Or ces restrictions entraîneront des conséquences pour tout un chacun, du requérant d'asile à l'avocat de star.
«La prison est un gaspillage d'argent», confiait le ministre anglais de la Justice, Kenneth Clarke, récemment au Times. Voilà ce qu'il entend changer. Clarke ne se fait actuellement pas que des amis en proposant des mesures pour réformer la justice: elles concernent les plaignants comme les accusés, les témoins, les avocats et les juges de toutes les instances, les gardiens de prison comme les détenus et, enfin, les tribunaux et les prisons eux-mêmes. Les mesures prévues sont avant tout dues à la rigoureuse politique d'austérité du gouvernement conservateur, même si le ministère de Clarke, dont le budget doit être réduit annuellement de 23%, soit de 9,2 milliards de livres, les justifie avec des idées progressistes.
Les réductions qui font le plus de bruit sont, d'après le Guardian, les restrictions «catastrophiques» de l'assistance judiciaire (legal aid), qui s'élevait jusqu'ici annuellement à 2,1 milliards de livres. Le Ministère de la justice veut économiser de 300 à 350 millions de livres chaque année en opérant des coupes sévères dans le budget.
Il s'ensuit que le nombre de ceux qui ont droit à l'assistance judiciaire se réduira dramatiquement. Selon le ministère, ces réformes, en souffrance depuis longtemps, étaient justifiées par une série de cas d'abus du système, révélés par les médias. L'Angleterre et le pays de Galles auraient ainsi dépensé par année plus que la plupart des pays du monde pour l'assistance judiciaire.
Au total, 1,2 milliard de livres de l'assistance judiciaire a été consacré à la défense pénale, alors que le reste, soit plus de 900 millions de livres, allait aux procédures civiles, telles le droit de la famille, du bail ou la consultation juridique. Le Daily Telegraph (conservateur) rendait au début d'avril l'augmentation de l'éclatement des structures familiales de Grande-Bretagne responsable de l'explosion du budget de l'assistance judiciaire: 468 millions de livres seraient payés par année à titre d'honoraires à des avocats représentant des familles qui se disputent âprement la garde de leurs enfants. Les contribuables britanniques règlent encore une facture de 25 millions de livres aux avocats lors des divorces. En tout, quelque 645 millions de livres seront versées pour des cas de droit de la famille financés par l'assistance judiciaire.
Restrictions de l'aide judiciaire
Avant d'entrer au gouvernement, le Parti conservateur avait déjà identifié le poids financier que représentait le dysfonctionnement des structures familiales en Grande-Bretagne. En novembre dernier, le gouvernement avait laissé filtrer qu'il considérait plusieurs demandes d'aide judiciaire comme injustifiées et avait promis de sévères restrictions. Au lieu de divorcer, les couples en conflit devraient désormais s'adresser à des médiateurs et les disputes relatives au droit de garde des enfants ne pourraient à l'avenir faire l'objet de l'assistance judiciaire que s'il existe des preuves d'actes de violence. Il était prévisible que le gouvernement allait se heurter à la résistance des sympathisants de la gauche et des idées libérales ainsi qu'à celle des juristes.
En Angleterre et au pays de Galles, les juges se défendent actuellement de manière véhémente contre les économies prévues. Ils craignent avant tout qu'un grand nombre de ceux qui pouvaient jusqu'alors compter sur l'assistance judiciaire ne doivent se défendre désormais seuls, ce qui pourrait pousser les tribunaux dans l'impasse: on estime à 50000 le nombre de ceux qui, pour le seul droit de la famille, se retrouveront bientôt sans appui devant la justice. Au total, selon le Guardian, on compterait des centaines de milliers de cas. Il ne s'ensuivrait pas seulement que de nombreux procès seraient perdus, du fait de l'ignorance des justiciables non conseillés par un professionnel. Les juges redoutent par ailleurs d'être forcés d'assumer le rôle de conseillers, sans compter les problèmes liés à la production de pièces. Cela mettrait les tribunaux, déjà débordés et souffrant de manque de personnel, encore plus sous pression. A plus long terme, les juges s'attendent à ce que les retards coûteux des négociations judiciaires ne viennent annuler les économies escomptées.
La nouvelle ligne gouvernementale aura aussi un effet sur les avocats. Beaucoup d'entre eux sont presque totalement dépendants du travail que leur procurent les cas financés par l'assistance judiciaire. Le record a été enregistré par dix importantes études d'avocats qui ont perçu au total 45,6 millions de livres en une année au titre de l'assistance judiciaire. Mais, actuellement déjà, l'avocat financé par l'assistance judiciaire qui perd un procès ne peut percevoir que les honoraires minimaux prévus par la loi. S'il le gagne, il peut exiger d'être payé selon un tarif horaire commercial. Là aussi, des restrictions sont prévues.
Avocats mis en péril
Jusqu'alors, les honoraires de l'avocat devaient être payés par l'accusé. Cela a conduit, selon le ministre de la Justice Kenneth Clarke, à voir les plaintes se multiplier durant ces dernières années, car le plaignant n'assumait qu'un faible risque financier. L'avocat londonnien Kevin Gannon (barrister, ayant le pouvoir de plaider devant les juridictions d'appel ou de dernière instance) compte parmi le grand nombre de défenseurs qui ne représentent presque que des cas d'assistance judiciaire. Il explique que la motivation de ces cas est devenue plus complexe ces dernières années et qu'elle exige souvent plus de temps que le procès lui-même. «Si le tarif horaire appliqué lorsque le procès est gagné est encore abaissé, l'existence de plusieurs d'entre nous pourrait être mise en péril. Les avocats qui gagnent un maximum sont l'exception (leurs bonus sont aussi menacés). Les collègues qui se consacrent à l'assistance judiciaire s'attendent à gagner encore moins à l'avenir.»
Plus de cent tribunaux en moins
Les mesures d'économies prévoient encore de fermer 142 tribunaux anglais et du pays de Galles dans les campagnes, les tribunaux d'instance (Magistrate Courts) et les tribunaux civils (County Courts). Ces instances tranchent 90% de toutes les procédures, des délits de circulation routière aux affaires modestes de droit pénal, civil ou de la famille à la concession d'une licence. Une quarantaine de ces tribunaux ont déjà disparu et le reste devrait être fermé d'ici à 2012. Le gouvernement compte épargner ainsi
41,5 millions de livres. Les citoyens concernés parlent de «mort de la justice locale» et redoutent ce qui s'ensuivra - sans parler des postes en moins dans le secteur public. Dans certaines régions (comme par exemple à New Forest), il n'y aura plus de tribunal comprenant des magistrats sur plus de 100 kilomètres à la ronde. Les avocats, les prévenus, les plaignants et les témoins devront parcourir de longues distances jusqu'au prochain tribunal, dans ce cas à Southampton. Cela aussi renchérira le coût de la justice.
Dans d'autres régions, les liaisons avec les transports publics sont si mauvaises qu'on redoute de voir de moins en moins d'accusés au tribunal, ce qui entraînera des mandats d'arrêt et une augmentation des accusés placés en cellule dans l'attente du jugement.
Steve Uglow, professeur de droit pénal à l'Université du Kent, voit le projet comme une arme à double tranchant: la fermeture des tribunaux est déjà en marche depuis une vingtaine d'années,et non sans raisons. «Dans les villes disposant de bonnes communications comme Londres, la fermeture de quelques tribunaux dans lesquels on ne travaille que cinq heures par jour se justifie certainement. Toute une série de petits tribunaux de campagne sont nés au XVIe ou au XVIIe siècle dans des cités alors importantes qui ont depuis longtemps perdu un tel rôle. Ces derniers sont aussi devenus superflus.» Ce sont surtout les quelque 28000 juges non professionnels, qui tranchent en Angleterre près de 2 millions de cas par année, qui s'opposent aux réformes, du fait de leur forte identification avec leur fonction, estime Steve Uglow. «Conserver les anciens tribunaux est certes charmant, mais ce n'est pas nécessaire, conclut-il. Les fermetures se justifient, jusqu'à un certain point», précise-t-il.
Cour suprême aussi menacée
Outre les tribunaux d'instance et les tribunaux civils, la Cour suprême, la plus haute Cour d'appel du Royaume-Uni, est aussi menacée. On l'a priée de prévoir des coupes se montant de 25 à 40% de son budget de 13 millions de livres. Lord Phillips of Worth Matravers, le président de la Cour suprême, a affirmé dans une interview au Times que les restrictions prévues allaient trop loin et pourraient avoir un effet délétère sur l'administration de la justice.
Peu auparavant, son porte-parole, Lord Hope of Craighead, avait plus dramatiquement averti que la Cour suprême pourrait fermer ses portes, au cas où elle devrait renoncer à 40% de son budget. La nouvelle Cour suprême, modifiée par le gouvernement travailliste en référence au modèle américain et entrée en fonction seulement en 2009, prend désormais en charge le travail réalisé précédemment par la Commission d'appel de la Chambre des Lords. Cette réforme avait fait l'objet de longues discussions, ces dernières années.
Une autre politique se manifeste également s'agissant de l'exécution des peines. Durant ces vingt dernières années, la rigueur voulait que tout parti gouvernemental ne montre aucune clémence pour les auteurs d'infractions pénales. Cette position a conduit à une surpopulation chronique des prisons. En Angleterre et au pays de Galles, le nombre des détenus est passé de 45000 en 1993 à près de 85000 aujourd'hui, ce qui constitue un record en Europe. Le ministre de la Justice, Kenneth Clarke, a souhaité que le nombre des incarcérations soit réduit au profit du travail d'intérêt général et de la réinsertion. Il a déjà fermé les portes de trois prisons et prévu trois autres fermetures d'établissements carcéraux. Le gouvernement aimerait ensuite évaluer le nombre des condamnés ayant récidivé après leur libération.
Critiques virulentes
Ce projet n'est toutefois pas sans embûches: Clarke n'a pas seulement dû encaisser des critiques virulentes de la part de son propre camp conservateur. «Maintenant déjà, on libère de dangereux délinquants, qui n'ont même pas exécuté la moitié de leur peine et n'ont reçu aucune supervision adéquate avant d'être libérés. Les prisons ne sont pas la panacée, mais de bons agents de probation peuvent être très utiles», commente le professeur de criminalistique John Lea. Si les plans de Clarke se réalisent, il faudra également des moyens pour surveiller le travail d'intérêt général. Le budget des agents de probation doit toutefois être réduit de 16% d'ici à 2010. Mais Clarke, qui a déjà occupé, sous des gouvernements conservateurs antérieurs, le poste de chancelier de l'Echiquier (ministre des Finances), ministre de l'Intérieur, secrétaire d'Etat à la Santé et à l'Education, qui est l'un des politiciens anglais les plus connus, ne le conteste pas. Tout comme il ne contrarie pas ceux qui l'accusent d'être «tendre avec le crime»: «J'ai connu des temps plus houleux.» Pour mettre en œuvre ces réductions budgétaires, il ne croirait que dans une politique de la coupe claire et rapide.