Les inégalités salariales représentent en Suisse la partie la plus visible des discriminations dont sont victimes les femmes. Quelques chiffres en attestent éloquemment: deux postes de travail sur trois dont le salaire est inférieur à 3500 fr. sont occupés par des femmes; elles touchent en moyenne 23,6% de moins que leurs collègues masculins dans le secteur privé, cette proportion étant encore augmentée à 39% dans les secteurs de la finance et de l'assurance1.
Comment expliquer de telles différences? Comment les faire valoir pour obtenir une juste rémunération?
Il est assez aisé de répondre à la première partie de la question: les causes sont avant tout historiques et fondées sur la répartition traditionnelle des rôles au sein de la famille. Est-ce à dire que le juriste peut s'en détacher, considérant que ce n'est pas un problème à régler par l'intermédiaire de la législation? Très certainement non, dans la mesure où l'égalité entre les sexes, et particulièrement en matière de rémunération, n'est pas une de ces réalités si évidentes dans la vie quotidienne qu'elle se serait imposée au législateur. Au contraire, on assiste, ici, au phénomène inverse, en ce sens que le carcan juridique doit permettre d'imposer cette égalité ou, plus exactement, de la transposer de la théorie - l'idée de l'égalité est largement acceptée - à la pratique.
La mise en œuvre de l'interdiction de discrimination salariale
Différents éléments doivent être examinés dans le cadre de la mise en œuvre judiciaire de l'interdiction de la discrimination salariale, à savoir la notion de rémunération, celle de la valeur égale du travail, le problème de l'allégement du fardeau de la preuve, et les motifs justificatifs de l'employeur.
Avant toute chose, on rappellera que la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes, du 24 mars 1995, ci-après LEg, se caractérise par son large champ d'application, qui touche le domaine tant du droit privé que du droit public fédéral, cantonal ou communal en matière de relations de travail2.
Dans ce cadre sont interdites toutes les différenciations directes ou indirectes fondées sur le sexe, notamment liées à l'état civil, à la situation familiale ou à la grossesse3. On parle de discrimination directe prohibée par la LEg lorsqu'une différence de traitement se fonde explicitement sur le critère du sexe, ou un critère qui ne peut s'appliquer qu'à un sexe, sans justification objective4. Constituera une discrimination indirecte au sens de l'art. 3 LEg une différence de traitement fondée sur un critère d'apparence neutre, mais qui a, pour résultat de toucher une plus grande proportion de personnes d'un sexe, sans justification objective5; tel pourrait être le cas, en matière de discrimination salariale, d'une réglementation selon laquelle seules les personnes travaillant à plein temps ont droit à un bonus, puisqu'on sait que les femmes travaillent encore en majorité à temps partiel.
Au sens de la LEg, il y a discrimination salariale prohibée
- sur le plan individuel, lorsque deux personnes de sexe opposé touchent une rémunération dissemblable, alors qu'elles font un travail de valeur égale et que la différence de rétribution ne s'explique pas par des facteurs objectifs tels l'âge, la formation, l'expérience professionnelle ou les responsabilités hiérarchiques;
- sur le plan collectif, lorsqu'une profession typiquement attachée à un sexe est pénalisée dans une grille salariale en raison de son caractère sexospécifique6.
La notion de salaire égal
La notion de salaire ne doit pas être comprise dans un sens strict, mais s'étend largement à tous les éléments de la rétribution. La rémunération est une contre-partie du travail accompli, que la compensation intervienne en nature ou en argent: elle vise en particulier le salaire de base, la part variable, la gratification, le bonus, le remboursement de frais forfaitaires, l'octroi d'un véhicule de fonction utilisé aussi hors des heures de travail, le paiement des allocations familiales ou d'éventuelles allocations prévues dans des CCT7.
Ainsi, la LEg a pour effet, dans une certaine mesure, de limiter l'autonomie des parties, singulièrement de l'employeur. En effet, celui-ci ne peut faire valoir la liberté contractuelle pour justifier un salaire discriminatoire qu'il aurait proposé à une femme et qu'elle aurait accepté, même si ce salaire apparaît supérieur aux prétentions qu'elle avait émises initialement. La protection présente ici un caractère absolu8: il n'y a pas abus de droit à ne pas réagir immédiatement, mais à attendre avant d'invoquer une discrimination inadmissible9, l'art. 128 chiffre 3 CO permettant de réclamer des arriérés de salaire sur les cinq dernières années. L'intention de l'employeur de discriminer les personnes d'un sexe n'entre clairement pas en ligne de compte: c'est uniquement le résultat, discriminatoire ou non au sens de la LEg, qu'on juge, généralement a posteriori.
Il en découle que ne peut faire valoir une discrimination salariale au sens de l'égalité femme-homme qu'une personne du sexe opposé au collaborateur auquel elle veut se comparer. Au surplus, seuls peuvent être comparés les salaires entre femmes et hommes au sein de la même entreprise ou de la même unité relevant du droit public. Cela aura pour corollaire, tant pour l'employé que pour l'employeur, l'impossibilité de se référer à des salaires pratiqués ailleurs, qu'ils soient plus hauts ou plus bas. La LEg n'entend pas, en effet, compenser à l'échelle nationale des différences, même considérables, qui existeraient entre des employeurs disséminés aux quatre coins de la Suisse. La loi veut uniquement garantir la cohérence interne du système de rémunération, ce qui laisse à l'employeur la liberté de déterminer comment il veut situer, globalement, sa politique salariale.
Le travail égal ou de valeur égale
Deuxième terme de la comparaison, l'autre notion fondamentale est l'équivalence du travail de la personne dont on prend le salaire comme point de référence. La détermination du travail égal peut s'avérer compliquée dans une petite structure où chaque collaborateur a des tâches spécifiques, qui ne se recoupent pas. Savoir si on est en présence d'un travail de valeur égale est une question de fait que le tribunal peut être mal placé pour juger. Dans de tels cas, il mettra en œuvre une expertise destinée à établir la valeur comparative des activités, par hypothèse différentes mais toujours au sein de la même entreprise10.
Cette expertise constitue une pure mesure d'instruction permettant de définir les caractéristiques des diverses activités. L'autorité de première instance doit ordonner une telle mesure d'instruction d'entrée de cause, pour vérifier l'hypothèse de l'équivalence des tâches dans le cadre de l'allégement du fardeau de la preuve institué par l'art. 6 LEg, et non uniquement après qu'elle aurait retenu par hypothèse la vraisemblance d'une discrimination. Ainsi, la mise en œuvre d'une expertise peut participer à l'établissement de la vraisemblance d'une discrimination salariale.
La question du choix de l'expert, et corollairement de la méthode qui sera utilisée pour établir la valeur comparative des activités, est ainsi cruciale pour les parties. Rappelons qu'il existe actuellement deux catégories de méthodes bien différentes d'évaluation des fonctions:
- la méthode de type analytique, qui consiste à recenser systématiquement les exigences11 et les charges objectives et à noter les fonctions sur la base d'un certain nombre de critères, dont le choix doit être fait de manière non discriminatoire;
- la méthode statistique (dite d'analyse de régression)12, dans laquelle on détermine l'influence sur les salaires des facteurs non discriminatoires comme la formation, l'expérience, l'ancienneté ou le niveau d'exigence; toute différence entre le salaire effectivement payé et celui qui serait dû sur la base de critères non discriminatoires sera réputée discrimination salariale.
L'allégement du fardeau de la preuve
Selon l'art. 6 LEg, l'existence d'une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s'en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition allège le fardeau de la preuve d'une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu'il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l'existence d'une telle discrimination. En faisant supporter à l'employeur les conséquences de l'absence de preuve, la loi l'oblige à démontrer qu'une mesure, dont le caractère discriminatoire a été rendu vraisemblable par le collaborateur, repose sur d'autres motifs que le sexe13.
Pierre angulaire du système de la LEg, l'allégement du fardeau de la preuve avait pour justification la nécessité de corriger l'inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve entre les mains de l'employeur14.
«Le juge n'a pas à être convaincu du bien fondé des arguments de la partie qui se prévaut de la discrimination; il doit simplement disposer d'indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu'il puisse en aller différemment. (...) La comparaison avec la rémunération d'un seul collègue exerçant la même activité suffit pour établir la vraisemblance d'une discrimination à l'encontre d'une travailleuse. (...) Si la discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé; il appartient alors à l'employeur de démontrer l'inexistence de la discrimination, en rapportant la preuve stricte que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l'ancienneté, la qualification, l'expérience, le domaine concret d'activité, les prestations effectuées, les risques encourus, le cahier des charges. Les disparités salariales peuvent également se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l'activité en cause, mais découlent de préoccupations sociales, comme les charges de famille ou l'âge15.»
Par ces quelques phrases, le Tribunal fédéral a résumé tout le système mis en place par l'art. 6 LEg dans le cadre de la discrimination salariale. Il s'ensuit que l'employé qui veut se plaindre d'une discrimination salariale doit, dans un premier temps, persuader le tribunal de la possibilité qu'il soit victime d'une telle discrimination. C'est la notion de vraisemblance qui intervient ici, dont le Message indique qu'elle n'était pas inconnue en droit suisse, entrant en ligne de compte en matière de mesures provisionnelles16.
Le degré de certitude auquel doit se référer le juge n'est toutefois nullement déterminé, le Message donnant deux précisions qui peuvent apparaître comme partiellement contradictoires. En effet, l'employé n'a à fournir que des indices, notion qui se réfère à un degré de probabilité faible, alors que le juge est renvoyé aux règles en matière de mesures provisionnelles, cadre dans lequel une probabilité de 50% est fréquemment exigée. En bref, on peut dire que les premiers éléments amenés ou requis par le demandeur doivent permettre d'établir la simple possibilité d'une discrimination salariale, avec un degré de probabilité inférieur à 50 %17.
Dans un arrêt de principe du 22 décembre 200318, le Tribunal fédéral a fait état d'une vraisemblance de discrimination dans le cas où le salaire de la travailleuse était de 15% à 25% inférieur à celui d'un collègue masculin qui accomplissait le même travail, ces pourcentages étant bien évidemment à prendre avant rectification du fait des motifs justificatifs qu'avancerait l'employeur. Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a été amené à constater que la personne qui faisait valoir une différence de rémunération de l'ordre de 11% ne pouvait se voir refuser par l'autorité de première instance la vraisemblance d'une discrimination19.
L'établissement de la vraisemblance vu sous l'angle de la partie demanderesse
Pour obtenir gain de cause, la partie demanderesse devra alléguer tous les éléments de fait desquels elle va tirer en droit une violation de la LEg, soit
- le montant de sa rémunération, pour lequel elle ne bénéficie pas d'un quelconque allégement;
- la discrimination par rapport à la personne ou éventuellement au groupe de comparaison, qui tombe sous le coup de l'art. 6 LEg;
- le fait que la discrimination alléguée se fonde sur la différence de sexe avec la personne de comparaison, élément auquel l'art. 6 LEg s'applique très clairement.
Pour passer le premier écueil, soit le stade de la vraisemblance, il est donc capital, pour la partie demanderesse, d'apporter d'emblée tous les éléments de preuve en sa possession, des faits établis aux indices, et de faire toutes réquisitions de preuve nécessaires, tant s'agissant des pièces à produire par l'employeur que par des tiers, voire de requérir la mise en œuvre d'une expertise.
Plus concrètement, certains éléments, mis en évidence rapidement, créeront un climat propice à établir la vraisemblance d'un traitement discriminatoire généralement à l'égard des femmes, et donc, par ricochet, de la demanderesse. Il en va ainsi par exemple de l'absence de toute femme aux postes à responsabilité ou de la circonstance que l'entreprise confine généralement les femmes dans des postes à bas salaires; de même le fait que la majorité des cadres masculins ont reçu un bonus20, une voiture de fonction ou un téléphone pour leurs appels privés apparaîtra ordinairement comme autant d'indices de discrimination, étant rappelé que, selon le Message, les indices suffisent. Le Tribunal fédéral a vu des indices suffisants dans le cas de l'employée engagée à un salaire très sensiblement inférieur à son prédécesseur masculin, à qualifications pourtant équivalentes, la discrimination étant rendue encore plus vraisemblable par le fait que son successeur a immédiatement bénéficié de la rémunération qu'elle avait en fin de contrat21. Habituellement, la similitude de la position et du cahier des charges assortie d'une différence de salaire fera présumer une discrimination22.
Compte tenu du fait que le Tribunal fédéral a posé, comme indice suffisant de vraisemblance d'une discrimination, une différence salariale de l'ordre de 15% à 25 % ou, à tout le moins supérieure à 10%, la personne de comparaison à prendre en compte pour établir une vraisemblance de discrimination doit être choisie avec soin; l'employé aura tout intérêt à désigner un collaborateur ayant des tâches et des fonctions un peu supérieures aux siennes, mais qui paraîtra néanmoins avoir un travail de valeur sensiblement égale à première vue. Puisque le Tribunal fédéral retient que la comparaison avec un seul collaborateur du sexe opposé suffit à établir une vraisemblance de discrimination, point n'est besoin d'en chercher plus. La comparaison par groupes sera surtout valable lorsqu'on se trouve dans le cas d'une discrimination indirecte, à savoir une réglementation qui avantage un sexe par rapport à l'autre, parce qu'on se trouve, par exemple, dans le cadre d'une profession typiquement féminine dont on peut craindre qu'elle soit dès lors moins bien rémunérée.
L'examen de la vraisemblance par le juge
Sur la base des pièces à sa disposition, fournies et requises par la partie demanderesse, la plupart du temps, le juge devra apprécier dans un premier temps la vraisemblance de la discrimination. S'il n'en est pas convaincu, il rejettera purement et simplement la demande, la cause étant ainsi terminée pour ce qui le concerne. A l'inverse, s'il considère que la demanderesse a d'emblée établi à satisfaction la preuve de l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe, parce qu'elle aurait notamment d'ores et déjà produit les éléments qui auraient permis à l'employeur d'invoquer des motifs justificatifs, la demande sera admise et il n'y aura pas lieu de continuer l'instruction. La situation qui se présente le plus couramment est celle où la discrimination n'apparaît pas comme invraisemblable, mais comme douteuse ou peut-être vraisemblable. Dans ce cas-là, la partie défenderesse sera invitée à établir l'inexistence de cette discrimination ou l'existence d'un motif justificatif. En tout état de cause, le procès se poursuivra.
Les faits justificatifs de l'employeur
Du côté de l'employeur, les faits justificatifs qui doivent être produits et prouvés le seront avec le degré de certitude de l'art. 8 CC. L'employeur apportera ainsi la preuve complète de l'absence de discrimination salariale, en établissant
- soit que la partie demanderesse n'est pas dans une situation comparable à la personne de comparaison;
- ou encore que la différence de traitement ne se fonde pas sur le sexe, mais sur d'autres éléments objectifs et qu'elle constitue, en conséquence, une mesure justifiée et proportionnelle.
Les différences admissibles fondant des inégalités salariales non discriminatoires ne font pas l'objet d'une énumération exhaustive, mais constituent une liste ouverte soumise à l'appréciation des tribunaux. On ne saurait ici passer tous les critères en revue, mais on retiendra ceux qui reviennent le plus fréquemment pour justifier, à tort ou à raison, les différences salariales.
- La formation: les diplômes et certificats obtenus par le collaborateur de comparaison seront pris en compte s'ils sont utiles à l'exécution du travail, dans une mesure toutefois dégressive au cours du temps, puisque, sous réserve d'actualisation des connaissances, la formation initiale peut être remplacée par une longue expérience dans le domaine. Par ailleurs, les diplômes obtenus depuis longtemps sans aucune expérience pratique dans le domaine en question n'influeront que dans une mesure très réduite sur la rémunération23.
- L'expérience professionnelle: souvent jugée moindre quand elle a été acquise dans une autre entreprise, l'expérience professionnelle antérieure n'aura d'incidence sur le salaire que si elle peut être utilisée également dans l'entreprise suspectée de discrimination. En tout état de cause, les années d'expérience professionnelle au sein d'une même entreprise peuvent faire la différence au début de l'activité professionnelle, mais constituent un motif objectif de différence salariale qui s'amenuise très sensiblement au fil du temps.
- L'ancienneté: témoignant d'une certaine expérience, l'ancienneté légitimera une différence salariale si elle influe effectivement sur la prestation de travail, mais dégressivement au cours du temps. Expérience professionnelle et ancienneté peuvent se recouper; on ne saurait, en tout cas, cumuler des critères qui recouvrent des réalités semblables.
- Plurilinguisme: les tribunaux ont considéré que cet élément était de nature à justifier une différence salariale dans la mesure où les langues connues par la personne de comparaison sont utiles dans le cadre de l'exécution de son travail, ce qui est notamment le cas de l'allemand dans un canton bilingue.
- Les risques inhérents à l'activité, les responsabilités financières ou la taille de l'équipe à gérer sont également des éléments objectifs dont il pourra être tenu compte dans la fixation du salaire et, partant, dans l'établissement par l'employeur de raisons objectives d'une différence salariale.
- Les prestations fournies: ce cas est plus délicat, parce que, avant même qu'une personne ne commence son activité professionnelle, il n'est pas possible pour l'employeur de savoir quel sera son rendement.
- Des éléments tels qu'un manque de flexibilité non avéré, une semaine supplémentaire de vacances, un long délai de congé ou le titre donné à une personne ne constituent pas des critères justifiant une différence de salaire.
La possibilité de comparer avec un groupe d'employés en lieu et place d'avec un seul collaborateur beaucoup mieux traité que les autres est proposée par Wyler pour lisser le salaire particulièrement haut d'un collaborateur favorisé, qu'il conviendrait de replacer dans le groupe auquel il appartient pour parvenir à une rémunération de comparaison correcte24. Outre le fait qu'il sera difficile de trouver un groupe suffisammeånt homogène pour comparer effectivement les salaires et le travail supposé de valeur égale, ce mode de faire permet de tourner la réglementation de la LEg visant à imposer une égalité salariale entre les sexes25. L'employeur est toujours recevable à établir les motifs objectifs particuliers, non discriminatoires, en raison desquels une différence de salaire doit être admise.
Si les motifs liés à l'exercice de l'activité ne permettent pas de justifier la différence dénoncée comme discriminatoire au sens de la LEg, l'employeur peut encore dans certains cas, et en usant de retenue, faire valoir des considérations de politique sociale26, voire invoquer des circonstances économiques particulières27, comme la position de force d'un employé sur le marché du travail, étant toutefois rappelé que les distorsions ne sauraient durer et qu'il doit y être mis fin en principe dans un délai d'un an.
En tout état de cause, il nous semble que, si l'employeur ne peut faire valoir que des motifs économiques, il peut toutefois éviter la spirale infernale de l'augmentation en masse des salaires de tout son personnel28: il lui suffit de notifier au collaborateur trop payé sans motifs objectifs un congé-modification, dans le respect des règles relatives au contrat de travail.
La proportionnalité de la discrimination
Depuis quelques années, les tribunaux ne se contentent pas de déterminer si une différence de salaire est ou non discriminatoire, mais recourent au principe de la proportionnalité pour arrêter l'écart de rémunération admissible à considérer les critères non discriminatoires établis par l'employeur29.
Ainsi, l'employeur n'est pas admis à invoquer n'importe quel motif pour justifier une différence de traitement; il doit au contraire, démontrer qu'il recherche un but objectif répondant à un véritable besoin de l'entreprise et que les mesures qui apparaissent discriminatoires sont en réalité uniquement destinées à atteindre l'objectif recherché, en respectant le principe de la proportionnalité30. Les motifs objectifs ne peuvent généralement légitimer une différence de rémunération que dans la mesure où ils influent effectivement sur la prestation de travail et sa rémunération par l'employeur31.
Ce recours aux principes juridiques élémentaires, pleinement applicable en droit privé, donne une autre dimension à l'interdiction de la discrimination salariale. L'application de la proportionnalité permet une approche tout en nuance et devrait donner un nouvel élan à la notion d'égalité de rémunération laissant la porte ouverte à des solutions beaucoup plus justes dans les écarts de salaires admissibles. Il y a lieu de s'en réjouir pour toutes celles et tous ceux qui auront passé avec succès le premier cap, difficile, de l'examen de la vraisemblance. y
1 Les chiffres sont tirés des résultats de la dernière enquête suisse sur le niveau et la structure des salaires publiée le 22 mars 2013 par l'Office fédéral de la statistique; selon des données plus récentes encore, la différence salariale moyenne entre hommes et femmes en 2012 s'élève 18,4% soit 1176 fr. par mois.
2 Art. 2 LEg.
3 Art. 3 LEg.
4 Message LEg, FF 1993 1163, 1210.
5 Message LEg, FF 1993 1163, 1210.
6 La présente contribution ne traite pas de cet aspect de la discrimination salariale.
7 Selon l'arrêt très controversé publié aux ATF 126 II 217, même les frais de formation assumés par un canton sont partie intégrante de la rémunération. Dans cette affaire, une rémunération moins élevée pour les maîtresses en soins infirmiers psychiatriques que pour les maîtres professionnels titulaires d'une maîtrise avait été avalisée par le Tribunal fédéral, en raison du fait qu'on pouvait prendre en considération les coûts supportés par le canton (en l'occurrence Saint-Gall) pour la formation des maîtresses en soins infirmiers psychiatriques. Si l'on peut admettre que la formation effectivement assumée par l'employeur puisse être prise en compte dans une certaine mesure, on ne saurait admettre que tel serait le cas généralement dans le cadre d'une échelle de traitement.
8 ATF 130 III 145 c. 3.2.
9 ATF 131 I 105 c. 3.3.
10 ATF 133 III 545 c. 4.2.
11 Les exigences recouvrent généralement la formation intellectuelle, l'habileté physique et l'aptitude à communiquer; cf. SCHMID Sajeela Regula, Méthodes d'évaluation, ad art. 3 LEg, p. 93, in AUBERT Gabriel/LEMPEN Karine (Ed), Commentaire de la loi fédérale sur l'égalité, Genève 2011.
12C'est la méthode retenue par le Bureau fédéral de l'égalité dans le cadre du logiciel LOGIB, développé pour permettre aux entreprises de contrôler en ligne la conformité à la LEg de leur politique salariale; cf. SCHMID Sajeela Regula, Méthodes d'évaluation, ad art. 3 LEg, pp. 94-95.
13 Message LEg, FF 1993 1163 ss, 1215.
14 Message LEg, FF 1993 1163 ss, 1215.
15 TF, arrêt du 25 février 2009, 4 A_449/2008 c. 3 et réf. cit.
16 Message LEg, FF 1993 1163 ss, 1215.
17 Certains auteurs établissant le seuil minimum de vraisemblance autour de 25%, en soulignant qu'en tout état de cause et pour ne pas rendre l'art. 6 LEg lettre morte on ne saurait exiger un caractère de vraisemblance prépondérant à celui de la non-vraisemblance; STEIGER SACKMANN Sabine, N° 133 ss ad art. 6 LEg, in KAUFMANN Claudia/ STEIGER SACKMANN Sabine (Ed), Kommentar zum Gleichstellungsgesetz, 2e éd., Bâle 2009.
18 Arrêt 4C_383/2002, publié aux ATF 130 III 145.
19 TF, arrêt du 25 février 2008, 2A-91/2007 c. 5; BERSIER Eric, Les diverses méthodes d'évaluation et de comparaison des salaires, in WYLER Rémy (Ed.), Panorama en droit du travail, Stämpfli Editions SA, Berne, 2009, p. 385.
20 ATF 130 II 345, c. 4.3.2.
21 ATF 130 II 345, c. 4.3.2.
22 TF, arrêt du 19 janvier 2001, 4C_432/1999.
23 Le TF a eu l'occasion de dire que n'importe quelle formation n'engendrait pas nécessairement une obligation de rémunération supérieure, si elle n'avait aucune incidence sur l'exécution du travail.
24 WYLER Rémy, N° 31 ad art. 6 LEg, pp. 170-1, in AUBERT Gabriel/LEMPEN Karine (Ed), Commentaire de la loi fédérale sur l'égalité, Genève 2011.
25 Si le TF n'a jamais dit explicitement que la comparaison avec un seul collaborateur de l'autre sexe suffirait au stade ultérieur à l'examen de la vraisemblance pour contraindre l'employeur à adapter les salaires des collaboratrices qui se plaignent d'une violation de l'égalité salariale, il a toutefois accueilli des recours dans lesquels le salaire d'un seul collaborateur était opposé à celui de la partie demanderesse (arrêts du 25 février 2009, 4A_449/2008 et du 24 août 2011, 4A_261/2011).
26 AUBRY GIRARDIN Florence, N° 36 ad art. 3 LEg, pp. 83-84, in AUBERT Gabriel/LEMPEN Karine (Ed), Commentaire de la loi fédérale sur l'égalité, Genève 2011.
27 ATF 113 Ia 109 c. 4b, qui avait trait au remplacement d'urgence d'une comédienne par une professionnelle, moins bien rémunérée que ses collègues masculins pour rester dans le budget établi de longue date.
28 Effet boule de neige décrit par WYLER, les femmes se fondant sur le salaire du collaborateur beaucoup mieux payé pour voir leur rétribution augmenter et les autres hommes invoquant ensuite le nouveau salaire des collaboratrices pour se réclamer, eux-aussi, de l'interdiction de la discrimination salariale.
29 TF, arrêts du 25 février 2009, 4A_449/2008 c. 3.2.1, et du 24 août 2011, 4A_261/2011.
30 TF, arrêt du 4 juillet 2000, 4C.463/1999 c. 3b/ee et réf. cit.
31 ATF 127 III 207 c. 3c; ATF 125 III 368 c. 5.