A l'échelle mondiale, le nombre de votations initiées par la société civile est en hausse, bien que ce type de votations ne se rencontre que dans 20 pays. Les auteurs d'une étude1 menée au Centre pour la démocratie d'Aarau ont recensé toutes les votations au niveau national, initiées par une collecte de signatures (excluant donc les référendums obligatoires) et tenues à travers le monde depuis 1874. Ils ont ainsi identifié 537 votations, dont 53% ont eu lieu dans la période 1989-2009. L'univers des votations aux niveaux régional ou local, plus vaste encore, reste pour l'heure partiellement inexploré.
Sur un total d'environ 190 pays2, 38 constitutions nationales permettent à leurs citoyennes et citoyens d'initier des votations par le biais d'une récolte de signatures. De telles votations sont fréquemment qualifiées de référendums «de bas en haut» (bottom up referendum). Même si le terme de référendum est souvent utilisé pars pro toto pour toutes sortes de scrutins (votation, initiative populaire, référendum), seuls 20 pays connaissent une pratique véritable avec au moins une votation depuis 1874.
Alors que la Suisse était jusqu'en 1920, le seul pays de par le monde à disposer d'instruments de démocratie directe, le cercle des détenteurs s'est élargi notamment à partir des années 1990 à l'Europe de l'Est et à l'Amérique latine. Ce n'est pas dans les démocraties établies de l'Europe de l'Ouest que la démocratie directe est le plus souvent mise en œuvre. En Europe occidentale, seule la Suisse, le Liechtenstein, l'Italie et Saint-Marin connaissent de tels instruments. L'étude révèle en revanche que des récoltes de signatures ont eu lieu dans 14 pays post-communistes de l'Europe de l'Est (en particulier en Lituanie, en Lettonie et Hongrie) et trois pays d'Amérique latine (Uruguay, Colombie, Venezuela) durant cette période.
Du point de vue historique, ce mécanisme particulier de la démocratie directe a d'abord été principalement utilisé par les partis politiques d'opposition. Les auteurs observent cependant que, avec le temps, il commence à passer aux mains des organisations non gouvernementales de la société civile.
Un instrument
parfois perverti
Les référendums «de bas en haut» sont souvent considérés comme les «bons», les «véritables» référendums en ce sens qu'ils seraient «sains» pour le système politique dans son ensemble. L'analyse démontre pourtant que près de 10% d'entre eux ont une fonction de concentration du pouvoir et sont plutôt organisés du haut vers le bas, c'est-à-dire par les autorités gouvernementales ou présidentielles, pervertissant ainsi l'instrument. En Suisse particulièrement, où un gouvernement de coalition intègre tous les partis politiques importants du pays, il semble nécessaire à ces derniers de prouver de temps à autre leur pouvoir politique par le biais d'une initiative populaire ou d'un référendum, afin d'être pris au sérieux et, en définitive, de rester membre du Conseil fédéral.
L'étude révèle également que c'est la société civile qui utilise le plus fréquemment ce mécanisme de démocratie directe. Presque la moitié (49,0%) de toutes les votations considérées procèdent d'une récolte de signatures réalisée par des représentants de cette société civile; environ 40% ont été initiées par des partis d'opposition et 11,4% par des gouvernements ou des partis gouvernementaux. Alors que, dans un pays comme l'Italie, ce sont avant tout les partis de l'opposition qui utilisent cet instrument, il s'agit en Suisse, en premier lieu, de la société civile. Dans le système suisse de concordance, il n'est pas inhabituel que des partis gouvernementaux y aient eux-mêmes recours. C'est en revanche rarement le cas dans le reste du monde. Ce cas de figure concerne néanmoins un total de 11,4% de l'ensemble des votations examinées, notamment en raison du nombre élevé d'exemples en Suisse. Les auteurs de l'étude considèrent que de telles votations ne sont pas problématiques en Suisse. En revanche, il y a un abus de la démocratie directe, dès lors qu'un gouvernement soutient une récolte de signatures dans le but de se maintenir au pouvoir.
Succès
pour la société civile
L'étude du Centre pour la démocratie d'Aarau démontre qu'à l'échelle mondiale ce sont les votations initiées par des organisations de la société civile qui recueillent le taux de succès le plus élevé. Les référendums «de bas en haut» semblent ainsi prendre en charge des besoins que les partis politiques gouvernementaux ou d'opposition laissent insatisfaits.
Lorsque des groupes, tels que des associations environnementales ou des syndicats, produisent, par une récolte de signatures, une initiative ou un référendum, ils gagnent la votation correspondante dans 38.4 pour cent de l'ensemble des cas considérés à l'échelle mondiale. La société civile est ainsi nettement plus efficace à cet égard que les partis politiques d'opposition (24,9%) ou gouvernementaux (31,3%). En Suisse, le taux de succès de la société civile se situe à 34,8% - l'initiative pour l'imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine ainsi que l'initiative sur les résidences secondaires fournissent des exemples récents. En dehors des deux pays possédant la plus longue tradition en la matière (Suisse, Liechtenstein), le taux de succès se situe même à 57,1%. Les auteurs de l'étude expliquent ce taux encore plus élevé par le nombre plus important de signatures requises dans ces pays. De ce fait, les organisations de la société civile initient plus rarement une récolte de signature et seulement lorsque les perspectives de succès sont très grandes.
Pour les auteurs de l'étude, les résultats obtenus montrent que la démocratie directe est avant tout capable de prendre en compte des préoccupations laissées pour compte tant par les gouvernements que par les partis d'opposition. Les récoltes de signatures représentent pour les organisations de la société civile un meilleur gage de succès qu'une tentative de gagner à leur cause des parlementaires, par le biais du lobbying dans le cadre du processus préparlementaire. Les auteurs expliquent que si, la société civile arrive à transformer des récoltes de signatures en victoire lors de votations avec autant de succès, c'est que ses organisations agissent de plus en plus professionnellement et qu'elles appréhendent des préoccupations qui importent effectivement à la population. Le taux de succès des votations tenues sur la base de récoltes de signatures est dans l'ensemble passé de 21% (1921-1959) à 36% (1989-2009).
1Uwe Serdült et Yanina Welp. «Direct Democracy Upside Down». Taiwan Journal of Democracy, Volume 8, No. 1/July 2012, pp. 69-92.
2L'étude se base sur la banque de données du Centre for Research on Direct Democracy (c2d), une unité du Zentrum für Demokratie Aarau (ZDA) à l'Université de Zurich. La banque de données contient, entre autres, les résultats des votations tenues au niveau national à travers le monde depuis le XVIIIe siècle.