Formellement, la Cour est compétente pour juger des cas relevant d’évènements qui se sont déroulés avant la rupture entre la Russie et le Conseil de l’Europe, conformément à l’art. 58 al. 2 CEDH. Et la surveillance du respect de la mise en œuvre des arrêts reste en main du Comité des ministres, tel qu’il ressort de la Résolution sur des conséquences juridiques et financières de la cessation de la qualité de membre du Conseil de l’Europe de la Fédération de Russie.
Or, nul besoin d’être un fin analyste pour conclure que ces assurances sont des tigres de papier. Les attaques de la Russie contre la communauté MOGAI, représentative des déviances générées par la société occidentale selon le pouvoir russe, démontrent bien que les inquiétudes pour les personnes aux orientations «en contrariété avec la tradition» sont justifiées.
L’arrêt A. K. c. Russie comporte déjà l’argumentaire fondant le jet du cocktail molotov de la fin de l’année 2023 contre les personnes avec une orientation sexuelle «non conventionnelle». Cet arrêt concerne le licenciement d’une enseignante de musique au bénéfice de nombreux prix et appréciée par ses pairs et ses élèves. En cause: l’envoi d’un dossier comportant des images publiées sur les réseaux sociaux dans un cercle restreint par un membre de l’organisation non gouvernementale Parents de Russie (Родители России) au directeur de l’établissement scolaire. L’intéressée, photographiée lors de voyage ou de fêtes, y embrassait d’autres femmes.
Si ces photographies dépourvues de connotations sexuelles ne devraient pas choquer, les autorités nationales les ont considérées comme inacceptables. Déboutée à tous les échelons de recours nationaux, la requérante s’est finalement adressée à la CourEDH. Nous citerons quelques extraits du jugement en anglais pour en conserver la substantifique moelle:
Dixit le directeur de l’établissement scolaire: «To dismiss [the applicant] from the position of musical director as of 8 December 2014 due to commission by an employee, who performs educational child-rearing functions (воспитательные функции), of immoral acts incompatible with continued performance of teaching activities [in accordance with paragraph 8, article 81 of the Labour Code].»
Dixit le tribunal d’arrondissement: «For a person performing educational child-rearing functions [and dealing with minors], conduct is considered to be immoral and unethical – even if performed in [a] restricted group of persons – when it entails public display of indecent gesture, poses, and unethically close same-sex relations, as well as photos of such conduct being posted on the Internet.»
Dixit la Cour d’appel de Saint-Pétersbourg: «[the applicant’s actions] diminish the authority of educators in the eyes of the public, promote and validate indecent conduct, form non-traditional sexual views».
Ces allégués nous obligent à parler de la triste toile qui s’est tissée autour des membres de la communauté MOGAI en Russie à la fin de l’année 2023. Pour rappel, la Haute Cour de la Fédération de Russie a avalisé la requête du Ministère de la justice visant l’interdiction du «mouvement LGBT international» en le qualifiant de mouvement extrémiste. Si l’incohérence de cette démarche mérite d’être soulignée, le point central concerne la gravité des sanctions à l’encontre des personnes concernées. Effectivement, l’appartenance à un groupement extrémiste est passible de douze mois d’emprisonnement en Russie et implique le gel d’avoirs bancaires et l’interdiction d’exercer des fonctions politiques (ce qui porte moins à conséquence, ironiquement parlant).
Les agissements du Gouvernement russe nous rappellent que certains n’intègrent toujours pas que la qualité humaine est intrinsèquement liée à l’orientation sexuelle, et plus largement à son genre ou à son ethnie. Un triste constat qui justifie l’existence d’organisations veillant au respect des droits humains. ❙