d’une victime d’homicide: «En effet, les quelque vingt ans passés sous le même toit (1974-1994) semblent correspondre à l’enfance des quatre sœurs; cet élément – mis à part son éloignement dans le temps – n’est ainsi pas caractéristique d’un lien particulier. Quant aux photos de famille produites – non datées –, aux visites effectuées pour le moins jusqu’en 2008, aux cadeaux adressés semestriellement et aux coups de téléphone hebdomadaires, ils permettent encore une fois de démontrer que les membres de la famille continuaient avoir des relations affectives et périodiques entre eux.
Cependant, leur fréquence relativement limitée – notamment celle des appels téléphoniques – ne suffit pas pour retenir que ces échanges auraient été au-delà de ceux existant généralement dans une fratrie ayant quitté le giron parental».
• Au frère d’une victime alléguée d’homicide par négligence: la victime étant domiciliée en Suisse et son frère en Floride, l’accompagnement du défunt durant sa lutte contre son cancer ne suffit pas à démontrer un lien particulièrement intense.
Il l’a en outre laissée ouverte à:
• La sœur d’une victime d’homicide: «À cet égard, la recourante fait état de sa qualité de partie reconnue par le ministère public, autorité devant laquelle elle a déjà fait valoir les liens affectifs très étroits la liant à son frère unique, ainsi que la fréquence de leurs contacts. Elle renvoie d’ailleurs à ces pièces, relevant brièvement en particulier l’attestation de sa mère sur les liens de ses enfants malgré la distance géographique, le soutien apporté à son frère lors de son divorce, la procuration établie par ce dernier en sa faveur sur un compte bancaire et la coopération envisagée pour la soutenir dans un futur projet immobilier.
Ces éléments démontrent sans aucun doute une bonne entente familiale où les membres de la famille peuvent compter les uns sur les autres notamment lors de difficultés. Vu l’issue du litige, il n’est pas nécessaire de déterminer s’ils sont en revanche suffisants pour justifier, le cas échéant, l’obtention d’une indemnité pour tort moral, respectivement admettre la qualité pour recourir».
En revanche, cette qualité a été admise:
• Aux frères et sœurs d’une défunte, car ils lui ont apporté une aide de très longue durée durant une longue maladie, qui a conduit à son décès.
Par ailleurs, en matière d’infractions de nature sexuelle, le Tribunal fédéral a refusé la qualité de partie aux parents (dont les enfants étaient représentés par un curateur de représentation) suivants:
• La mère d’une victime d’infractions sexuelles commises par le père: «En effet, il résulte du rapport médical de la Clinique F. précité que la dépression sévère dont souffre la recourante est causée par la séparation d’avec ses enfants et par le fait de ne pas pouvoir s’occuper d’eux. Or, il apparaît que cette séparation n’est pas liée aux abus sexuels dénoncés, mais à la propre mise en prévention de la recourante pour avoir, pendant une certaine période, de concert avec l’intimé B., fait vivre ses enfants dans un appartement insalubre et avoir, dès lors, mis en danger leur développement physique.
Peu importe donc de savoir si, comme l’a retenu la cour cantonale, la ‹procédure judiciaire en cours› mentionnée dans le rapport établi le 12 septembre 2022 par le Dr E. fait référence à la mise en prévention de la recourante, ce que conteste cette dernière. Par ailleurs, il n’est pas insoutenable de retenir l’existence, chez la recourante, de ‹troubles› liés aux difficultés financières et administratives résultant de son besoin de déménager et de divorcer et, partant, de déduire des circonstances d’espèce que ces troubles sont indépendants de la souffrance des victimes et qu’ils constituent uniquement un dommage indirect aux faits subis par ces dernières.
Cela rend ainsi vraisemblable que les souffrances dont se plaint la recourante et qui sont attestées médicalement ont des causes multiples. Dans ces conditions – et sans minimiser l’impact psychologique sur la recourante des actes dénoncés –, il apparaît que l’instance précédente pouvait à bon droit considérer que l’intéressée n’avait pas établi – au degré de vraisemblance requis – l’existence d’une souffrance exceptionnelle, comparable à celle qu’elle aurait endurée en cas de décès de ses enfants. Rien de ce qu’objecte la recourante ne conduit à remettre en cause le constat de la cour cantonale à cet égard».
• La mère d’une victime d’une agression sexuelle dans une cave: «Avec l’instance précédente, force est d’admettre que les constatations précitées n’émanent ni d’un thérapeute spécialisé ni n’atteignent le degré de gravité exigé par la jurisprudence pour permettre au proche d’une victime d’actes d’ordre sexuel de formuler des conclusions civiles propres à l’égard de l’auteur présumé. La recourante ne remet en particulier pas en cause que, entre le 7 juillet 2021 (date du bon LAVI d’aide immédiate en faveur de la recourante) et l’attestation précitée du 30 juin 2022, le Centre LAVI n’a pas augmenté le nombre de séances de psychothérapie prises en charge en faveur de la recourante.
Cette dernière n’a en outre produit aucune attestation médicale susceptible d’apprécier le degré de gravité des conséquences sur sa santé psychique des actes dont aurait été victime sa fille une année auparavant. La recourante n’a en particulier pas transmis d’attestation d’un thérapeute spécialisé qui la suivrait. Dans ces conditions, l’instance précédente pouvait à bon droit considérer que les souffrances de la recourante ne sauraient être assimilées, sans autre pièce venant étayer leur intensité, à celles subies lors d’un décès d’un enfant. Le recours est mal fondé sur ce point».
• La mère d’une mineure placée dans un foyer où elle aurait été agressée: «Au demeurant, la simple allégation d’avoir subi des angoisses, sans autre développement, ne saurait suffire, même sous l’angle de la vraisemblance, à déterminer quelles prétentions civiles propres elle entendait soulever à l’encontre des mis en cause. En particulier, dans l’hypothèse d’une prétention en réparation de son tort moral, une telle allégation ne permet pas de comprendre en quoi l’atteinte prétendument subie atteindrait la gravité objective et subjective que la jurisprudence exige pour l’allocation d’une indemnité pour tort moral. Il s’ensuit que la recourante ne rend pas vraisemblable l’existence de prétentions civiles propres en raison des faits reprochés dans sa plainte pénale».
Ces quelques résumés démontrent que la simple allégation, la production de photographies ou d’un certificat d’un centre LAVI sont, en pratique, insuffisantes pour que la qualité de partie en application de l’art. 116 al. 2 CPP soit reconnue. Il appartient donc au praticien de la documenter avec soin.
5. Synthèse des éléments à fournir
Le Tribunal fédéral a explicitement jugé qu’il appartenait au proche de démontrer lui-même l’importance des liens et qu’il ne pouvait se prévaloir du principe d’instruction d’office à cet égard. Le praticien a ainsi intérêt, lors de la constitution de partie plaignante, à réfléchir immédiatement aux pièces à produire. Au vu de la jurisprudence précitée, il nous semble que les éléments suivants devraient être pris en compte dans les dossiers relatifs à un décès d’une victime ou à un abus sur enfant, qui sont les cas où la question se pose le plus fréquemment en pratique.
6. Conclusion
Ce panorama démontre que la pratique est extrêmement sévère. Le système même du CPP entend limiter le cercle des lésés aux victimes directes d’une infraction. Les tribunaux interprètent ainsi de manière restrictive l’ouverture de la qualité de partie à la victime indirecte des proches prévue par l’art. 116 al. 2 CPP. L’avocat qui représente de tels proches doit ainsi être immédiatement attentif à produire tous les éléments utiles dès le début de la procédure, étant précisé que le principe de l’instruction d’office ne s’applique pas sur ces points.
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