Commençons par 1. un état des lieux, suivi 2. de réflexions sur la proposition d'une loi cadre fédérale sur la médiation et les médiateurs pour aborder ensuite 3. la question des incitations résumées sous le terme de «Zwangsmediation» avant 4. de conclure.
1. Etat des lieux d'une décennie de médiation en Suisse
La médiation en Suisse a contribué à résoudre des conflits qui auraient, sinon, occupé la justice pendant de nombreuses années. Ces expériences positives ont parfois eu des conséquences indirectes importantes. Ainsi, par exemple, le Département des travaux publics d'Argovie, convaincu par l'expérience positive d'une médiation1, a décidé d'offrir une sensibilisation à ce mode de résolution des conflits à tous ses chefs de service.
Malgré les succès remportés et le faible coût des échecs, tant en argent qu'en temps perdu, la médiation peine encore à s'imposer. Nous en conclurons provisoirement que la BATNA2 ne joue pas, en Suisse, en faveur de la médiation; le coût et les désavantages de la voie judiciaire (stress, longueur des procédures, etc.) par rapport à un accord négocié ne sont pas tels, ici, qu'ils serviraient de repoussoir vers la médiation. C'est à la fois une preuve du bon fonctionnement de la justice, mais cela entraîne une sous-utilisation de méthodes de résolution des conflits plus constructives. Pour les avocats3, une solution rapide ne rapporte pas tant qu'un bon procès, gagné de haute lutte. Et même perdu, le procès reste souvent lucratif, car synonyme de travail sur une longue durée. De surcroît, alors que le procès soude souvent la relation avocat-client, le client dépendant totalement des connaissances professionnelles de son défenseur, la médiation renforce au contraire l'autonomie des parties par rapport aux avocats.
Du point de vue des juges, une certaine méfiance règne, car leur mission est de trancher les différends et non de les transférer à d'autres, qu'ils ne connaissent pas et qui vont facturer leurs services, sans garantie de résultat. Certains peinent à se dessaisir d'un litige, d'autant que personne ne viendra les en remercier. Quelques juges considèrent, par ailleurs, que c'est aux parties d'assumer les conséquences de leurs choix, et non au juge de «faire le bonheur des justiciables» malgré eux. Ces considérations les amènent souvent à sous-estimer a) la difficulté, pour les parties, à faire le premier pas vers une médiation et b) leur propre rôle et les moyens pouvant aider les parties à s'y décider4.
Quant aux parties, qui ont souvent entendu parler de la médiation et de ses bienfaits, divers motifs les empêchent de tirer les conséquences qui s'imposent. Lorsque le litige est virulent, il faut une phase de décompression que la procédure judiciaire offre de façon idéale, puisque le conflit est confié à d'autres, alors que, dans la médiation, les parties sont invitées à se réapproprier leurs différends. Ensuite, aucune des parties ne veut donner l'impression d'être la plus faible. Or, le fait de proposer une alternative à la voie judiciaire peut être perçu comme une façon d'esquiver la question du juste et du faux, d'éviter de s'entendre dire qui a raison et qui a tort, donc comme une échappatoire pour ceux qui ne sont pas sûrs d'avoir raison. Dans un tel cas, seul un tiers, le juge, peut donner l'impulsion nécessaire permettant au processus de médiation de commencer ou de recommencer5.
Quelles formules et quelles dispositions cadres sont les plus susceptibles de favoriser ce processus? Vu les avantages évidents présentés, qu'est-ce qui pourrait en faciliter le recours?
2. Loi cadre fédérale sur la médiation et les médiateurs
Genève espérait beaucoup de sa loi sur la médiation civile, adoptée par le Parlement presque à l'unanimité en 2004 et entrée en vigueur en 2005. De grands espoirs furent aussi placés dans le Code unifié de procédure civile fédérale, entré en vigueur en 2011.
Avant cela, en 2007, la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève (CCIG) a adopté, avec d'autres Chambres de commerce, un Règlement suisse de médiation commerciale6.
Genève a aussi milité pour introduire une loi cadre fédérale sur la médiation, afin de reprendre au niveau fédéral, les dispositions cantonales relatives à la reconnaissance des médiateurs et à leur surveillance7. Mais, à l'évidence, les dispositions législatives genevoises n'ont pas contribué à une percée significative de la médiation dans ce canton, pas davantage que les efforts promotionnels de la CCIG8 ou d'organisations internationales. Pourtant Genève est le siège de l'OMPI, une organisation internationale qui s'est engagée plus que d'autres en faveur de la médiation commerciale9, surtout en matière de propriété intellectuelle, avec un certain succès, aussi le concours de médiateurs locaux. Et ce canton compte un nombre impressionnant de médiateurs engagés qui ont lancé des initiatives telles les Petits-déjeuners de la médiation à l'enseigne de la CCIG, avec le concours de la Chambre suisse de médiation Commerciale10, ou les Studio-Médiation en soirée11, pour donner l'occasion aux médiateurs de s'exercer entre eux.
L'approche législative, créant une loi cadre fédérale avec un tableau des médiateurs et une surveillance comparable à celle des avocats, n'a cependant pas convaincu, vu l'absence de résultats.
D'ailleurs, les arbitres, qui ont des pouvoirs plus grands qu'un médiateur puisqu'ils peuvent trancher les litiges au fond, sans recours contre leurs décisions12, ne sont pas soumis à une surveillance ou à des règles concernant leurs qualifications, contrairement aux juges ou aux avocats, et cela n'empêche pas le succès de longue date de l'arbitrage, notamment en matière de commerce international. La conclusion intermédiaire est que l'approche législative n'est pas susceptible de modifier en faveur de la médiation le recours aux tribunaux ou à l'arbitrage du moins tant que le recours à la médiation n'est pas expressément reconnu d'intérêt public, comme dans certains pays anglo-saxons.
3. «Zwangsmediation» et autres démarches avec sanctions à la clé
Concernant la «Zwangsmediation», terme contradictoire, puisque la médiation est par définition une démarche volontaire, la question s'est posée de savoir s'il était acceptable que les juges imposent le recours à ce mode de résolution dans les cas où ils l'estiment utile et dans quelle mesure des sanctions pour faute professionnelle étaient envisageables pour les cas où les avocats ne recommanderaient pas cette voie à leurs clients lorsqu'elle serait susceptible de trouver des solutions plus appropriées et moins chères aux litiges.
La «Zwangsmediation» est tellement contraire au caractère librement consenti de la médiation que cette option, pratiquée avec succès à l'étranger13, n'a aucune chance de s'imposer en Suisse, pas même à Genève où cette solution a été clairement rejetée en 2004 lors de l'élaboration de la loi sur la médiation civile.
Comment dès lors influencer les parties pour rendre plus attractive une solution négociée qu'une solution judiciaire? Au niveau des avocats, on pourrait assimiler à une faute professionnelle le fait de ne pas proposer au client la médiation, dans un cas où le recours à cette procédure aurait clairement limité les risques et évité les désagréments d'un procès perdu. Cette approche, raisonnable tant qu'elle se limite à exiger la participation à une séance au moins, n'a cependant pas convaincu.
Il faut garder à l'esprit l'exemple des tribunaux anglais et américains, qui ont sanctionné financièrement les parties ne respectant pas les clauses de médiation librement acceptées lors de la signature d'un contrat ou ne tentant pas la médiation, dans des cas où cela aurait vraisemblablement pu conduire à une solution. Ils ont condamné les parties à des dommages et intérêts correspondant aux frais encourus par la partie adverse du fait du procès et qui auraient pu être évités, dans la mesure où cette voie contractuelle n'apparaissait pas totalement dépourvue de chance de succès.
Cette approche anglo-saxonne a le mérite de tenir compte du fait que le plus difficile est toujours d'amener les deux parties devant un médiateur, pour donner au processus une chance de démarrer. La pratique montre, en effet, que si les parties ont pu être persuadées de participer à une première séance, elles seront tentées de valoriser l'expérience, vu le temps consacré à l'exercice. Les chances qu'il en ressorte quelque chose d'utile sont dès lors réelles, même si le litige n'est pas totalement réglé. Cette contrainte ne peut cependant pas aller au-delà de la participation à une première séance avec le médiateur.
Au niveau des juges, les avocats ne devraient pas hésiter à leur faire savoir, en aparté si nécessaire, qu'une proposition de médiation de leur part serait bien accueillie, au moins par une des parties. Cela donnerait peut-être plus de conviction aux magistrats pour proposer cette solution aux deux parties.
Ce qui a produit de bons résultats à l'étranger est la tenue de séances de médiation au Palais de justice. Le meilleur exemple est le centre de médiation de Singapour situé dans l'enceinte même de la Cour suprême14. Cette intégration reste une piste à explorer localement et à garder à l'esprit lorsque de nouveaux locaux doivent être aménagés pour la justice, comme c'est le cas actuellement à Genève.
Au niveau des parties, il convient de leur faire prendre conscience des risques qu'il y a à ne pas accepter une proposition de médiation de l'autre partie (ou du juge).
Dans un cas de procès pour «mobbing», le fait pour la victime d'avoir refusé l'offre de médiation que la direction lui avait faite a été expressément mentionné dans le jugement (arrêt genevois non publié). On ne peut dire que le rejet de la demande soit la conséquence directe du refus de participer à la médiation, mais la mention expresse de ce refus dans le jugement est tout de même significative, surtout dans un domaine où ce mode alternatif de règlement des conflits peut apporter beaucoup15.
4. Conclusion - Quel avenir pour la médiation et les médiateurs en Suisse?
La décennie écoulée, depuis les premières formations de médiateurs sous l'égide de la FSA en 2002, a permis de faire progresser le recours à la médiation, comme le prouvent les actes législatifs et réglementaires émis aux niveaux tant cantonal et fédéral qu'à celui des Chambres de commerce. Le futur développement de ce mode de résolution des conflits doit se faire à partir d'exemples de médiations réussies. Comme le démontre le cas argovien mentionné plus haut, c'est à force de succès partagés que la volonté de recourir davantage à la médiation finira par s'imposer. Mais des publications de jugement où la médiation a été refusée et où ce refus n'a en tout cas pas aidé le perdant peuvent encourager les parties et les avocats à prendre conscience des risques encourus s'ils refusent cette proposition.
En attendant une diffusion à plus large échelle en Suisse, les avocats se féliciteront de l'expérience d'un des leurs: la reconnaissance et la publication par la FSA de sa formation de médiateur lui ont valu de nouveaux mandats. Il a été choisi par des parties qui attendaient de sa spécialisation l'assurance que tout serait fait pour limiter les procédures et favoriser les solutions les moins contentieuses.
1 Le conseiller d'Etat du canton d'Argovie en charge du Département des constructions de la circulation et de l'environnement (BVU) constata, dans le cadre d'une procédure d'autorisation de décharge pour matières inertes dans la carrière de Mellikon, l'absence de volonté des parties en litige de participer à un règlement à l'amiable. La confiance nécessaire faisait défaut. Il proposa alors une médiation, solution à laquelle toutes les parties se sont ralliées deux hauts fonctionnaires cantonaux, le président de la commune de Mellikon et son remplaçant, deux représentants du groupement Dep-O-NIE (groupe s'étant opposé à l'utilisation de la carrière comme dépôt de déchets inertes), le vice-président et deux membres du conseil d'administration de la carrièr ainsi que son directeur, le tout sous la houlette de deux médiateurs. Ceux-ci ont réussi à créer les bases de confiance indispensables pour trouver une solution au bon fonctionnement de la carrière, tout en laissant la porte ouverte à d'autres discussions (FSKB Aktuell, Herbstanlass mit breiten Themenspektrum, in: Die Schweizer Baustoff-Industrie, 6/2008, p. 4).
2 «Best Alternative to a Negotiated Agreement», soit en pratique le plus souvent le recours aux tribunaux ou à l'arbitrage.
3 Pour un exposé plus détaillé de la médiation telle que perçue par les avocats: Clark, Bryan, Lawyers and mediation, Berlin, Springer, 2012.
4 A titre d'exemple, on citera la délibération entre trois juges, où le texte du jugement fut adopté en trois minutes. Il fallut ensuite trois quarts d'heure de débats intenses pour que les juges acceptent d'offrir aux parties une dernière chance de tenter la médiation au lieu de se soumettre au jugement. En l'espèce, les parties ont accepté cette solution très vite et finalement trouvé elles-mêmes la solution à leur problème.
Pour aider les parties, le nom d'un médiateur fut proposé par les juges. Dans un cas, les juges ont même accepté de donner au médiateur, lié par le devoir de confidentialité ancré dans la législation genevoise (art. 71 de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire [RS/GE E 2 05F], le texte de la partie «en fait» du futur éventuel jugement. Les parties pouvaient consulter cet état de fait, mais ne pouvaient pas en faire de copies.
5 Ainsi, pendant la procédure au fond, l'art. 214 CPC prévoit que «le tribunal peut conseiller en tout temps aux parties de procéder à une médiation».
6 https://www.swissarbitration.org/sm/download/swiss_mediation_rules_version_2007_francais.pdf
7 Art. 66 ss. de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire ainsi que le règlement genevois relatifs aux médiateurs pénaux et civils (RS/GE E 2 05.05). L'art. 66 LOJ-GE prévoit que l'exercice de la fonction de médiateur assermenté est subordonné à autorisation du Conseil d'Etat. Pour ce faire, le médiateur devra répondre à de nombreuses conditions personnelles (art. 67 LOJ-GE) et devra prêter serment devant cette autorité (art. 69 LOJ-GE). Le Conseil d'Etat est, de plus, habilité à prononcer des sanctions contre le médiateur, allant de l'avertissement à la radiation définitive du tableau des médiateurs assermentés (art. 72 LOJ-GE).
8 Il ne faut cependant pas sous-estimer l'effet indirect de mesures telles celles prises par la CCIG. Des médiations sont engagées en se référant au règlement de celle-ci, sans nécessairement la solliciter; c'est vrai notamment dans tous les cas où les parties parviennent à s'entendre sur le choix d'un médiateur. Ces cas ne figurent pas dans les statistiques de la CCIG.
9 http://www.wipo.int/amc/fr/mediation/
10 http://www.skwm.ch/index-fr.php?frameset=1
11 En fin de journée ou en soirée, des médiateurs genevois se retrouvaient pour faire des jeux de rôles, dans lesquels les médiateurs jouaient à tour de rôle les parties en conflits ou le/les médiateurs à partir de cas concrets auxquels ils furent confrontés. Ensuite, ils procédaient à la critique de l'exercice (http://www.mediations.ch/cms/downloads/infogpm71.pdf).
12 Sous réserve évidemment des possibilités très limitées de recours au Tribunal fédéral.
13 Dans l'affaire Cullen c. Corwin (2012 DJDAR 7533 (2012), jugée par la Cour d'appel du troisième district de Californie, un contrat standard de vente d'immeuble stipulait qu'une partie «who commences an action without first attempting to resolve the matter through mediation, or refuses to mediate after the making of a request shall not be entitled to recover attorney fees». En l'espèce, une des parties a refusé la médiation et a procédé au fond. L'instance a estimé que l'encouragement de la médiation comportait une forte composante d'ordre public et que le but de la clause était de limiter le nombre de procédures devant les tribunaux. Elle a par conséquent nié le droit au remboursement de ses dépens de la partie en question (http://www.litigationmanagementblog.com/articles/prevailing-party-suits/). De nombreux autres précédents existent.
14 http://www.mediation.com.sg/
15 Dans un autre cas, les juges du Tribunal d'appel avaient proposé aux parties de recourir à la médiation, laissant entendre que le jugement risquait de décevoir certains espoirs nourris par la décision précédente. Une des parties se montra disposée à recourir à cette procédure. L'autre la rejeta catégoriquement et perdit son procès, y compris devant le Tribunal fédéral. Le refus de la médiation n'en était pas la cause, mais elle conforta les juges dans l'idée que la position défendue par cette partie n'était pas digne de protection.