1. La famille, un perpétuel chantier
À l’heure où ces lignes sont publiées, le Conseil fédéral est chargé d’examiner trois postulats: «Prendre la situation des enfants au sérieux», déposé par Monsieur Pirmin Schwander; «Moins de conflits en lien avec l’autorité parentale. Mesures en faveur de l’enfant, de la mère et du père», déposé par Monsieur Stefan Müller-Altermatt, et «Pour un tribunal de la famille», déposé par la Commission des affaires juridiques du Conseil national.
Le premier, du 9 mai 2019, suggère «d’examiner la possibilité, pour les questions relatives aux enfants, de prévoir un régime uniforme applicable à toutes les instances». Constatant que le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral est dicté par l’état civil des parents1 et qu’ainsi les procédures applicables sont soit civiles, soit administratives, son auteur appelle de ses vœux un tel régime, suggéré par le Tribunal fédéral dans la partie destinée au législateur de son rapport de gestion de 2018. Il s’agirait pourtant de maintenir la compétence dévolue aux cantons, par l’art. 450f CC, de définir eux-mêmes la procédure devant l’Autorité de protection de l’adulte et de l’enfant (APE). Ce postulat et les questions qu’il pose sont particulièrement d’actualité. La Suisse a, en effet, été condamnée par deux fois par la CourEDH le 8 février 20222 pour privation d’accès effectif à un tribunal, vu la nature administrative des autorités de protection de l’adulte et de l’enfant bernoise et tessinoisequi avaient rendu des décisions autorisant le déplacement de la résidence habituelle d’un enfant à l’étranger, déclarées immédiatement exécutoires nonobstant recours.
Le deuxième, aussi du 9 mai 2019, prie le Conseil fédéral d’évaluer les pratiques cantonales en matière de médiation et d’intervention en cas de conflits dans les familles séparées; d’analyser l’influence des différents instruments (visites accompagnées, séances de conseil, mesures de contrainte, etc.) sur les conflits entre les parents et le bien de l’enfant; et de proposer des modifications législatives et procédurales qui permettraient de trancher plus rapidement et de traiter plus efficacement les cas où les droits et obligations décidés par une autorité ou convenus entre les parties ne sont pas respectés (p. ex. si un parent empêche l’autre d’avoir des contacts avec l’enfant). Constatant que l’empêchement de l’enfant par un parent de voir l’autre parent peut mener à des situations d’aliénation parentale à l’endroit du parent pourtant respectueux des règles et que le système actuel, qui répartit les compétences entre le juge civil et l’APE de manière complexe, est trop lent, il suggère de mettre en place une pratique uniformisée qui empêcherait que les enfants ne soient instrumentalisés pendant de longues périodes de conflits entre les parents. Ce postulat est d’une actualité si persistante qu’un programme national de recherche, «Assistance et coercition – Passé, présent, futur» (PNR 76), a été lancé en 2017 par le Fonds national suisse, sur mandat du Conseil fédéral, «afin d’étudier les mesures prises ou non par les autorités à l’encontre d’enfants et d’adultes». Ses conclusions préliminaires suggèrent notamment l’adoption d’un projet législatif visant à établir un code de procédure fédéral pour le domaine de la protection de l’enfant: il contribuerait à discuter et à établir des «normes de bonne pratique» en matière de participation dans toute la Suisse3.
Le troisième, du 7 avril 2022, suggère un régime uniforme applicable à toutes les instances chargées de trancher des questions relatives aux enfants (juge civil, APE, autorités centrales) dans les transitions familiales, quels que soient les liens unissant les parents: un tribunal unique serait chargé des litiges concernant les affaires familiales; une conciliation préalable serait obligatoire avant sa saisine; la juridiction de conciliation serait composée d’assesseurs spécialisés (droit de la famille, thérapie familiale; autres selon les besoins des situations); pourraient y participer les personnes et entités non liées aux parties par des liens d’état civil actuels ou passés ou de filiation commune (membres de familles recomposées notamment), si cette inclusion peut participer à la résolution du litige; la juridiction de conciliation pourrait reconvoquer la cause à sa guise dans un délai maximum à déterminer; elle devrait être autorisée à transmettre la cause à l’APE ou à l’autorité centrale compétente; et la procédure serait gratuite. Eu égard aux différentes expérimentations de résolution amiable des conflits familiaux en cours dans les cantons, une telle instance de conciliation serait-elle encore nécessaire? N’empiéterait-elle pas sur les compétences dévolues aux cantons par la Constitution et le code civil?
Un rappel du contexte s’impose.
2. Que reste-t-il du cadre familial de 1912?
Il n’est que de constater le rythme nécessaire de réimpression du CC/CO annoté pour remarquer que l’encadrement légal de la famille a énormément changé depuis l’entrée en vigueur du code civil en 1912:
- 1978 a consacré la disparition de la différence entre enfants légitimes et illégitimes, et le remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale.
- En 1988, le principe d’égalité des droits entre homme et femme a été concrétisé dans les effets généraux du mariage et les régimes matrimoniaux.
- 2000 a vu naître le droit de rompre l’union conjugale sans motif et celui de partager la prévoyance professionnelle accumulée pendant le mariage, et disparaître la notion de faute dans le divorce.
- En 2012, le nom «de famille» a été rendu imperméable à l’état civil; l’accord contraire des époux ou des partenaires enregistrés est devenu nécessaire pour déroger à son immutabilité de principe, et celui des seuls parents est requis pour modifier celui de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 12 ans révolus.
- En 2013, le droit de la protection de l’enfant a été refondu, pour y intégrer son droit d’être entendu dans les causes qui le concernent et consacrer une égalité de traitement entre enfants quel que soit l’état civil des parents; et en 2017, les besoins de son parent gardien, non couverts en raison de sa prise en charge, ont été intégrés dans sa contribution d’entretien.
- En 2014, l’autorité parentale conjointe a été déconnectée du mariage des parents, comme a été déconnecté de l’institution du mariage, en 2017, le devoir de contribuer à l’entretien du parent gardien de l’enfant.
- En parallèle, en 2007, l’accès a été ouvert aux couples homosexuels à un état civil commun, par le partenariat enregistré aux effets proches du mariage, sauf pour la filiation, ce qui a été partiellement corrigé en 2018, avec la déconnexion de la filiation de l’union conjugale hétérosexuelle par l’ouverture de l’adoption au partenaire enregistré d’un parent, et en juillet 2022 par l’accès au mariage lui-même et à la filiation par ledit mariage, si la procréation médicalement assistée a eu lieu en Suisse.
De manière congruente, l’évolution des lois témoigne d’une volonté accrue du législateur de protéger les victimes et les enfants, avec l’entrée en vigueur, en 2006, de mesures de protection de la personnalité en cas de violences domestiques (art. 28a ss. CC); en 2009, de la LF-EEA; en 2018, de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique; et, en 2019, de l’obligation d’aviser l’autorité de protection de l’enfant en cas de maltraitance (art. 314e CC).
En cinquante-cinq ans, ainsi, sous la poussée de l’égalité des droits entre les personnes et de l’intention de protéger les victimes de violences et les enfants, le mariage a perdu son caractère hétérosexuel et sa qualité d’institution à protéger par le juge; et la filiation a perdu le cadre conjugal ethétérosexuel de référence qui était le sien.
En ce qui concerne les enfants, en revanche, toujours rien! Dans la systématique du code civil, le livre deuxième, «Droit de la famille», se décline en trois parties: des époux; des parents; et de la protection de l’adulte. Fondamentalement, l’enfant n’a sa place dans le code civil qu’en lien avec sa filiation ascendante (art. 252 ss. CC) et son exercice des droits civils (art. 13 ss. CC), soit en qualité d’objet ou de sujet de droits, dont ceux qui ont autorité sur lui seraient garants (art. 19 CC).
La famille? Elle n’est définie que par le titre que porte le livre deuxième du code civil. Il évoque son chef (art. 331 al. 1 CC), ses biens (art. 335 CC, fondations de famille), son logement (art. 169 CC) et son avenir (art. 164 al. 2 CC), et ce n’est qu’au détour de devoirs que commanderait son intérêt que ses membres semblent définis: pour l’aide, les égards et le respect, il y a le père, la mère et l’enfant (art. 272 CC); et pour la dette alimentaire des ascendants, les petits-enfants (art. 334 CC). La parenté est définie en termes de générations (art. 20 CC; bien qu’un «parent» puisse n’être que «nourricier», art. 300 CC); la parentalité par le mariage (art. 255, 255a CC); et l’alliance à raison de l’état civil, où le partenaire enregistré est (encore) nommé à côté du conjoint (art. 21 CC). C’est évidemment avant de décéder. Le code civil est plus disert sur la transmission des biens pour cause de mort: on y découvre les grands-parents (art. 459 al. 1 CC). Depuis que la réserve héréditaire des frères et sœurs a disparu, ces mots ont aussi disparu du vocabulaire familial. Restent les proches, qu’on découvre dans les recours, au détour de la procédure de protection (art. 450 al. 2 ch. 2 CC).
De quels droits et obligations les personnes désignées par ces vocables sont-elles encore investies?
Hormis les obligations financières découlant du mariage (art. 159 CC: prospérité; art. 163 CC: entretien) et de la filiation descendante (art. 276 ss. CC) et ascendante (art. 328 CC), les seules obligations posées par le code civil, en termes de «bonnes pratiques», résultent du mariage de deux personnes (art. 94 CC; 159 al. 2 CC: fidélité et assistance, éducation des enfants; art. 162, 169 CC: choix et protection du domicile conjugal; art. 299 CC: assistance des beaux-parents); et d’une filiation commune (art. 272 CC: aide, respect, solidarité entre parents et enfants; 273 ss. CC: devoirs découlant de la coparentalité).
3. Le Tribunal fédéral, juge de common law?
Devant la pauvreté du contenu légal, dans un contexte social qui voit près d’un mariage sur deux dissout par le divorce et beaucoup d’enfants naître hors mariage, il n’est pas surprenant que les contours précis des droits et obligations des membres de la «famille», et, par effet réflexe, ceux de l’État, vu sa mission de protection ancrée dans l’art. 14 Cst., ne s’appréhendent pleinement qu’à l’étude de la jurisprudence.
Or, la matière est complexe parce qu’hybride. Les liens d’état civil et de filiation (et la protection de cette dernière) intéressent l’État, puisqu’ils ne peuvent être créés ni dissous sans son concours, en Suisse. Il suit que le droit privé autant que le droit public les régissent. Vu la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons posée par notre Constitution, de plus, ce sont autant le droit fédéral que le droit cantonal qui mettent en œuvre les droits et devoirs créés par ces liens et par leur dissolution (art. 42, 46, 47, 122, 191b Cst.). En présence d’éléments d’extranéité, le droit des traités et le droit étranger peuvent s’appliquer. Se posent alors les questions du caractère self-executing ou non du droit des traités (s’agissant en particulier de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant) et de sa traduction dans nos droits fondamentaux, s’il s’agit d’espérer prospérer devant le Tribunal fédéral dans les situations urgentes (art. 98 LTF cum art. 189, 90 Cst, art. 1 al. 2 LDIP). Lorsqu’un droit étranger veut impérativement attacher des effets à ces situations, se pose encore la question de la coexistence possible dudit droit et des dispositions matérielles du droit suisse. L’on s’interroge alors aussi sur le contenu de l’ordre public international de la Suisse, sur le caractère impératif ou non des dispositions du droit suisse (art. 17, 18 LDIP) autant que sur l’ordre public du droit étranger, dans le souci d’apporter aux membres des familles concernées par la situation des solutions cohérentes, susceptibles de reconnaissance et d’exécution internationale indiscutables. Sur le plan du droit matériel suisse, bon nombre de lois (CC, LPart, LPP, LFLP, LF-EEA, LAVS, CP, LEI, lois fiscales fédérales et cantonales notamment) et de règlements (RAVS, OEPL, OLP, OEC, par exemple) ont vocation à s’appliquer. Et sur le plan cantonal, les Constitutions, les lois d’application du code civil et du code pénal, les lois d’organisation judiciaire et celles qui régissent la procédure devant les autorités de protection (art. 450f CC), les lois fiscales, celles qui régissent l’assistance sociale, et les règlements gouvernant l’assistance judiciaire, le tarif des greffes en matière civile, et la mise en œuvre des lois cantonales sont également pertinents.
En outre, la multiplicité des sources du droit consubstantielle à l’hybridité de la matière entraîne évidemment une multiplicité de voies de droit de natures différentes, soumises à des procédures différentes, et parfois à des fors différents ratione loci (cf. art. 5 § 3 CLug; art. 5 et 15 CLaH96 Responsabilité parentale) parfois impératifs (art. 23, 26 CPC), autant que ratione materiae (art. 304 al. 2 CPC; 315a CC notamment), parfois concurrents (cf. art. 134 al. 4, 315a, 442 al. 2 cum 314 al. 1 CC; art. 11 CLaH96 Responsabilité parentale), avec un risque de contrariété de décisions4 et de mobilité du conflit, liée à un déplacement d’enfant par exemple (art. 5 CLaH96 Responsabilité parentale), et, ainsi, un risque de perte de maîtrise du périmètre de celui-ci et de difficultés accrues dans la recherche de solutions ou de décisions cohérentes. L’état civil et l’exercice des droits civils, voire la simple capacité de discernement pour un mineur, assurent, de plus, des accès différents à la mise en œuvre des droits familiaux devant le juge civil ou l’autorité de protection.
Les personnes majeures non mariées qui ont des prétentions découlant de la fin du concubinage ont accès à la procédure civile ordinaire, si elles ont conclu des contrats écrits, et, ainsi, à un préalable de conciliation (art. 197 ss. CPC) à l’issue duquel aucune condamnation à des dépens n’est à craindre (art. 113 al. 1 CPC). En cas de prétention découlant de violences, de menaces, d’un harcèlement (art. 28b CC), elles ont accès à une procédure simplifiée, sans préalable de conciliation (art. 243 ss. CPC). C’est avec la précision que lorsqu’elles sont colocataires du logement commun, elles n’ont recours qu’à la procédure ordinaire pour régler les effets de la fin de leur cohabitation, et, ont, ainsi, accès à une procédure de conciliation (art. 219 ss., 197 ss. CPC). Si elles ont des prétentions découlant de la parentalité, la procédure5 leur garantit un accès6 à une autorité de protection de l’enfant pluridisciplinaire de trois membres au moins (art. 440 CC), qui devra cependant se dessaisir en faveur du juge civil dès qu’un litige éclatera autour de l’entretien de l’enfant (art. 304 al. 2 CPC)7. Si le litige concernant le sort et l’entretien de l’enfant est d’emblée porté devant le juge civil, les parents ont accès à un préalable de conciliation sans dépens (art. 197 ss. CPC).
Les personnes mariées, elles, n’ont accès qu’à une procédure sommaire pour régler les effets de leur séparation (mesures protectrices de l’union conjugale, art. 172 ss., 176 CC cum 271 lit. a CPC) qui fera l’objet d’une décision sur les dépens (art. 106, 107 al. 1 lit. c CPC) et ce, sans préalable de conciliation(art. 273 al. 3 cum 198 lit. a CPC). Elles devront ensuite procéder conformément à la procédure ordinaire (art. 219, 274 ss. CPC) pour divorcer, sans conciliation préalable (art. 198 lit. c CPC). Cela signifie qu’elles devront faire l’avance de frais déterminés en fonction de la valeur litigieuse (art. 91 ss. CPC); frais qui pourront, à l’issue du procès, être «compensés» (art. 107 al. 1 lit. c CPC) vu le caractère familial du litige, avec pour conséquence que le parent qui agit en aliments pour l’enfant qu’il a sous sa garde (art. 304 al. 1 CC), en vertu de la Prozessstandschaft qui lui est reconnue par le Tribunal fédéral (art. 318 al. 1 CC)8, ne verra pas ses frais remboursés. Pire, s’il n’obtient pas le plein de ses conclusions, il est à risque de payer les dépens de l’autre parent, même s’il plaide au bénéfice de l’assistance judiciaire (art. 122 al. 1 lit. d CPC) qu’il devra par ailleurs rembourser (art. 122 CPC). En cas de prétention découlant de violences, de menaces, d’un harcèlement (art. 28b CC), les conjoints ont aussi accès à une procédure simplifiée, sans préalable de conciliation (art. 243 ss. CPC). Cependant, vu la protection accordée au logement de la famille par l’art. 169 CC, et la nécessité de prendre des dispositions touchant au sort et aux aliments dus aux enfants et au conjoint (art. 176 CC), les époux doivent de toute manière déposer une requête de mesures protectrices de l’union conjugale pour régler les effets de la séparation, en sorte qu’il n’est pas rare qu’ils assortissent un tel dépôt d’une requête de mesures superprovisionnelles destinées à éloigner l’auteur des violences du domicile familial (art. 265 cum 271 lit. a CPC).
En ce qui concerne les personnes mineures touchées par un conflit familial, elles n’ont qu’une position de «quasi-partie»9 au procès civil opposant les parents juridiques. Leur représentation par ceux-ci est présumée (art. 304 ss., 318 CC)10, même s’ils ont des conclusions opposées à leur sujet, sauf conflit d’intérêts concret entre eux et leurs enfants (art. 306 CC)11. Leur représentation par curateur n’est ordonnée que si nécessaire (art. 299 CPC), et leur audition est ordonnée en principe dès que possible (art. 298 CPC), sauf si elle n’a aucune valeur conclusive et aucune influence sur la décision12. Elles sont cependant au centre de la procédure de protection, et y sont entendues (art. 314a CC), voire représentées par curateur en cas de nécessité (art. 314bis CC). Dans tous les cas, dès qu’elles sont capables de discernement, leur droit d’être entendues les dote d’une faculté de s’opposer aux décisions rendues à leur sujet, à défaut d’y présider13, ce qui réduit d’autant leur devoir d’obéissance (art. 301 CC), avec pour corollaire une perte d’autorité sur elles tant des parents que de l’État14.
La procédure civile familiale n’admettant enfin à la qualité de partie que les personnes liées par un lien d’état civil actuel ou passé (divorce) ou par un lien de filiation commun, il suit que sont exclus du processus judiciaire qui est susceptible d’avoir des conséquences pour eux: les nouveaux ou ex-époux ou concubins des parties; les enfants non communs qui vivent dans la domesticité des parties ou qui sont financièrement dépendants d’elles; les enfants majeurs communs des parties; les membres de la famille élargie (dont les ascendants), et les créanciers d’aliments (art. 328 CC). En revanche, dans le contentieux de protection, les proches de la personne concernée et les personnes qui ont un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision rendue peuvent l’attaquer (art. 450 cum 314 al. 1 CC). Si cet intérêt juridique est d’une nature propre à évincer le droit des parties devant l’autorité de protection (art. 274a CC), c’est plus fréquemment sur le plan financier qu’il pourrait l’être (art. 276a CC). Or, l’intervention principale (art. 73 CPC) ou accessoire (art. 74 CPC) que commanderait l’exercice de ce droit d’éviction se heurte au huis clos des procédures civiles familiales (art. 54 al. 4 CPC) et à l’interdiction des appels en cause en cascade (art. 81 al. 2 CPC). Les exclus de la procédure sont condamnés à attendre leur tour et les personnes dont la situation a été modifiée par une décision n’ont d’autre possibilité que d’intenter des procédures supplémentaires pour modifier leurs autres obligations15.
C’est ainsi dans la recherche constante des silences qualifiés ou non de la loi que le Tribunal fédéral a entrepris et poursuit une œuvre salutaire d’harmonisation du droit fédéral, au point que des observateurs d’outre-Manche n’hésiteraient pas à lui rendre l’hommage appuyé qu’ils réservent à leurs juges de common law. Or, si sa mission est rendue extraordinairement complexe par son obligation de respecter un cadre légal peu cohérent, force est de constater que le Tribunal fédéral est juge du droit; il ne revoit pas les faits et ne reçoit pas les membres des familles que les procédures désignent comme étant aptes à s’adresser à eux, et qui, parfois, sont contraints à se faire les porte-voix des exclus du processus judiciaire qui pèsent sur leurs actions parce qu’ils sont concernés par la décision attendue… Les juges de premier recours et les APE, eux, sont au front, débordés par les attentes des justiciables armés de leurs droits fondamentaux, et sont si impuissants à obtenir l’exécution de leurs décisions en matière familiale16 qu’un mot d’ordre, instinctif, leur vient souvent à la bouche: «Allez régler vos problèmes en médiation!»
N’assistons-nous pas à une démission pure et simple du troisième pilier de notre démocratie, sans lequel les deux autres ne tiennent pas? Que s’est-il passé pour que nos instances baissent les bras en abandonnant les justiciables à leurs «problèmes» et en les boutant hors leurs murs? C’est tout simple: la loi ne permet plus au juge d’investiguer les causes du divorce, et la jurisprudence fédérale ne permet pas non plus au juge d’investiguer les conséquences des séparations de concubins non liés par un contrat précisant clairement leur volonté17; la maxime d’office (art. 446 al. 1 cum 314 al. 1 CC) ou inquisitoire illimitée ne s’applique qu’aux enfants (art. 296 CPC) et, comme leur cause est la seule qui donne à l’APE ou au juge des devoirs d’investigation sans pouvoir correspondant de décision et d’exécution, les enfants, trophées des conflits de leurs parents, sont instrumentalisés par la loi elle-même, puisque les parents ne sont pas réputés en conflit «concret» d’intérêts avec eux quand ils plaident l’un contre l’autre «dans leur intérêt» et en leur nom. Horrifiés par le procédé qu’ils attribuent aux parents et non au système légal, les APE et les juges, bras armés du seul pouvoir de maltraiter les enfants en les conservant au centre de leurs procédures, ne veulent pas en être. Or, en renvoyant les parents dos à dos, pour qu’ils aillent médier leur conflit, sans prononcer de quelconques mesures de protection de l’enfant, les juges perpétuent l’instrumentation légale de ce dernier jusque dans le processus médié. L’enfant, dépourvu de toute autorité parentale sécurisante, est ainsi privé de l’autorité protectrice de l’État, ce qui viole l’art. 11 de la Constitution.
4. La justice, seule garante de la démocratie
La médiation, à laquelle tous les justiciables peuvent être exhortés par le juge en matière familiale (art. 297 al. 2, 214 ss. CPC), est payante dans la plupart des cantons, même si l’on observe une tendance à son financement partiel par l’État, au même titre que l’assistance judiciaire. Elle est surtout privée. Or, la Constitution garantit l’accès à la justice (art. 29ss Cst). Bien que le Tribunal fédéral ait jugé qu’elle peut être ordonnée18, afin de protéger les enfants, la conception qui a cours, de ce processus, est analogue à celle qui prévaut à propos des thérapies: elle ne sera couronnée de succès que si les participants y adhèrent. Cela a pour conséquence que ceux qui tiennent absolument à ce type de solution amiable à leur transition familiale vont négocier avec, au-dessus de la tête, l’épée de Damoclès que représente le fait que l’autre – qui y tient moins – peut en tout temps quitter le processus, puisqu’il est volontaire et facultatif. Dans les situations de violence ou de hauts conflits et dans celles où l’un des participants – voire plus – souffre de troubles psychologiques, en outre, la médiation, si elle n’est pas encadrée par la justice, présente le danger de représenter un moyen de continuer le combat sur tous les fronts en écrasant l’autre et en instrumentalisant les enfants, seuls accès à l’application de la maxime d’office ou inquisitoire illimitée, avec la perpétuelle menace de recourir à la justice, domaine à l’opposé de celui dans lequel excellent les médiateurs. En outre et surtout, dès lors qu’elle ne marque pas le début d’une procédure judiciaire, la médiation n’offre pas de garantie de pérennité du cadre posé au règlement du conflit: l’une des parties peut choisir de déposer son action en justice devant le juge sur lequel elle fonde ses espérances, en choisissant le terrain favorable du combat19, ce qui a pour conséquence de délocaliser le conflit ailleurs, en privant l’autre partie de sécurité juridique quant au périmètre du conflit. À l’inverse, le dépôt d’une action en conciliation vaut dépôt d’action en justice et devrait (pour les pays liés à la Suisse par des accords internationaux cohérents) empêcher la saisine d’un autre juge sur le même sujet ailleurs. L’effet protecteur qui en résulte pour les enfants est ancré dans les conventions de La Haye 1996 Responsabilité parentale et 1981 Enlèvement d’enfants: le for est fixé par la résidence principale de l’enfant qui ne peut être déplacé de manière licite; le droit qui s’applique à eux est connu; le cadre légal de la médiation est assuré; et la litispendance créée (art. 62 CPC) préserve son droit à l’entretien pour le passé (art. 173 al. 3, 279 al. 1 CC).
Comme dit plus haut, la conciliation qui existe dans le domaine familial n’est institutionnalisée par le code de procédure civile que s’il y est question d’argent, entre parents non mariés, hors contentieux financier (art. 304 al. 2 CPC). Seul un juge civil règle la question, sans être appuyé par des professions complémentaires pour les questions touchant à la protection des enfants.
Le postulat déposé par la Commission des affaires juridiques du Conseil national est tout simplement pragmatique. En attendant une modification bienvenue du code civil et une harmonisation des procédures, il n’uniformise que l’accès aux instances instituées par les lois fédérales et cantonales, en légitimant la participation des juges et des avocats20 à la recherche de solutions que la procédure judiciaire rend impossible pour les parents mariés (qui y endossent une position d’adversaires) qui n’ont accès à la procédure administrative pluridisciplinaire que lorsque le mal est fait (l’enfant a désormais besoin de protection). Il a vocation à mettre en œuvre la complémentarité des méthodes cantonales de règlement des conflits familiaux, et à garantir leur mise en œuvre, en ceci qu’un juge conciliateur rompu au domaine complexe du droit de la famille pourra exposer en termes clairs à toute personne qui saisit la juridiction comment, au mieux autant qu’au pire, un juge chargé de l’affaire la trancherait, ce qui ne pourra que confirmer la légitimité du «check de réalité» auquel se livrent les médiateurs en début de processus et inviter les justiciables à faire preuve de créativité et de cohérence en visant l’exécutabilité dans la recherche de solutions en utilisant tous les instruments légaux à disposition (c’est là que les avocats et les professionnels en appui de la juridiction seront utiles), y compris ceux qui sont tirés du code des obligations pour organiser la famille dans toute la particularité qui est la sienne en partant de son avenir désirable; restaurer la paix familiale; préserver les liens entre les membres des familles et protéger les enfants d’une éducation au et dans le conflit. Engagée à la solution, là où les médiateurs sont engagés à la neutralité, la juridiction de conciliation pourra ainsi cautionner et légitimer la position du médiateur, et nourrir le processus en faisant des propositions. En outre, puisque l’instance de conciliation serait pluridisciplinaire, comme les APE, les professionnels de la juridiction sauront distinguer immédiatement, dans le conflit porté devant eux, les besoins de protection des enfants et des familles, et la portion du conflit qui doit être réglée sans attendre, et à défaut portée devant l’APE compétente; et celle qui doit être réglée par consensus parental, à la faveur d’un processus médié. De plus, en incluant au processus les personnes ou entités qui sont concernées par la situation, et ainsi tous les éléments susceptibles de s’opposer à la solidité des accords passés, une cohérence des solutions et une exécutabilité des obligations familiales devraient être favorisées, et les liens nécessaires au développement harmonieux des enfants devraient être préservés. Les procès en cascade devraient être évités ou réduits tant en temps qu’en coût, et une adhésion plus importante aux solutions trouvées devrait être constatée. Enfin, la gratuité du processus de conciliation visant la pérennité des solutions devrait endiguer la paupérisation des familles ensuite d’une séparation parentale, et l’égalité de traitement entre les enfants et des membres des familles recomposées devrait être assurée.
La modification légale qu’impliquerait la mise en œuvre d’un tel postulat n’empêcherait ainsi pas les cantons de demeurer maîtres de leur organisation judiciaire: il n’est que de lire les art. 5 ss., 113, 198, 200, 201 du code de procédure civile pour s’en convaincre. Les familles en conflit seraient simplement aussi bien traitées que les locataires (art. 200 CPC).
Les transitions familiales mal traitées sont un problème majeur de santé publique21, entraînent des coûts sociaux très importants et devraient absolument faire l’objet d’un programme national de recherche. Sans attendre cela, la Suisse doit offrir un cadre soutenant, efficace et cohérent aux familles pour qu’elles puissent créer des liens d’entraide qui les mettent à l’abri de la pauvreté et des conflits perpétuels, afin d’élever leurs enfants dans de bonnes conditions, quelles que soient les constellations familiales. L’article 14 Cst. lui en fait le devoir, et l’encadrement judiciaire des transitions familiales est nécessaire pour offrir aux membres de toutes les familles, même mariés, un accès à une justice digne de ce nom, que leur garantissent les articles 29, 29a et 30 de la Constitution. Le postulat de la Commission des affaires juridiques du Conseil national a cet objectif. ❙
1 lein pouvoir de cognition si la décision émane d’une autorité de protection de l’adulte et de l’enfant (art. 72 al. 2 lit. b ch. 6 LTF), pouvoir restreint à la violation des droits constitutionnels si la décision émane d’un juge civil statuant sur mesures protectrices de l’union conjugale ou sur mesures provisionnelles de divorce (art. 98 LTF).
2 ffaires Roth c. Suisse, du 8 février 2022 (Requête n° 69444/17); violation des art. 6 § 3, 8 et 13 CEDH; et Plazzi c. Suisse du 8 février 2022 (Requête no 44101/18); violation de l’art. 6 § 1 CEDH.
3 kokes.ch/application/files/8416/6186/9538/Referat_4_FR_komplett_fuer_Website.pdf
kokes.ch/application/files/1516/6186/9537/Referat_5_FR_komplett_fuer_Website.pdf
4 F 5A_393/2018 (d) du 21 août 2018, c. 2.2.2 «La distinction entre la compétence matérielle de l’APEA et celle des tribunaux dans les procédures de droit matrimonial n’est pas très claire. Le défaut de compétence matérielle n’est donc pas facilement perceptible, et la sanction de la nullité, en particulier pour des mesures de protection de l’enfant souvent urgentes, compromettrait considérablement la sécurité du droit.»
5 rt. 440 ss. cum 314 al. 1 CC; lois cantonales de procédure cum art. 450f CC.
6 ont le coût est régi par le droit cantonal.
7 ans passage obligé par la procédure de conciliation, la saisine de l’APEA valant conciliation, arrêt TF 5A_459/2019 du 26 novembre 2019, c. 3.3.2 et 3.3.3.
8 TF 136 III 365.
9 hristine Guy-Ecabert, La parole de l’enfant dans la procédure, un défi pour le juge contemporain, in: FamPra.ch 2/2016, p. 375; Maryse Pradervand-Kernen, La position juridique de l’enfant dans la procédure civile, à l’aune de quelques questions particulières,in: FamPra.ch 2/2016, p. 344 in fine et 345.
10 onobstant le conflit d’intérêts de leurs parents censés les représenter conjointement en justice (art. 304, 306 al. 2 et 3 CC; ATF 145 III 393), réputés se battre en leur nom «dans leur intérêt».
11 TF 145 III 393.
12 rrêt TF 5A_789/2019 du 16 juin 2020.
13 ’enfant mineur n’a pas de compétence pour décider d’un droit de visite qui le concerne, arrêt TF 5A_796/2019 du 18 mars 2021 c. 2; en revanche, il ne peut être contraint à entretenir des relations personnelles auxquelles il rechigne; Anne Reiser, Réflexions sur le droit de la personnalité de l’enfant, IusNet 21.6.2021.
14 nne Reiser, De l’inexécution forcée des relations parents- enfants, IusNet DC 17.12.2018.
15 nne Reiser, Réflexion sur les procès en cascade induits par l’art. 276a CC, commentaire des arrêts TF 5A_553/2018 et 5A 554/2018 du 2 octobre 2018, IusNet DC 25.3.2019.
16 appelons que l’État ne fournit une assistance efficace qu’au recouvrement des prestations appréciables en argent (LP; offices de recouvrement des contributions alimentaires; dispositions pénales, etc.) et que les obligations de faire découlant de la famille ne font pas l’objet d’une contrainte efficace, d’où le PNR 76 cité dans le texte.
17 rrêts TF 4A_485/2013 du 4 mars 2014, c. 2; 4A_441/2007 du 17 janvier 2008, c. 3, ATF 108 II 204 c. 4a, JdT 1982 I 570, c. 4, ATF 137 III 455 notamment.
18 nne Reiser, La médiation nouveau style: ordonnée sous contrainte – Éclairage des arrêts 5A_34/2017, 5A_65/2017 et 5A_522/2017 du 4 mai 2017, du 24 mai 2017 et du 22 novembre 2017.
19 rt. 5 et 15 CLaH96 Responsabilité parentale; 20 LDIP; art. 23 ss. CC, 23 ss. CPC.
20 nne Reiser, Dabo tibi facta, da mihi jus, Réflexions sur le CPC tirées de l’arrêt 5A_278/2021 du 7 octobre 2021, IusNet DC 13.12.2021.
21 ezzetti Vittorio Carlo, New approaches to divorce with children: A problem of public health, Health Psychol Open. 2016 Nov 15