plaidoyer : Au regard des articles 189 à 191 CP, sur quels points la révision devrait-t-elle se concentrer ?
Camille Maulini : La réforme devrait être centrée sur deux éléments principaux et différents. Primo, le consentement doit être considéré comme un élément central. Deuzio, l’infraction du viol doit être ouverte à d’autres types de pénétration, le viol étant aujourd’hui limité au «viol hétérosexuel».
Loïc Parein : Il y a effectivement deux aspects, à savoir l’extension de la définition et l’articulation du viol, soit si le ressort de l’infraction doit être repensé.
plaidoyer : Certaines personnes considèrent que notre ordre juridique entretiendrait une culture de viol, qu’en pensez-vous ?
Loïc Parein : Il faudrait savoir ce que l’on entend par culture du viol. Sur le plan pénal, cela signifie que le système entretiendrait, voire favoriserait la commission de cette infraction. Si l’on parle du viol tel que défini actuellement et sous réserve de l’extension de la protection au «viol non-hérérosexuel», une telle culture n’existe pas. Je pourrais entendre cette critique si, par exemple, on continuait de ne poursuivre le viol qu’en cas plainte en présence de personnes mariées. Ce n’est plus le cas et heureusement.
Camille Maulini : Il faut entendre cette critique en ce sens que la loi actuelle favorise le maintien de stéréotypes de genre et le maintien du mythe sur le viol, soit la représentation du viol commis par un homme inconnu dans la rue, avec violence. La réalité ne correspond pas à cette image. Une étude, corroborée par d’autres, relève que 68% des victimes connaîtraient leur agresseur.
plaidoyer : L’intégration de la notion de consentement permettrait-elle d’englober d’autres cas aujourd’hui impossibles à réprimer d’après la définition actuelle du viol, notamment les cas de freezing (état de sidération ou de paralysie) ?
Camille Maulini: C’est l’objectif même de la réforme et le but de notre demande. La nouvelle définition doit se concentrer sur le consentement et non sur le fait de savoir si la victime s’est débattue. Le droit actuel est polarisé sur l’utilisation d’un moyen de contrainte ou de violence. Les cas de contrainte psychologique doivent être d’une telle violence qu’ils ne sont que rarement réprimés. Pour qu’il y ait contrainte physique, il faut que la personne se défende: c’est donc le comportement de la victime qui est jugé. L’acte n’est pas répréhensible si la victime n’a pas agi de la manière prévue par la loi. On doit cesser de se centrer sur le comportement de la victime et s’interroger sur celui de l’accusé en rapport avec le consentement.
Loïc Parein: Le code étiquette parfois les comportements d’une manière qui ne correspond plus à l’époque où l’on juge. Le droit est dynamique et je suis tout à fait ouvert à une modification des libellés. Toutefois, je ne partage pas l’impression donnée selon laquelle la notion de consentement est absente dans le titre consacré à l’intégrité sexuelle: le consentement y est omniprésent de manière sous-jacente. La punissabilité du recours à la violence ou la menace suppose l’absence de consentement. Dénoncer que dire non ne suffit pas est une formule évidée d’une partie de la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l’article 190 CP. Dire non suffit, la question étant la manière dont le refus a été outrepassé. S’il y a contrainte, il y a possiblement viol. D’après l’analyse ressortant du Rapport sur la Convention d’Istanbul, le système actuel consacre suffisamment le consentement pour y être compatible. En somme, il est évident qu’une relation sexuelle doit être librement entreprise mais je dénonce le discours laissant croire que faire du consentement un élément central améliorera sensiblement l’efficacité de la répression sans ne présenter aucun inconvénient.
Camille Maulini: Pour moi, le consentement arrive en deuxième partie de l’analyse des juges Il se trouve dans les éléments constitutifs subjectifs. La première partie d’une audience va rechercher les éléments objectifs, à savoir l’existence d’une contrainte. Il ne suffit pas que la victime dise non. Encore faut-il que l’auteur doive réagir par la contrainte. S’il n’y a pas de contrainte mais simplement un non, on ne passera pas à la deuxième étape et il ne sera nullement discuté de consentement. Il y a des cas où les juges admettent qu’il était établi que la victime n’était pas consentante mais ne reconnaissent pas l’existence d’une contrainte. Ces cas ne sont pas punis.
plaidoyer : La violence structurelle peut-elle de rétablir la situation ?
Camille Maulini: Certes, la loi prévoit la violence psychologique comme soupape mais le TF précise aussi que ces violences doivent être d’une très grande importance. La jurisprudence admet que le lien de subordination, l’âge, ou l’impression de se trouver dans une situation inextricable ne suffisent pas per se. A titre exemplatif, la personne en situation de sidération se sent dans une situation inextricable: il n’y pas de cadre structurel qui permette de justifier «le comportement de la victime». Ce type de cas de figure ne rentre donc pas dans la définition des violences psychiques.
Loïc Parein: Si on regarde le droit actuel, un viol nécessite qu’il y ait une contrainte pour anéantir le refus de la partenaire. S’il n’y a pas eu de refus, on s’interrogera sur l’absence de résistance. Dans les cas de violence structurelle, on tombera sous le coup de l’article 190 CP
en cas d’acte sexuel d’un homme sur une femme pour laquelle la seule option possible était de se soumettre vu les circonstances. L’incapacité de discernement ou de résistance est, elle, couverte par l’article 191 CP. On pourrait ainsi admettre que la victime en état de sidération est comme une personne incapable de résistance au sens de cette disposition. Je trouve que l’on est ainsi trop sévère avec l’état actuel de la législation en concluant qu’il n’existe pas de répression lorsque quelqu’un profite d’un état de sidération reconnaissable.
On discute ici d’un état de fait sortant du cadre de 190 et 191 CP. Cela nous amène à nous interroger sur le mode d’établissement de l’activité sexuelle pénalement répréhensible. Devrait-on intégrer un système présumant le non-consentement? J’entends bien que cela n’est pas proposé. Il s’agirait toutefois de la modification qui atténuerait le principal défaut de la politique pénale souhaitée, soit les difficultés d’établissement du consentement. Personnellement, j’y suis profondément opposé.
Camille Maulini: La plus-value est ailleurs, soit dans un élargissement du champ d’application de la norme. En cas de sidération, le•la partenaire n’a pas à recevoir le refus de l’autre puisque cet état est clairement visible et qu’il est un refus en soi.
Bien entendu, l’intégration du consentement comme notion centrale de l’infraction de viol ne permettra pas que toutes les agressions soient condamnées. Il ne s’agit pas de renverser le fardeau de la preuve: le doute profitera toujours à l’accusé. On pourra néanmoins condamner certains comportements non punissables aujourd’hui de par l’élargissement du champ de la norme pénale. Le nombre de condamnation sera ainsi augmenté.
La norme actuelle ne protège pas les victimes. A ma connaissance, il n’y a aucune autre norme dans notre ordre juridique qui soit aussi inefficace. Une étude zurichoise mentionnait que 12 cas sur 13 ne mènent pas à une condamnation. De très nombreux actes ne sont pas dénoncés et une écrasante majorité ne mène pas à une condamnation. Nous nous devons de nous questionner et d’analyser pour quelle raison notre droit ne protège pas les victimes.
plaidoyer : L’intégration de la notion de consentement permettrait donc aux victimes d’être plus enclines à déposer plainte ?
Camille Maulini: Oui, pour deux raisons: primo, il est difficile de recevoir une plainte aujourd’hui puisque tant les autorités de poursuite pénales que les avocats se doivent d’informer la victime des faibles chances que leur plainte aboutisse en l’absence de contrainte. Ensuite, cette intégration répond à la nécessité de transmettre un message sociétal. Dans les Etats qui ont modifié leur législation, à l’instar de la Suède, une augmentation du nombre de plaintes a pu être constaté. En effet, les victimes savent ainsi que leur gouvernement veut les protéger et modifie sa législation dans cette optique.
Loïc Parein: Le fait de dire que le système ne fonctionne pas en raison du nombre de classements me paraît très difficilement audible. Nous ignorons les raisons du classement: s’agit-il d’un problème de preuve, d’une discrépance entre la définition légale et le cas d’espèce, du décès du prévenu ou d’autres encore? Je vois l’avantage d’un alignement des discours préventif et répressif mais ce système, proche d’une contractualisation des rapports sexuels, a ses limites. La question de la preuve deviendra encore plus délicate selon moi puisque le juge devra interpréter les ébats pour établir la réelle et commune intention des partenaires.
plaidoyer : Camille Maulini, ce recentrage rendra-t-il les procédures judiciaires plus complexes ?
Camille Maulini: Non, le juge devra se baser, comme aujourd’hui, sur les éléments de crédibilité: le discours de chaque partie est-il cohérent? Des témoins, des experts peuvent-ils corroborer une des versions? Mais ici, le changement de place du curseur est essentiel: la victime ne sera plus tenue de justifier son comportement, il appartiendra à l’auteur d’expliquer ses agissements. Cela permettra d’atténuer le sentiment de culpabilité de la victime, souvent décuplé en raison du fait que l’issue de la procédure est centrée sur ses réactions.
Loïc Parein: Dans un état libéral, on a des droits et des obligations dont celle de s’expliquer quand on dépose plainte contre quelqu’un. Je n’ai pas dit qu’on entrerait plus dans l’intimité des gens avec ce système. Le travail du juge sera en revanche différent. Aujourd’hui, les autorités judiciaires se concentrent sur les manifestations externes: y a-t-il eu refus et contrainte ? Un système du tout-consentement est un leurre: attractif en apparence mais piégeant en pratique. On le constate déjà en droit du bail ou du travail. On sait qu’une situation de précarité pousse d’aucuns à accepter ce qu’ils n’accepteraient pas dans une situation usuelle. Faudrait-il alors importer des mécanismes de protection de la partie faible? Il faut encore ajouter que la compréhension de son propre consentement peut varier entre l’acte sexuel et sa remémoration. Cela invalide de mythe de l’individu transparent à lui-même. Ma critique principale vise en résumé une rhétorique faisant la promotion d’un système à grand coup de formules donnant une image faussée du droit actuel et qui ne rend pas compte des questions juridiques épineuses qu’il suppose. Et penser que modifier le droit pénal révolutionnera les représentations sociales revient à méconnaître sa dynamique réactive.
plaidoyer : Ne devrait-on pas nous concentrer plus sur la prévention ?
Camille Maulini : Le code pénal ne va jamais apporter une réponse à tout. Dans le cas nous intéressant, il s’agit cependant d’un message transmis à la société. Cela procède d’un changement de paradigme. Des études démontrent les effets sur les comportements dans les pays où la législation a été modifiée. Notre droit formalise une représentation archaïque du viol au détriment des victimes. Je pense effectivement que les programmes de sensibilisation sexuelle sont essentiels mais parallèlement à un changement de loi. Actuellement, il existe une énorme discrépance entre la définition du Code pénal et l’image sociétale du viol, soit l’idée défendue par une grande partie de la société civile du droit à l’autodétermination sexuelle. Cela entrave une prévention efficace.
Loïc Parein : Je suis d’accord avec vous. Je pense qu’il y a une forme d’hyper-responsabilisation des femmes et son pendant, une sous-responsabilisation des hommes dans les rapports sexuels. Et je vous entends parfaitement sur le besoin de coordonner le discours préventif et le discours répressif. Cela étant, il ne faut pas se voiler la face sur les défauts que la réforme représenterait. Il y a un clair surinvestissement du consentement en droit pénal comme clef de prévention. Il faudrait aussi avertir qu’une reconstruction n’évitera pas des injustices. L’appréciation de la preuve restera. Et elle est particulièrement malaisée en présence de relations souvent tissées par actes concluants. Le juge serait donc placé devant des difficultés d’interprétation que l’on ne mesure pas alors que votre discours fait sens sur le fond.
Camille Maulini : Je ne dis pas que ce sera facile, c’est difficile d’être confronté à son agresseur, il y aura encore la présomption d’innocence, il y aura encore des classements. Ce sont des violences cachées, par conséquent difficiles à démontrer par essence. Je ne suis toutefois pas d’accord avec votre conclusion. Le juge ne sera pas mis dans une situation plus délicate puisque ce dernier est déjà confronté à l’analyse du consentement dans les éléments subjectifs lors de l’évaluation du comportement de l’auteur.
plaidoyer : Le distingo entre le viol et le nouvel article sur l’atteinte sexuelle est-il justifié ?
Camille Maulini: Cette solution est insatisfaisante, les victimes de viol ont besoin d’entendre ce mot qui est important dans le processus de reconstruction. Je pense que la création d’une infraction secondaire et cette hiérarchisation représentent un message négatif à l’adresse des victimes qui ne pourront pas l’intégrer. On culpabiliserait de la sorte les victimes qui n’ont pas pu avoir de réaction de défense physique (cas de sidération).
Loïc Parein: Je ne suis pas d’avis qu’il faille libeller le code pénal en fonction des intérêts de la victime. Le droit pénal consacre la représentation de la société. La logique est alors celle d’un droit pénal fondé sur la faute que l’on va hiérarchiser. Certains comportements sont moins graves que d’autres. A titre d’exemple, ligoter une victime et commettre un acte sexuel sur elle est plus grave que de ne pas suffisamment s’assurer de son consentement. Le besoin de qualifier l’acte de viol ne semble pas universel, par ailleurs, le mot viol n’est pas utilisé en droit canadien qui préfère l’expression d’agression sexuelle.
Camille Maulini: La création d’une sous-catégorie est en soi problématique. J’entends bien que les actes violents doivent être considérés comme des facteurs aggravants. Mais les victimes de viol ont besoin d’entendre dire qu’elles sont victimes de viol. Je pense que la création d’une infraction secondaire (la peine est plus faible) et le fait de hiérarchiser les victimes de viol et celles qui se sont retrouvées en état de sidération est difficilement supportable. y
Camille Maulini
avocate active dans la défense des victimes de violence, a corédigé avec Me Clara Schneuwly la prise de position de l’AJP à la consultation.
Loïc Parein
avocat spécialiste FSA en droit pénal et chargé de cours aux Universités de Lausanne et Genève.
Révision du code pénal sur les infractions sexuelles
Le projet de révision s’articule autour de trois axes principaux. Le projet permet d’abord d’ancrer le principe de non-discrimination consacré dans la Convention d’Istanbul récemment ratifiée par la Suisse. La notion de viol serait ainsi étendue à tout acte de pénétration sexuelle contre toute personne humaine. Afin de renforcer la protection du droit à l’autodétermination sexuelle, une nouvelle disposition pénale réprimant les actes sexuels non-consentis serait introduite. De nombreuses organisations sont montées aux créneaux en critiquant une hiérarchisation insoutenable des victimes. Un dernier volet, non des moindres, consiste à renforcer la protection des mineurs par l’adoption d’une norme pénale sur la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles (pédopiégeage) et l’instauration d’une peine minimale d’un an pour les actes d’ordres sexuels avec des enfants de moins de douze ans. La consultation du projet a pris fin en date du 10 mai et met en exergue de nombreuses dissensions sur les modifications envisagées, surtout sur la question de l’intégration prioritaire de la notion de consentement.