Elle se sent un peu partout chez elle. Sa vie, la quadragénaire la partage entre Zurich, le Tessin, la Californie et l’Inde. C’est que son compagnon, d’origine indienne, a vécu en Californie jusqu’en 2014. Il y enseignait les sciences cognitives à l’Université de Berkeley, avant de revenir à Zurich pour travailler chez Google. Autant d’endroits où la juriste a tissé des liens.
Sa soif de découverte ne date pas, pour autant, d’aujourd’hui. Elle n’a que 18 ans et sa maturité à peine en poche lorsqu’elle quitte son Tessin natal pour d’autres horizons. Ce besoin d’air n’a rien d’éphémère. Trois ans durant, elle met ses connaissances à profit des autres en enseignant dans des écoles privées en Amérique centrale, au Népal, en Thaïlande et à Hong Kong. Plus tard, sa fascination se tournera vers d’autres contrées comme l’Egypte, la Syrie, l’Iran, le Maghreb et le Liban.
Parcours fulgurant
A l’image de ses voyages, Andrea Büchler a tout fait très tôt. Elle n’a que 21 ans quand elle devient maman pour la première fois. Cinq ans plus tard, elle est la plus jeune députée verte élue au Parlement bâlois. En 2002, alors qu’elle n’a que 32 ans, elle prend sa retraite politique. Mais bien qu’elle n’appartienne désormais plus à aucun parti, elle se définit encore comme «une personne très concernée par la politique». On ne se refait pas.
Son parcours s’est façonné au gré des aléas de la vie, à l’instar de ses études de droit: «Dans mon esprit, c’était clair que je voulais étudier, mais je n’avais pas de projet précis. Comme j’étais enceinte, je me suis tournée vers le droit», sourit-elle. Voie qui avait l’avantage, à ce moment-là, de ne pas la contraindre à suivre tous les cours. «Aujourd’hui, ce serait beaucoup plus compliqué, glisse-t-elle. Car les étudiants doivent passer des examens semestriels, alors que j’avais passé mes premières épreuves après quatre ans seulement pour avoir ma licence!» Entre-temps, la réforme de Bologne est passée par là…
Depuis 2002, c’est à l’Université de Zurich qu’elle enseigne le droit privé et le droit comparé comme professeure. Elle est également déléguée aux relations extérieures de la Faculté de droit. Fonction qui lui permet d’apprécier les évolutions dont profitent les étudiants, comme la longue liste de cours à option disponibles ou le développement des réseaux d’études internationaux. C’est ainsi que l’Université de Zurich propose sept masters dotés de programmes «double degree» en collaboration avec le King’s College de Londres et l’Université de Hong Kong notamment. «Aujourd’hui, davantage de monde étudie à l’étranger. Ce qui est une bonne chose.»
Plusieurs spécialités
Elle a elle-même été invitée comme intervenante à participer à des recherches un peu partout: Berlin, Bangalore, Le Caire, Berkeley ou New York. Elle a également publié plusieurs ouvrages sur le droit des personnes et de la famille et sur des thèmes liés au droit islamique. C’est d’ailleurs elle qui a fondé le Center for Islamic and Middle Eastern Legal Studies (Cimels) à l’Université de Zurich, avant de lancer l’Electronic Journal of Islamic and Middle Eastern Law.
On peut néanmoins s’étonner que l’on ne trouve rien sur les minarets et la burqa dans ces supports spécialisés. C’est comme s’il manquait un pont entre l’analyse des experts et les préoccupations de la société actuelle. «C’est vrai qu’il y a, sans doute, trop peu de matière à ce sujet. Mais nous essayons néanmoins d’être en lien avec les préoccupations politiques du moment. Nous avons notamment traité de nombreux thèmes liés au droit islamique en Europe.»
Ce qui mobilise actuellement la juriste de 48 ans, c’est le droit de la médecine et la bioéthique. Y a-t-il un droit à l’avortement? L’enfant concerné a-t-il aussi des droits? C’est pour examiner de telles questions qu’elle s’attelle désormais à la rédaction d’un ouvrage, en sa qualité de présidente de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine. Elle est épaulée par une commission de quatorze experts spécialisés dans des domaines comme la médecine, le droit, la théologie ou l’éthique. «Cette pluralité est très riche et j’entends donner une grande place à chacun», promet-elle.
Le droit de la famille? Un chantier!
Dans son mandat de présidente, d’autres missions l’attendent encore. «La commission est également tenue d’avoir des discussions régulières sur l’évolution de la biomédecine. L’idée est de participer à son développement et de le stimuler.» Un rôle d’orientation, où la recherche de consensus pourrait bien être cornélien sur des questions aussi fondamentales. «Mais c’est un privilège que de pouvoir amener des réflexions éthiques à un domaine aussi essentiel que la médecine humaine», s’enthousiasme-t-elle.
Selon elle, la biomédecine reproductive a chamboulé des notions centrales comme la maternité, la paternité, la parentalité ou la famille. D’où la nécessité d’approfondir tous les changements que cela implique. Andrea Büchler s’y est déjà attelée en publiant récemment «L’autonomie et l’autodétermination dans la reproduction». Ce qui l’emballe moins, c’est les modifications incessantes du droit de la famille qu’elle qualifie de grand chantier. Elle plaide pour une refonte globale au lieu de petites révisions jugées dangereuses. Le risque? Se retrouver avec des pièces d’un puzzle qu’on ne parvient plus à assembler.
Elle en ressent d’ailleurs les effets délétères jusque dans les auditoires universitaires: «Il est de plus en plus difficile d’enseigner le droit de la famille aux étudiants. On se retrouve à évoquer dix principes qui le définissent et qui doivent coller ensemble!»
Experts à l’écart
Elle se montre pas moins critique avec le nouveau droit sur l’entretien de l’enfant qui est entré en vigueur le 1er janvier dernier. Elle considère que la révision est insuffisante sur le plan législatif. «La question de la prise en charge des enfants n’est pas fondamentalement réglée.» Et d’estimer que le législateur aurait dû se pencher sur des points tels que la durée de la prise en charge financière ou le mode de calcul pour en établir le montant. Autant de lacunes qui font régner des incertitudes juridiques avec, comme conséquences, des inégalités de traitement en fonction de l’appréciation des tribunaux.
Pour Andrea Büchler, le problème découle du processus législatif: «Aujourd’hui, on ne nomme plus de commissions d’experts pour préparer une révision. Les projets sont simplement ficelés par l’administration fédérale. Pour des sujets complexes, il serait judicieux de travailler en collaboration avec des experts.»